La Caverne Maudite (1896) de Georges Méliès
La figure du squelette insiste sur la proximité de la mort en tout être vivant. Qu’elle apparaît ou disparaît au gré de la fantaisie de Méliès signifie notre finitude. Mais le fait que Méliès les anime ne signifie t-il pas une vie après la mort ? Quelle relation exacte avons-nous entre notre corps et notre esprit ?
Si Méliès s’est inspiré de La Cité de Dieu de Saint Augustin dans laquelle les démons décrits par Augustin apparaissent et disparaissent à volonté, alors les squelettes sont trompeurs et corrupteurs de l’âme humaine.
Des apparitions soudaines et de non moins soudaines disparitions remettent en cause notre perception de la réalité. Ce n’est peut-être pas explicite chez Méliès mais la manipulation de la perception du lecteur/spectateur est fondamentale dans l’écriture d’un scénario d’horreur. L’autrice et l’auteur jouent entre l’illusion et la réalité pour créer un sentiment de malaise et d’incertitude. On nous donne à voir ce que perçoit un personnage mais ce qu’il perçoit est-il fiable ? Nos sens altèrent la réalité.
La figure du squelette relève d’une représentation de la mort et du macabre issue du théâtre et de la littérature gothique. En soi, cette figure n’est rien d’autre qu’une évocation de la mort. D’autres figures ont une fonction symbolique tout à fait similaire, les spectres par exemple. C’est l’âme séparée du corps, pourtant, à travers eux, il y a cette notion d’inachevé, de regrets.
Il y a une idée que nous pouvons tirer de La Caverne Maudite : cette caverne, sombre et mystérieuse, ne sera-t-elle pas une métaphore pour notre inconscient ? Les squelettes seraient alors autant de pensées, souvenirs et pulsions qui surgissent inopinément dans notre esprit. En pénétrant dans cette caverne, c’est à une réflexion en nous-mêmes que nous nous livrons.
C’est maintenant le temps d’affronter nos peurs et nos angoisses que nous refoulons ou sciemment ignorons. Dans les mythes et autres légendes, la caverne est un lieu de renaissance : nous devrions donc en sortir vainqueurs ou dit autrement, transformés.
Cet aspect obscur de la caverne symbolise les limites de notre conscience. Mais il nous influence.
Le passé s’invite dans le présent
Ces squelettes qui virevoltent dans le dédale de notre psyché sont ceux de notre histoire personnelle, de notre héritage culturel et peut-être même, si l’on emboîte le pas de Carl Gustav Jung, l’histoire collective de l’humanité.
Ce que l’on peut déduire, non pas de Méliès lui-même mais de sa fantaisie, est que le passé sort de son temps et partage notre présent. Cette simultanéité qui brise la linéarité du temps est fascinante à étudier. Henri Bergson considérait même le passé dans une durée qui lui permettrait alors de coexister avec le présent.
Quelques conseils
Une perspective singulière
Dans l’horreur plus que dans tout autre genre, la réalité nous est donnée à travers le regard singulier de chaque personnage. Tout comme ce narrateur dans le Fight Club (1999) de David Fincher.
Il vous faut donc une perspective subjective. On ne voit que ce que le personnage voit. C’est-à-dire qu’il y a autre chose dans une scène qui est hors-champ en quelque sorte mais dont, en tant que lecteur/spectateur, nous percevons la présence cachée. Dans It Follows (2014) de David Robert Mitchell, les scènes dans lesquelles l’entité apparaît aux yeux de Jay nous sont d’abord destinées afin que nous partagions l’angoisse du personnage. Mister Badabook (2014) de Jennifer Kent utilise un procédé similaire. Cette perspective est souvent ce qui permet de rajouter le terme psychologique au genre horrifique dont se réclame l’œuvre.
Altérer la réalité, c’est vouloir confondre réel et imaginaire. C’est très évident dans La Caverne Maudite. Plus modernes sont les drogues, les troubles mentaux ou l’invention de phénomènes surnaturels bien que ceux-ci sont souvent des resucées ingénieuses et quelque peu novatrices de phénomènes déjà exploités par ailleurs. Jacob dans L’échelle de Jacob (1990) de Adryan Lyne ne fait plus la différence entre ses visions et la réalité. Peut-être que ce qui ne semblait qu’être des hallucinations est plus réel que le réel.
Pensez aussi à la perception du temps. Ne respectez pas l’ordre chronologique des événements ou bien ne montrez que des moments des événements passés. La confusion qui s’ensuit chez le lecteur/spectateur crée une anxiété contre laquelle il est vain de lutter : nous sommes ainsi fait.
