PRÉPAREZ SON RÉCIT – PREMIÈRE PARTIE

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Commencez par dire votre idée. Quel est le message que vous souhaitez faire passer ? En un paragraphe qui servira de point de départ, résumez votre intrigue en faisant ressortir les enjeux et le thème au cœur de votre récit.

Par exemple cette prémisse :
Dans une petite ville autrefois paisible, un virus commence à se propager. Mais cette épidémie n’a rien de naturel. Elle transforme les habitants en créatures difformes et assoiffées de violence, elle se nourrit de la haine et du passé. Alors que la panique s’installe, quelques survivants découvre que les racines de cette terreur remontent à un sombre chapitre de l’histoire locale, marqué par des crimes racistes et des secrets oubliés. La ville est-elle victime d’une malédiction ou de sa propre pourriture morale ? Dans une course contre le temps, ils devront affronter non seulement l’horreur surnaturelle qui rôde, mais aussi leurs propres démons. Ce n’est pas seulement la chair qui pourrit… c’est l’âme.

Vos personnages

Faites une esquisse de vos personnages. Votre héros ou votre héroïne ont certainement un besoin à combler. Ne confondez pas le désir qui consiste à acquérir une chose dans le monde extérieur et le besoin qui consiste à se conquérir soi-même, combler en soi ce qui manque.

Et vos autres personnages ? Alliés ou opposants ? Écrivez une fiche pour vos personnages. Nous n’avons pas tant besoin de savoir précisément ce à quoi ils ressemblent mais ce que nous devons connaître, c’est leur arc dramatique, leur évolution vers un autre meilleur qu’ils ne sont ou bien si celle-ci est une descente, une décadence.

Faites en sorte que chaque personnage appartienne à l’intrigue et soit potentiellement porteur de conflits. Par exemple, ces quelques fiches :

Anne

Anne, notre héroïne, est infirmière de son état. Rappelé au chevet de sa mère à l’agonie, elle retourne dans sa ville natale. Son désir est de renouer avec cette mère avec laquelle elle ne s’entendait plus. Elle est la première à remarquer les comportements étranges des habitants.

L’arc de Anne nous montre d’abord une jeune femme qui refuse des vérités pour ne pas rappeler à sa mémoire ses propres traumatismes. Son mécanisme de défense est la compassion envers autrui qui s’exerce à travers les soins qu’elle prodigue. Au fil de l’intrigue, elle comprend qu’elle doit combattre la corruption des corps provoquée par le virus mais aussi le passé de la ville. En luttant contre les ténèbres qui ont envahi la ville, c’est sa propre obscurité qui se déchire.

Julien

Julien est un écrivain qui a connu quelques succès avec des romans d’épouvante. Attiré par les rumeurs qui circulent sur la ville, il est en quête d’inspiration. Il rencontre Anne pour qu’elle lui donne des détails sur l’épidémie. Mais Julien est un être profondément égoïste qui n’hésite pas à sacrifier des malades pour étayer son enquête. Son arc nous présente un personnage qui est prêt à exploiter n’importe quelle situation à son propre profit.

Comme l’intrigue se déploie, Julien apprend qu’il doit dépasser son propre intérêt pour servir la communauté. Sa survie dépend de ce geste humble.

Louis

Louis est le maire de la ville. Charismatique, il n’en est pas moins corrompu et surtout il a un rapport direct ou indirect avec les événements tragiques du passé qui semblent aujourd’hui ressortir sous une forme terrifiante. Son objectif est de maintenir sa réputation et donc sa position. Il y parvient en maintenant l’omerta sur les crimes racistes qui ont été commis et qui sont responsables d’une manière ou d’une autre de la situation apocalyptique actuelle. Louis a un besoin de rédemption mais il ne l’admet pas et son attitude envers la vérité qu’il cache obstinément est la manifestation de sa culpabilité.

L’arc de Louis est négatif. Il décline lentement. Il devient de plus en plus paranoïaque et sa propre ambition le mène inexorablement à sa chute.

Agnès

Agnès est le médecin-chef de la clinique où travaille Anne. Son objectif est de trouver une explication rationnelle à l’épidémie et sauver le plus de vie possibles. Pourtant, au fond d’elle-même, elle s’interroge : la science peut-elle vraiment atteindre les réalités que voilent les apparences ? La transparence qu’apporte la science ne cache t-elle pas des choses qui nous seraient inaccessibles ?

