QUI DÉSIRE QUOI ?

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Qui désire quoi ?

Puisqu’un bon conflit est un conflit personnel, ce que désire un personnage est la clef. Selon Freud, nombre de nos désirs proviennent d’en-dessous. Sans même que nous nous en rendions vraiment compte, ils influencent nos actions. Et nos personnages ne sont pas différents. Nina dans Black Swan (2010) de Darren Aronofsky est motivée par un désir qu’elle ignore en partie. Son besoin de perfection dans son art n’est que l’expression de son désir d’indépendance vis-à-vis de sa mère surprotectrice mais aussi de reconnaissance de son sombre côté.

Elle ne saurait le formuler autrement que par des comportements autodestructeurs. Et ce conflit éminemment personnel se projette dans le monde extérieur à travers sa performance où elle incarne à la fois le cycle blanc, symbole de pureté, et le cygne noir de la tentation, de la séduction ou, en un mot, du mal.

Lady BirdEt un désir conflictuel puisqu’une situation ne l’est pas par nature ne peut-il prendre sa source dans l’enfance et les relations familiales ? Christine, le personnage principal de Lady Bird (2017) de Greta Gerwig, connaît un grave conflit personnel dû à sa relation avec sa mère. Pourquoi le considère t-on comme un conflit ? Parce qu’il est l’instrument de l’intrigue. Sorti de ce contexte, avouons-le, nous possédons tous encore des résidus de notre enfance qui entachent quelque peu notre quotidien, mais est-ce vraiment dramatique ?

Par exemple le désir d’indépendance de Christine, nous le connaissons. Mais ce besoin profond de l’approbation de sa mère qui est aimante certes mais aussi très critique envers Christine donne au récit une dimension presque tragique. Quant à son désir d’évasion, il est contradictoire. Elle ressent que Sacramento la limite trop donc elle pense à New York comme le moyen de son épanouissement personnel. Mais cela lui pose un dilemme (et le personnage en devient aussitôt passionnant) car elle est très attachée à Sacramento.

New York incarne donc le désir d’authenticité de Christine. Seulement elle a un besoin d’appartenance tout aussi fort. Alors entre l’individu qu’elle souhaite devenir et les attentes de sa famille se creuse un gouffre bien dramatique.

Si vous peinez à dépeindre un personnage, pensez aux archétypes jungiens. Le héros, par exemple, qui chemine vers sa quête en luttant contre nombre d’obstacles. On est fasciné par sa résilience. Néanmoins, accordez-lui une faiblesse, un manque dans sa vie : vous le rendrez plus humain. Vous pouvez aussi définir un mentor qui enseigne le postulant à l’héroïsme. C’est un adjuvant précieux qui aide à structurer les relations de vos personnages. Celles-ci sont des éléments dramatiques qui distinguent votre récit de la foultitude.

The NoviceL’ombre est ce qui vous oriente vers la force antagoniste. Souvent, elle illustre ce que pourrait devenir votre héroïne ou votre héros s’ils s’aventuraient sur le mauvais chemin. Et leur rage à vaincre le méchant de l’histoire reflète bien souvent le combat qu’ils mènent contre eux-mêmes. Prenons par exemple The Novice (2021) de Lauren Hadaway. Alex est l’héroïne idéale. Pour être considérée comme la meilleure rameuse, elle met son corps et son esprit dans des extrêmes peu communs. Admirable, certes, mais Alex est dévorée par une obsession pathologique de la perfection.

Le mentor est tenu par son coach. Ici, sa fonction est moins mise en évidence que par ailleurs, néanmoins, il est la clef du nouveau monde dans lequel Alex se précipitera. L’ombre est traitée d’une manière originale : Jamie qui n’est pas vraiment l’antagoniste représente ce que Alex serait devenue si elle n’était pas absorbée par son obsession. Et lorsque Alex réagit si négativement face à Jamie, c’est contre sa propre image déviante qu’elle lutte.

Pourquoi ne pas interroger votre personnage s’il ne recèle pas en lui une compensation pour une blessure narcissique ? Le génie et l’intelligence de Will Hunting (1997) de Gus Van Sant sont des réponses qui compensent l’abandon et les abus qu’a connus Will dans son enfance. Une blessure narcissique se caractérise par un effet autodestructeur que ce soit dans les relations personnelles ou la carrière. Will développe une peur de l’intimité qui est un mécanisme de défense pour éviter de revivre les événements douloureux de son enfance. Grâce à son intelligence qui le démarque du commun, il met en place une distance envers autrui protégeant ainsi son ego d’une vulnérabilité à laquelle il céderait autrement.

