Des points importants
Votre lectrice et votre lecteur investissent dans votre récit du temps et de l’émotion ; ils essaient de résoudre l’énigme. Alors si vous ne leur offrez pas une conclusion satisfaisante, la frustration sera grande.
La solution ne sera pas évidente mais vous aurez été suffisamment prudent pour parsemer votre intrigue d’indices plus ou moins subtiles. Et lorsque la révélation s’éploie dans toute sa clarté, tout prend sens. Il faut donc parvenir à nous surprendre mais nous proposer néanmoins quelque chose qui soit cohérent. Réalisé par Jonathan Liebesman en 2009, The Killing Room parvient à nous surprendre (plus ou moins) lors de sa résolution mais quand on y repense, les indices donnés au fil de l’intrigue font parfaitement sens avec cette conclusion. Harper’s Island (2009) est un whodunnit qui réussit à maintenir le suspense jusqu’à son dernier épisode (ce n’est pas une mince affaire) et quand tout se révèle, on ne peut que saluer le génie des auteurs à avoir construit une si belle intrigue. Dans Durham County, chaque saison est un mystère qui s’enrobe autour de la violence, de la famille, des secrets et le tout d’autant plus puissamment que le lieu de l’action est une petite communauté.
Donc, connaissez votre révélation avant même d’écrire votre intrigue. Sachant cela, lors de l’écriture de cette dernière, vous aurez probablement quelques idées d’indices à implanter sans vous forcer. Ils vous viendront plus facilement à l’esprit. Ce que vous visez, en fait, est la satisfaction de votre lecteur/spectateur. Quand tout s’éclaire et d’une manière qui le surprend encore, il en sera ravi.
D’ailleurs, comme il s’attend aux conventions du genre, alors que vous prouvez presque qu’un personnage est le coupable et que le lecteur/spectateur se dit qu’il est très probable qu’il le soit, persuadé qu’il est de sa connaissance des conventions, donnez un rebondissement en expliquant qu’il est en fait lui-même victime ou bien un allié que l’on ignorait. Les Invitations dangereuses (1973) de Herbert Ross est très manipulateur à l’instar de son personnage principal, Clinton, bien que tous les personnages ont une importance dans l’intrigue qui n’en fait décidément pas des personnages vraiment secondaires. Et, c’est exemplaire de la manière que le personnage apparemment coupable de la mort de Sheila n’est qu’une victime manipulée.
Restons dans les années 1970 et parlons de Le Limier (1972) de Joseph L. Mankiewicz. C’est un vrai tour de force : victime et coupable s’inversent plusieurs fois au fil de l’intrigue. Et Sidney Lumet et son M15 demande protection (1967) nous conte l’histoire d’un traître évident qui n’est en fait que la victime expiatoire d’un complot.
Surtout, je dis bien surtout, ne soyez pas manichéen. Personne, comme dans la vraie vie, n’est ni parangon de vertu, ni se donne pleinement au vice. Vos personnages seront ambigus. Le méchant de l’histoire aura de très bonnes raisons, et que nous pouvons comprendre jusqu’à éprouver de la compassion, d’agir comme il le fait. Et quant au héros ou à l’héroïne, ils feront certainement des choix moralement discutables (du moins selon la morale admise dans nos sociétés du vivre ensemble).
La solution de l’énigme ne fait donc pas tout pour la qualité de votre récit. The Sinner (2017-2021) par exemple nous donne l’identité du coupable immédiatement mais c’est pour mieux se livrer par la suite à une véritable investigation psychologique qui rend les concepts de bien et de mal totalement obsolètes.
Car déplacer ainsi l’intérêt du qui vers le pourquoi a pour visée de nous passionner pour l’être fictif. Mais dans le cas d’un whodunit ? Connaître qui a commis le crime est totalement absurde. Pourtant, c’est possible. On ne peut que révéler une partie de l’identité du coupable : on assiste à l’iniquité par les yeux du meurtrier mais sans jamais voir son visage, seulement sa silhouette ou peut-être un trait distinctif (toujours utile pour nous orienter sur des fausses pistes).
