ÉCRIRE LE MYSTÈRE – 30

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La gestion de l’information

MademoiselleDans un mystère, il y a des révélations à faire. Mais il ne faut pas qu’elles viennent sans avoir été planifiées pour ne pas tomber comme un cheveu dans la soupe et partant, frustrer son lecteur/spectateur. Mademoiselle (2016) de Park Chan-wook est une œuvre maîtresse en la matière : le récit est divisé en trois parties, chacune d’entre elles nous révèlent de nouvelles informations. Les véritables intentions des personnages, leurs relations exactes.. tout cela se découvre sans jamais briser l’armature de l’intrigue.

Sale Temps à l'hôtel El Royale

Sale temps à l’hôtel El Royale (2018) de Drew Goddard avec sa manière d’intrigues multiples et des personnages à secrets s’assure avec maestria que nous restons accrochés sans jamais être dépassés par les révélations qui sont autant de rebondissements.

UsEt certes, les fausses pistes sont aussi de l’information. Pourquoi devrions-nous mettre en doute ce qu’on nous montre et ce que dit un personnage ? Si nous sentons qu’il ment, c’est sciemment organisé par le scénariste. Us (2019) de Jordan Peele est un thriller horrifique dans lequel non seulement Peele ne cesse de nous désorienter mais il fait de même avec ses personnages. C’est le coup de génie !

Tenons compte que d’emmener trop souvent sa lectrice et son lecteur sur les chemins perdus peut s’avérer frustrant et ennuyeux. Alors des fausses pistes, d’accord, mais savamment dosées.

Je veux juste en finirMille et un regards se posent sur un événement. Ces différents points de vue permettent de détenir une certaine vérité pour chaque regard, donc l’information partiellement donnée permet de contrôler ce que l’autrice et l’auteur souhaitent que le lecteur/spectateur perçoit à chaque moment de l’intrigue. Je veux juste en finir (2020) de Charlie Kaufman présente une narration qui ne cesse de changer de perspective. Réalité et illusion se mêle et de cette désorientation même, nous ne cessons de nous questionner sur ce qui est réel (du moins dans l’irréalité de la fiction).
La Proie d'une OmbreLa proie d’une ombre (2020) de David Bruckner est un thriller horrifique où la vérité est faite de moments fragmentés de vérités. Celles-ci décident de ce que le lecteur/spectateur perçoit et cela crée de la tension dramatique. Mais avant tout, l’autrice et l’auteur impliquent le lecteur/spectateur qui n’est alors plus passif dans la résolution du mystère.

C’est alors que l’incertitude s’empare de lui. Que prendre comme vrai dans toutes les informations données ? Hitchcock dans Le Crime était presque parfait (1954) nous engage dans un étonnant jeu du chat et de la souris. Les Nerfs à vif (1962) de J. Lee Thompson joue effectivement avec nos nerfs alors que nous sommes à la fois incertains de jusqu’où Cady peut aller pour assouvir sa vengeance mais aussi, et c’est là toute l’alchimie de la chose, jusqu’où Sam peut aller pour protéger sa famille.

Renverser

Peut-être encore plus intéressant est de renverser les perceptions établies. Surprendre le lecteur/spectateur au fil de l’intrigue est un moyen de conserver son attention. The Servant (1963) de Joseph Losey met en place ce mécanisme en renversant les positions entre maître et esclave. Dans La femme de paille (1964) de Basil Dearden, ce qui est d’abord une escroquerie et que nous nous apprêtons à en suivre les péripéties, voilà que trahisons et retournements de situation nous mettent l’esprit sens dessus dessous.

L'étrangleur de la place RillingtonIl faut jouer avec les indices aussi car ils font participer votre lectrice et votre lecteur dans votre récit. Qu’est-ce qu’un indice ? C’est une dynamique entre les révélations et les dissimulations, entre vérité et mensonge. L’étrangleur de la place Rillington (1971) de Richard Fleischer ne nous épargne nullement les indices sur la culpabilité de John Christie. Par exemple, Christie se prétend un témoin auditif mais les informations très précises qu’il donne sur le crime sont suspectes. Et l’attitude même de Christie sème le doute sur son innocence : comment rester de marbre devant la brutalité des faits ?