Cette distance sert aussi son génie qu’il utilise comme un bouclier contre le monde. Mais aussi comme une arme comme la scène du bar où il ridiculise un pédant. Le traumatisme qui a profondément entaillé l’ego de Will se manifeste en tout et partout. Mais ses moyens, pourtant extraordinaires, ne suffisent pas à cicatriser sa blessure.

Une même énergie psychique

Des pulsions peuvent être à l’origine de conflits intimes. Un besoin insatisfait, par exemple, sera sublimé en un puissant sens de la justice pour légitimer des actes de violence. Prenez Batman : son traumatisme a créé en lui une profonde pulsion vers la vengeance. Et que fait Bruce ? Il sublime ce désir de vengeance en sens de la justice, un sentiment non seulement socialement apprécié mais aussi qu’il considère plus noble.

En tant que Batman, ses actes d’une extrême violence sont légitimes contre les méchants parce qu’ils sont nécessaires pour combattre le mal et défendre la veuve et l’orphelin. Et Bruce est marqué par quelque chose de plus fort qu’un dilemme : d’un côté un instinct primitif qui lui ordonne de se venger mais tempéré ou sublimé dans la règle de ne pas tuer qui sonne comme une limite morale à la violence.

Notre libre-arbitre sera aussi conflictuel. Nous sommes amenés à sublimer nos pulsions afin de les rendre acceptables ou bien les exprimer violemment. Travis de Taxi Driver (1976) de Martin Scorcese tente de donner à son mal-être un rôle de protecteur. Ainsi, il met son corps et son esprit au service de cette sublimation. Son intention politique devient alors une légitimation de son existence au sein de la communauté.
Mais plus l’intrigue s’éploie, plus Travis échoue dans sa volonté. Alors il compense par d’autres exercices que ceux de protection.

Que sont-ils prêts à faire pour satisfaire leur désir ?

Suivons Arthur Schopenhauer qui considérait que la volonté (c’est-à-dire nos désirs) nous motivent constamment à agir. Nous avons des besoins et nous devons les satisfaire par quelque moyen. Et on s’inquiète peu du moyen puisque seule la visée est d’importance. Mais cela ne laisse pas de générer un dilemme : si la fin justifie le moyen comme en politique selon Machiavel, un Emmanuel Kant répondra que des actions sont immorales par nature, dangereuses pour le vivre ensemble même si les conséquences sont bonnes. Gekko de Wall Street (1987) de Oliver Stone expose à la perfection ce dilemme moral. La volonté de Gekko l’oriente constamment à accroître son pouvoir. Il y parvient en déniant aux autres leur propre volonté.

Ses méthodes sont illégales et immorales mais il se justifie lui-même par son mantra sur l’avidité.

Mais si l’homme est condamné à être libre selon les existentialistes, il doit en assumer la responsabilité. La décision de Joel dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry d’effacer de sa mémoire Clementine pour ne plus souffrir de leur rupture est une liberté absolue qui ne dépend ni de l’extérieur, ni de puissances intérieures (nos souvenirs refuseraient de s’effacer par exemple).

C’est au cours de la procédure que Joel réalise la portée de sa décision. Même s’ils le font souffrir, ses souvenirs le définissent aussi. Et les bons souvenirs sont aussi puissants que les mauvais. Dans un monde absurde, qui n’explique en rien notre existence, la mémoire est notre identité. On peut tricher avec le regard des autres mais pas avec notre vécu. Toutes nos expériences font ce que nous devenons. Alors que la rupture a brisé Joel, le processus d’effacement a un effet bénéfique. Il force Joel à revivre sa relation avec Clementine et à la réinterpréter sous un autre jour. Il reconstruit son sens de soi brisé.

Si l’on admet que la souffrance nous aveugle, alors en prendre conscience, c’est se regarder autrement ; c’est retrouver en soi ce qu’elle a estompé. Par celle-ci, Joel s’affirme et accepte son passé.

Le problème de Joel est qu’il a idéalisé son amour avec Clementine. Or si l’on refuse à la fois de reconnaître ses imperfections et celles de l’autre, on manque l’authenticité de la relation.

Pour Joel, le défi est de transformer sa souffrance en une opportunité d’en grandir.

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