Lorsque nous faisons sa connaissance, elle est un être sceptique qui méprise les superstitions. Devant l’ampleur de la terreur, elle s’aperçoit cependant que la science ne peut tout expliquer. Son arc se termine sur une espèce de foi, du moins, une acceptation du mystère qui ne pourra jamais s’expliquer.

Sophie

Sophie est une adolescente un peu rebelle comme beaucoup d’adolescente envers l’autorité et les conventions. Sophie a un désir : fuir loin de cette ville qui l’étouffe. Elle est encore trop jeune pour comprendre ce dont elle a vraiment besoin. Peut-être est-elle seulement perdue ?

Sophie aura un destin tragique : elle sera parmi les premières à succomber à l’épidémie. Or la relation qu’elle avait établie avec Anne et Julien provoquera chez eux l’incident qui déclenchera leur propre destinée, c’est-à-dire leur arc dramatique.

En effet, Anne projette sur Sophie ses propres traumatismes et ses regrets car Sophie ne cache pas ses difficultés avec sa propre mère. Anne voudrait la sauver mais elle échoue tragiquement. Quant à Julien, il voit en Sophie une espèce de muse pour son inspiration. Elle est quelque chose de vivant, d’instinctif, tout ce qui manque à Julien. Avec la mort de Sophie, Julien prend conscience de son égoïsme à se servir des autres pour nourrir son œuvre.

Les nœuds dramatiques

Demandons-nous quelles sont les actions qui orientent le récit ou désorientent le lecteur/spectateur ?

La trahison de l’allié

Une relation bifurque. Dans Les Infiltrés (2006), la duplicité et les trahisons sont au cœur des alliances et chaque nouvelle tournure dans les relations nous rivent davantage dans le récit.

Continuons sur notre exemple :
Nous avons vu que Agnès est une femme profondément rationnelle. Devant l’échec de la raison à expliquer l’épidémie, Agnès décide de suivre un protocole très controversé. Et elle choisit Sophie comme cobaye contre l’avis de Anne. Agnès, qui avait la confiance de Anne, contourne son objection et décide de tester Sophie sans que Anne l’apprenne. La dynamique telle que nous la connaissions entre les deux femmes est maintenant rompue.

Le choix moral

Nous prenons souvent des décisions sur lesquelles nous ne pouvons revenir car elles résultent en des faits maintenant inscrits dans la réalité. Pire même : quelle que soit la décision, il n’y a pas de bonne solution. C’est ainsi que dans Le Choix de Sophie, Sophie devra faire un choix terrible.

Pour notre exemple :
Julien a découvert le moyen de comprendre l’origine de l’épidémie. Or cette vérité ne saurait être prouvée que par un sacrifice. Sophie est la candidate la plus appropriée : infectée mais encore vivante. Sauf que sacrifier Sophie, qui inspire Julien, pour mettre potentiellement fin à l’épidémie et sauver plus de vie crée en lui un dilemme entre sacrifier une personne pour le bien de la communauté ou sauver Sophie mais condamner toute une ville.

Une information nouvelle

Le passé finit toujours par se rappeler à nous d’une manière ou d’une autre. Dans un récit, l’action passée recontextualise tout ce que nous pensions savoir jusqu’à présent. Quand la mémoire resurgit, elle éclaire le présent d’un sens nouveau. Ces sédiments consciemment ignorés brisent nos certitudes, sollicitent l’inavoué et notre vécu se referme sur nous.

Pour notre exemple :
Louis a sa responsabilité dans les crimes racistes du passé. Anne apprend la vérité et comprend que l’épidémie est une sorte de malédiction. La relation entre Anne et Louis est d’autant plus dramatique qu’ils sont amis d’enfance mais ils furent aussi amants et c’est une déchirure pour Anne dont le souvenir de cet amour qu’elle pensait passé se ravive douloureusement.

Pour Anne, le sacrifice de Sophie pour mettre fin à la malédiction n’est que la perpétuation des crimes néo-nazis commis par Louis et certains autres (Anne découvre maintenant que Louis a appartenu à un groupe néo-nazi et qu’il ne semble pas qu’il s’en soit purgé).
Alors Louis insiste auprès de Julien pour que celui-ci mette en œuvre le rituel du sacrifice.

Un nouvel adversaire

Selon la structure du récit, nous pouvons soit introduire un nouveau personnage dans le cours de l’intrigue, c’est-à-dire dans l’acte Deux, ou bien un personnage apparemment anodin que nous avions croisé dans l’acte Un (celui de l’exposition) devient soudainement la source de situations conflictuelles nouvelles. La dynamique du récit s’en trouve alors changée. Dans Paris, Texas (1984) de Wim Wenders, Travis, le personnage principal, nous est présenté dans l’acte Un. Mais Jane, son ex-femme, qui n’était qu’une figure lointaine dans les souvenirs de Travis, prend une importance majeure dans l’acte Deux et constitue alors un véritable bouleversement pour Travis.
Nous comprenons que, par elle seule, Travis trouvera la rédemption et elle porte aussi les thèmes du récit sur l’amour et la perte.