ImagesAutre indice de sa culpabilité : il manipule les autorités et l’opinion publique (il est rare lorsque ces deux sphères ne sont pas convoqués dans un récit). En effet, il oriente les soupçons vers Timothy ce qui mène celui-ci à sa perte. Images (1972) de Robert Altman utilise les indices différemment : ils remettent en question la santé mentale de Cathryn et nous-mêmes sommes invités à partager le doute entre vérité et hallucinations. Les apparitions impromptues de Rene normalement décédé sont impossibles et pourtant nous y assistons en compagnie de Cathryn.

On ne peut donner une information sans espérer qu’elle ait un retour. Il doit y avoir un accord entre l’élan de l’intrigue et le moment où les informations se produisent. C’est ce que Brian de Palma fait avec Blow out (1981). Jack enregistre par hasard un fait qui semble bien être un assassinat et politique en plus. Donc, nous sommes mis dans l’attente de nouvelles informations concernant cet événement : on ne quittera pas le récit maintenant.
Et alors que Jack enquête, de nouvelles informations nous sont données qui alimentent le carburateur de l’intrigue. Nous avons un procédé similaire dans Le Sixième sens (1986) de Michael Mann. Les informations sur le modus operandi du tueur en série nous sont données une à une et chaque nouvelle information relance l’enquête de Will Graham jusqu’au climax, c’est-à-dire l’ultime révélation qui clôt le récit.

L’ombre comme moyen d’imagination

Ce qu’on ne montre pas ou bien ce qu’on ne dit pas est aussi significatif si ce n’est plus que ce qui est montré ou dit. L’imagination du lecteur/spectateur est alors convoquée car elle perçoit ici un mystère qu’elle est empressée de résoudre. Ainsi, dans le Angel Heart : Aux portes de l’Enfer (1987) de Alan Parker, l’intrigue est recouverte d’ambiguïté et de non-dits sur la véritable identité du personnage. Nous ne pouvons qu’anticiper toutes sortes de solutions avant d’être étonnés par le dénouement. Dans Engrenages (1987) de David Mamet, la rétention d’informations et les faux-semblants sont constitutifs de l’intrigue. Non seulement les personnages sont manipulés mais nous aussi qui cherchons à combler les blancs dans ce qui nous est donné à voir.

Maintenant ce qui est dit n’est pas toujours à prendre au pied de la lettre. Un dialogue semble obscur ou ne pas faire sens sur le moment mais lorsqu’on retourne à ce qui a été dit, soudain, une lumière se fait dans notre esprit. L’étonnant Petits Meurtres entre Amis (1994) de Danny Boyle use de dialogues que nous qualifierons d’anodins jusqu’à ce que l’intrigue s’éploie de plus en plus. Alors, ils prennent un tout autre sens quand les intentions et les véritables personnalités des trois colocataires éclatent à la surface.

Le Diable en Robe bleueDans Le Diable en robe bleue (1995) de Carl Franklin, certaines répliques nous échappent sur le coup ou alors elles semblent si banales qu’on en vient à douter du scénariste. En réalité, elles sont autant d’indices sur les dessous politiques et raciaux du cœur de l’intrigue.

Structure non linéaire, multiples perspectives

GoGo (1999) de Doug Liman et écrit par John August présente une structure faite de différentes lignes dramatiques, chacune étant un point de vue singulier sur les événements. Le prélude de Go s’ouvre sur la conclusion mais, à ce tout début du récit, les deux personnages présents aux comportements et dialogues énigmatiques nous désorientent davantage qu’ils nous exposent la situation sur laquelle habituellement se bâtit toute l’intrigue.

Cette scène est une accroche formidable car elle suscite en nous des questions : qui sont-ils ? Qu’est-ce qu’il s’est passé pour qu’une telle situation existe ? D’autant plus dramatique qu’elle se rompt brutalement pour nous ramener plus tôt dans l’histoire.

Le premier mouvement est celui de Ronna. Il est rapidement établi que Ronna n’est pas mauvaise en soi. Sa situation précaire explique son désespoir et son opportunisme et sa décision ce soir-là sera l’axe autour duquel les trois points de vue sont censés être simultanés.

Le second mouvement nous entraîne dans le sillage du regard de Simon. Ce qu’on nous montre sous cette perspective est l’indigence de ses décisions. En effet, les décisions irréfléchies de Simon agissent sur les trois perspectives. Elles justifient l’intrigue tout en éclairant les personnalités des autres personnages. Surtout, c’est ainsi que John August parvient à simuler la simultanéité en jouant sur les différents temps des situations dans lesquelles sont jetés les personnages.

Et le troisième mouvement sera celui de Adam et Zack : un mouvement plus lent mais non moins tendu.

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