MAINTIEN DE L’ATTENTION

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Maintenir l’attention de sa lectrice et de son lecteur tout au long du récit se fait en grande partie par le suspense. Mieux vaut avoir structuré son récit afin d’y placer les moments de suspense opportunément mais attention ! Ce n’est pas seulement la tension dramatique lié à un événement qui cause l’efficacité du suspense.
Car la manière dont vous fabriquerez vos scènes entre aussi considérablement dans le maintien de l’attention.

Les nœuds dramatiques et le suspense

Les nœuds dramatiques ont en charge l’évolution des personnages et de leurs relations (qui bénéficient tout comme eux d’un arc dramatique et donc d’étapes plus ou moins lentes à se produire selon les exigences du récit : c’est de la liberté de l’auteur et de l’autrice).
Tout cela pour dire qu’il serait vain et frustrant de poser ici et là quelques péripéties afin de créer de la tension. Il vous faut planifier où et comment mêler à votre intrigue des moments de discorde, de divergence, de disharmonie, du chaos en somme. C’est-à-dire que lorsque vous aurez repéré vos nœuds, servez-vous en comme pivot pour vos moments de tension.

Prenons Patton (1970) de Franklin J. Schaffner. Chaque nœud d’importance correspond à une crise soit dans la carrière, soit personnelle de Patton. Non seulement ces moments sont intenses mais ils participent totalement de l’arc dramatique du personnage en tant que leader, militaire ou tout simplement homme. Après l’incident de la gifle, Patton entre en conflit avec ses supérieurs qui ne peuvent admettre la vision de Patton de l’efficacité militaire. Ce n’est pas une péripétie parce qu’il faut respecter la biographie de l’homme, c’est un véritable tournant dans l’arc du personnage qui altère les relations de Patton avec ses pairs. Cet épisode est un point de bascule de la carrière de Patton.

Oppenheimer (2023) de Christopher Nolan s’organise autour de Robert Oppenheimer, de son évolution. C’est celle-ci qui nous intéresse plus que le devenir de la bombe. Le rythme se constitue de scènes dans lesquelles sont débattues les conséquences des actions et d’autres scènes plus intenses parce qu’elles se centrent sur des conflits internes ou externes.

Le suspense ne saurait être une fioriture. Il apporte de nouvelles informations, un dilemme nouveau ou encore intensifie les enjeux. Il est un souffle pour le récit. Dans Black Rain (1989) de Ridley Scott, le suspense est lié à l’évolution de Nick. Les enjeux aussi se dessinent sur fond de suspense : lorsque Charlie est tué, pour Nick, l’enjeu devient justice et survie.
Le suspense est l’instrument avec lequel les personnages se révèlent.

Mais un récit ne saurait être sous une tension constante. Il faut un battement entre des moments de réflexion comme dans Oppenheimer ou de rappels des faits souvent nécessaires pour permettre au lecteur/spectateur de comprendre ce qu’il se passera. C’est à la lumière des faits passés qu’on explique le présent ou les choix qui feront le futur.

Différentes tensions

Considérons que nous avons quatre lignes dramatiques : une intrigue principale qui consiste à ce qu’une héroïne ou un héros réalise un désir. Nous observons les faits : on les voit agir, on est témoins des événements. Ensuite, il y a une ligne dramatique qui décrit l’évolution personnelle du personnage principal : il sera soumis à des dilemmes et de ses choix, son parcours s’orientera peut-être vers une réalisation de soi plus importante que la mission qu’il avait acceptée. Ce n’est pas qu’elle est sans valeur ; elle est le lointain qui permet l’avant-scène de l’évolution du héros et de l’héroïne.

The FountainUne autre ligne dramatique concerne le personnage qui a le plus d’influence sur le personnage principal. Ce peut être un archétype comme le méchant de l’histoire mais ce qui compte est que cet actant (qui peut être personnage ou milieu social ou naturel tant qu’il influe sur le devenir du personnage principal) connaît lui aussi une évolution personnelle.
Maintenant, entre ces deux-là, il existe une relation : elle est aussi une ligne dramatique qui suit son propre arc de développement. Donc, chacune de ces lignes a ses propres moments de tension. Par exemple, le personnage principal sera la proie d’un dilemme personnel tandis que l’intrigue principale, objective par sa nature, introduit une menace externe. La tension est double et différente. The Fountain (2006) de Darren Aronofsky en est une belle démonstration. Tommy a un objectif : il veut trouver un remède à la maladie d’Izzi. C’est une action concrète.

Ce qui nous fascine, c’est l’évolution de Tom : scientifique et rationnel, il bascule vers une transformation spirituelle. Son accomplissement est l’acceptation de la mort. Donc, pensez à cette mobilité intérieure de votre personnage.
Izzi est le personnage qui crée le plus de tension avec Tom. Son point de vue est la contradiction de celui de Tom : elle accepte la mort. Et elle provoque Tom sur l’inévitabilité de la mort. D’abord d’un amour profond, leur relation se tend à mesure que Tom essaie de vaincre la mort alors qu’il n’y a pas de remède.

Une stratégie

The LighthouseL’écriture d’un récit est une stratégie. Elle se compose de nœuds et ils ne sont pas nombreux juste ce qu’il faut pour rendre mobile l’intrigue. Ce mouvement interne au récit est ce qui nous maintient dedans. Sans ces nœuds, nous serions prompts à nous en libérer. Où doivent-ils être placés ? Dans les moments de tension lorsque les enjeux sont au cœur de la scène : la scène existe seulement pour montrer qu’il y a tellement à perdre ; alors s’ensuit une décision.
Nous pouvons distinguer trois nœuds majeurs dans The Lighthouse (2019) de Robert Eggers. Le tout premier est l’arrivée des personnages sur l’île. Vous pouvez voir que les deux personnages évoluent chacun de leur côté mais c’est surtout leur relation qui est mise en avant dans ce premier nœud. On devine sans peine qu’entre ces deux-là le conflit sera puissant mais les enjeux nous sont aussi soulignés : survivre dans un environnement hostile et ne pas succomber à la folie dans cet extrême isolement.

Un nœud dramatique n’a nullement besoin d’être un événement soudain. Il a une durée. Celle-ci permet au nœud de révéler un arc de l’intrigue. Il se présente comme un dilemme ou une situation difficile et les personnages doivent faire des choix ou bien ils sont jetés dans des circonstances mais il n’y a pas de conciliation immédiate. Un arc narratif commence. C’est un lent cheminement vers une décision, il ne saurait être qu’un instant.
Alors qu’un retournement est une bifurcation que suit le récit, le nœud se comporte davantage comme une charnière qui permet la mobilité de l’intrigue. Il permet d’augmenter les enjeux, de lancer des intrigues secondaires qui s’appuient sur ce nœud pour exister ou encore il sera une information nouvelle qui change la perspective.

Ainsi dans The Lighthouse, la relation entre les deux hommes est un nœud en elle-même. L’instabilité s’installe lentement par les suspicions, la violence ou les délires. Ce nœud est un point de non-retour : la tempête est un carcan qui retient prisonnier leurs propres démons.
La troisième nœud est le début de la folie et de l’ultime confrontation.

Le suspense comme promesse

Le lecteur/spectateur est avide d’incertitude, d’inattendu. Offrez-lui du mystère et il sera satisfait. Mais si le suspense est trop prolongé ou n’apporte pas une conclusion satisfaisante, il en sera frustré.

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