Dans notre projet :
Agnès se présente comme une figure rationnelle qui cherche une explication naturelle à l’épidémie. Dans cet acte Un, la relation entre Anne et Agnès est banale, faite d’une collaboration seulement marquée mais sans être foncièrement conflictuelle par la différence entre la raison détachée des émotions humaines (en nous inspirant de Rousseau) et une Anne plus intuitive, plus passionnée comme le montre sa compassion naturelle envers autrui.

Dans l’acte Deux, Anne découvre que Agnès est la maîtresse de Louis. Ainsi, elle serait liée aux secrets de la ville. Pire encore, Anne se sent trahie. Elle-même scientifique, elle s’aperçoit que la science peut être corrompue par des intérêts égoïstes. C’est alors que Anne prend appui sur cette révélation pour dissuader Julien d’exercer le sacrifice qui ne serait pas nécessaire pour sauver la ville mais pour répondre à des manipulations politiques.

Une mauvaise décision

Habituellement, le personnage principal connaît à un moment de l’intrigue une descente aux Enfers, le Dark Night of the Soul où tout lui paraît perdu. Ce qui serait intéressant, c’est que cet état ne résulte pas de circonstances extérieures mais soit plutôt le fait de décisions du personnage lui-même qui l’ont mené à cette condition. Certes, tout semble perdu mais ce sont dans ces moments-là qu’on trouve en soi la force suffisante pour réagir.

Dans Cinq pièces faciles (1970) de Bob Rafelson, ce sont bien les choix de Bobby qui le pousse au désespoir. C’est lui qui a décidé de couper les ponts avec son milieu par rébellion. Lorsqu’il retourne dans sa famille, il est de nouveau confronté à ses racines et aux attentes qu’on avait placées en lui. Ne cessant de fuir, il atteint son point de rupture. Mais il prend conscience que sa fuite ne peut durer et il réagit.
Ofelia du Labyrinthe de Pan (2006) de Guillermo del Toro est en butte contre la guerre civile espagnole, la cruauté de son beau-père et le monde fantastique dans lequel elle a pris l’habitude de se réfugier. La descente aux Enfers de Ofelia se réalise lorsqu’elle prend la décision de se conformer aux lois du monde fantastique. C’est son déni de la réalité qui la mène au désespoir. C’est alors son sacrifice personnel, preuve de son humanité, qui lui sert de rédemption.

Concernant notre projet :
Anne ignore volontairement les vérités sur Louis, sur l’omerta que la ville s’impose elle-même sur les crimes racistes qu’elle a connus dans le passé. Ce déni la conforte dans sa position d’infirmière et sur sa mission de soins qu’elle exerce comme un sacerdoce.

C’est son attachement à Sophie et son refus de la voir sacrifier qui initie sa lente descente aux Enfers. Lorsqu’elle découvre la relation entre Agnès et Louis, c’est lors de la douloureuse confrontation avec Louis qu’elle prend la mesure de son aveuglement car, à l’époque des faits racistes, elle avait déjà fermé les yeux sur ce qu’il se passait.

A cela s’ajoute la volonté de Julien de sacrifier Sophie pour que cesse la malédiction. Elle réalise qu’elle s’est fourvoyée dans le déni et condamnée ainsi Sophie. Donc, pour Anne, le dilemme vient non pas de sauver Sophie ou de la sacrifier mais de l’acceptation du sacrifice car même si elle tente de lutter contre le rituel, ce sera en vain.

Son déni est double : celui de la vérité sur Louis et la ville ; celui du sacrifice nécessaire de Sophie. C’est son caractère humain qui est à l’origine de son double refus. Puis Anne comprend qu’il n’y a pas de solution rationnelle ou scientifique. Le remède ne peut être que le sacrifice d’une vie humaine. Mais elle s’accuse car elle se sent trahie par ses propres principes.
Ce qui plonge Anne dans un désespoir sans fond, c’est son impuissance face à une injustice qu’elle aurait dû dénoncer depuis très longtemps. Maintenant, elle doit se résigner à l’inévitable. Sa rédemption viendra alors qu’elle accompagnera Sophie jusqu’à son dernier moment.

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