Le refoulé
Si votre scénario s’y prête, utilisez une métaphore pour signifier l’inconscient (comme la caverne dans La Caverne Maudite). Ce procédé rhétorique permet d’exprimer ce que nous refoulons habituellement comme nos peurs et nos culpabilités. Ainsi, vous ne vous contentez pas d’une approche superficielle, vous ne faites pas que montrer, vous cherchez l’effroi là où il se terre. Par là, nous interprétons vos symboles et vos métaphores, ce qui donne à votre récit une ampleur qui a un effet cathartique sur nous et révélateur aussi. Dans L’orphelinat (2007) de Juan Antonio Bayona, la maison abandonnée et les amis invisibles de Simon traduisent les souvenirs et la culpabilité que Laura ne saurait affronter. Eden dans Antichrist (2009) de Lars von Trier est notre propre psyché encombrée de peines, de culpabilités et de nos pulsions primitives.
Des symboles
Ce sont des évocations. Le macabre, par exemple, sera autant passionnant à écrire pour l’auteur et l’autrice qu’à lire pour le lecteur/spectateur lorsqu’il s’expose en symboles. L’intérêt est de suggérer plus que de montrer. Ainsi, dans Le projet Blair Witch (1999), les totems et les tas de pierres sont des symboles de la présence du mal. L’armée des Ténèbres (1992) de Sam Raimi met au cœur de son intrigue le Livre des Morts pour signifier le mal.
Certes, la suggestion est moins viscérale que dans d’autres moyens d’expression.
Refus de la continuité
L’horreur s’accommode mal de la logique. Elle rompt avec la réalité : le surnaturel ou plus généralement ce qu’on ne peut immédiatement expliqué amènent un sentiment de déséquilibre et d’incertitude. C’est l’intrusion du fantastique dans le familier. L’Overlook dans Shining (1980) est le théâtre de phénomènes qui nous renvoient vers la folie de Jack entre réalité (le regard de Wendy) et hallucinations. Dans Rosemary’s Baby (1968), c’est l’expérience de la maternité qui est corrompue par le mal.
Bien qu’habituellement dans d’autres genres, l’autrice et l’auteur font la chasse aux incohérences, parfois, dans l’horreur, il peut être bon de désorienter le lecteur/spectateur. Ici, par incohérence, il faut comprendre illogisme comme le principe du récit. Des morts qui reviennent à la vie dans La Nuit des morts-vivants (1968) de George A. Romero est une impossibilité mais comme elle est posée comme un principe, Romero s’épargne de toute explication qui aurait pour conséquence de nous sortir de son récit. David Cronenberg dans Videodrome (1983) entremêle réalité et hallucinations et dénonce même l’influence de la télévision à travers ses images pour nous faire perdre tout repère logique.
L’idée est de briser l’espace et le temps tels que nous les appréhendons.
Le corps et l’âme
Voilà bien un thème assez récurrent qui permet d’aborder l’horreur psychologique. Entre des pulsions physiques et une élévation spirituelle, les personnages oscillent entre les démons plus malins et plus rapides qu’eux et à un contact incorporel avec les dieux de l’éther.
D’autres y verront une métaphore dans laquelle le mal naît dans la société des hommes. Jean-Jacques Rousseau et Thomas Hobbes en ont parlé chacun avec des prémisses différentes. On peut y voir aussi l’éternelle lutte entre la nature et l’homme.
Dans les cas de possession démoniaque ou de transmigration, le corps et l’âme sont alors étudiés comme conscience de soi. Le Témoin du Mal (1998) de Gregory Hoblit interroge par la faculté d’un démon si la conscience demeure après la mort du corps. Session 9 (2001) de Brad Anderson s’intéresse à la perte de soi dans le contexte d’un asile désaffecté. Horribilis (2006) de James Gunn traite du même sujet mais ici, il s’agit d’une invasion du corps par une entité.
L’angoisse existentielle est une réalité, n’en doutons pas. Différents genres en parlent plus ou moins sérieusement mais l’horreur a une manière bien particulière de le faire. D’abord, cette anxiété naît de la conscience de notre mortalité et concomitamment d’une recherche de sens dans un univers qui est totalement indifférent à nous.
L’horreur nous met face à face avec la mort, la corruption de nos corps… Il en émerge un désir de transcendance pour soulager cette terreur bien trop terrestre.