Dans l’écriture du mystère, mieux vaut ne pas en dire trop pour commencer. Un grand maximum de 20 % de toutes les informations que possède votre récit devrait occuper le premier acte. Je sais que ce n’est pas très moral mais il vous faut dissimuler des choses à votre lecteur/spectateur. Ce ne sera pas un mensonge néanmoins puisque toutes les informations lui seront données au fil du récit. Par exemple, dans Prisonners (2013) de Denis Villeneuve, on débute par la disparition de deux jeunes filles : ce drame est même presque présenté comme un fait divers. Ce qui revêt ce drame d’un réalisme terrible d’autant plus marqué que Villeneuve se concentre aussitôt sur les répercussions au sein des familles et dans la communauté.
Et évidemment qu’il vous faut parsemer des indices plutôt discrets d’ailleurs tout au long de l’œuvre. Ils prennent sens ensuite et le lecteur/spectateur est très satisfait lorsqu’il réalise ce que signifiait l’indice. Certes, il lui faut être attentif, il pourrait ne pas prêter attention à ce qu’il lui semble anodin. Joel Edgerton dans Le Cadeau (2015) a disséminé tout au long de l’intrigue des indices qui ne prennent sens vraiment qu’à la fin. Le surnom que Simon donne à Gordo suggère une relation d’autrefois car on ne surnomme pas une personne sans avoir eu une certaine expérience avec elle. Cet indice semble désinvolte mais il est en fait la clé pour comprendre la dynamique qui existe déjà entre Simon et Gordo et les motivations de ce dernier.
Les cadeaux de Gordo sont un geste amical, pourquoi devrions-nous y voir quelque malice ? Cependant, il y a là un effet d’étrangeté qui s’installe par la répétition de ce geste. Cette structure révèle indirectement les intentions de Gordo et ce qu’on finit par comprendre, c’est que le passé revient hanter Simon et même si on enfouit le passé dans le recoin le plus secret de notre inconscient, il est toujours là.
Et Simon ? Il a l’air amical et pourtant il connaît des moments d’agressivité et n’hésite pas à manipuler autrui. Cela signifie bien quelque chose : un aspect de sa personnalité qu’il ne peut pas toujours maîtriser. N’est-ce pas son passé qui s’exprime ainsi ? Et ces poissons qui meurent sans raison apparente ? L’indice devient symbole : le passé empoisonne le présent. C’est ainsi qu’on montre des idées : on ne les explique par un discours ennuyeux quitte à ce que le symbole passe inaperçu. Autre symbole : les grandes baies vitrées suggère l’ouverture et la transparence mais alors que l’intrigue s’éploie : cette même transparence devient une angoisse car le foyer n’est plus protecteur.
Des non-dits
Chacun d’entre nous avons des secrets. Les êtres fictifs de nos mystères en ont tout autant. Le lecteur/spectateur les comprend dans le cours de l’intrigue et certains récits vont même jusqu’à ne les dévoiler qu’au moment du climax, l’ultime confrontation. Considérons Mademoiselle (2016) de Park Chan-wook. L’identité réelle de Sook-hee ne nous est pas donnée lorsque nous faisons connaissance avec ce personnage. Nous comprenons néanmoins qu’elle fait partie du plan du comte Fujiwara mais il semble aussi évident qu’elle n’a pas saisi toute la portée de ce plan.
Pour cette raison, son rapprochement avec Mademoiselle Hideko est sincère. Park Chan-wook établit ici une dynamique très originale des relations entre ses personnages. Et en particulier comment il joue avec notre jugement sur Sook-hee. Par ailleurs, les véritables intentions du comte se dévoilent progressivement. Et même la bibliothèque de Kouzuki dissimule une toute autre vérité.
Une forme intéressante est lorsqu’un mystère en cache un autre. Témoin à charge (1957) de Billy Wilder use de cet artifice. Le récit s’ouvre sur une accusation de meurtre. Néanmoins, cette information est contrebalancée par l’incertitude dans laquelle nous sommes aussitôt placés quant à la culpabilité de Leonard.
Comment fonctionne le mystère à tiroirs ? D’abord, l’alibi de Leonard est donné par Christine. D’accord. Mais quelles sont les motivations de Christine ?
Et alors que tout semble clair en apparence, Christine se retourne contre Leonard. Nouveau mystère ! Mais des lettres compromettantes contre Christine remettent en question son témoignage. Nouveau mystère ! Où est la vérité ?
Chaque récit dans l’intrigue principale relance notre intérêt. Le Petits Meurtres entre Amis (1994) de Danny Boyle illustre très bien la création de tension dramatique. Des colocataires en cherchent un quatrième : très banal en somme, c’est même un concept du soap opera.
Et l’intrigue se lance : Hugo, le nouveau, est retrouvé mort dans son lit avec une valise pleine d’argent. La question dramatique se pose dans toute son ampleur : Que s’est-il passé ? Accessoirement, on se demande même d’où vient toute cette monnaie. Et le mystère se décline en d’autres questions : réussiront-ils à cacher le corps ? Qui était vraiment Hugo ? Que feront-ils de l’argent (du moins s’ils dépassent le dilemme moral lié à cette douteuse acquisition) ?
Petits Meurtres entre Amis joue avec nos attentes : la mort de Hugo, la dégradation des relations entre les trois amis, la dérive mentale de David, les propriétaires de l’argent. C’est une spirale en somme.