Une autre idée est celle d’un faux coupable, c’est-à-dire un personnage qui présente presque toutes les preuves d’une culpabilité pour ensuite déconstruire cette perception sciemment erronée dans l’intrigue principale ou peut-être une intrigue secondaire dans laquelle la psyché du personnage faussement incriminé pourrait être étudiée.
Quand il y a plusieurs suspects et que le coupable se cache parmi eux, l’étude de chaque personnage en est plus intéressante. C’est le cas de Cluedo (1985) de Jonathan Lynn. Tandis qu’on se demande qui est qui, le récit en profite pour fouiller dans notre propre psyché.
C’est de la folie collective. On connaît déjà un ou plusieurs des responsables mais la surprise est que tous les coupables ne nous sont pas donnés immédiatement. Dix Petits Indiens (1945) de René Clair expose que chaque participant invité sur l’île est à la fois victime et coupable. La vérité n’est jamais quelque chose de simple.
Des motivations
Ne vous contentez pas d’élaborer une enquête. Expliquez le passé du criminel, ses traumatismes, ses relations, ses conflits personnels. Cela n’a pas pour visée de lui donner des circonstances atténuantes mais vous le rendrez passionnant ; il ne sera pas une caricature. Zodiac (2007) de David Fincher ne nous révèle pas l’identité du tueur tout en nous invitant dans la psyché d’un criminel à travers des indices qui révèlent un esprit assez brillant.
Trouvez à vos criminels des qualités positives ou des vulnérabilités afin de les humaniser. Pendant qu’il ourdit ses plans machiavéliques, faites-le caresser un chat lové sur ses genoux. L’idée en somme est de refuser de croire que nous agissons seulement par instinct, conformes en cela avec la bestialité de l’animal que nous sommes. Le crime, tout comme la violence en général, est affaire de société et de culture.
Jouez avec les dilemmes moraux du criminel : le poids de la culpabilité sera contrebalancé par son désir d’échapper à la justice des hommes (ou peut-être à une justice divine, si le personnage se prête à cette croyance). Cela rendra le personnage bien plus difficile à confondre car ses comportements sembleront irraisonnés, ce qui ne facilite pas la tâche de l’enquête.
A propos de croyance, un criminel se convainc qu’il agit moralement. Cela engendre aussi un dilemme quand il prend conscience de ses actes. Dans L’homme qui voulait savoir (1988) de George Sluizer, Raymond se juge rationnel et moral. Son acte criminel est une expérience. Il se distance ainsi de la gravité de celle-ci. Au contact de Rex, cependant, la souffrance et l’obsession de celui-ci déchire émotionnellement la coquille rationnelle de Raymond. L’obsession de Rex de connaître la vérité rapproche Raymond de lui. Et cette similitude fait que Raymond commence à se questionner sur ses propres motivations.
Dans La piel que habito (2011) de Pedro Almodovar, Robert Ledgard se convainc lui aussi que ses expériences éthiquement très discutables sont tout à fait justifiées. D’abord, il y a le traumatisme de la mort de sa femme. Cela nous le comprenons et le partageons.
Tout comme Raymond dans L’homme qui voulait savoir, Robert est obsédé par sa volonté de recréer sa femme disparue. Seulement son cobaye acquiert progressivement une personnalité et la distance entre création et créateur s’estompe tandis que le dilemme de Robert se met en place.
Le dilemme moral se manifeste par une perte de contrôle de la situation par le criminel, situation maîtrisée jusqu’au moment où les circonstances lui dessillent les yeux sur ses actes.
Et si nous commettions un crime pour éviter un mal plus grand. Dans London House (2015) de David Farr, Jon et Theresa perçoivent leur vie sans enfant comme une menace existentielle. Cela les aveugle sur la gravité de leurs actes envers Kate et Justin. Dans Revanche (2008) de Götz Spielman, Alex, que l’on peut qualifier de voyou, tombe amoureux d’une prostituée. Pour la sortir de ce chemin, il décide de braquer une banque.
Un homme tout à fait ordinaire décide de faire exploser des bombes dans Mumbai si des terroristes ne sont pas libérés. Ce qui pousse cet homme ordinaire à agir de la sorte dans A Wednesday! (2008) de Neeraj Pandey, c’est qu’il veut forcer le gouvernement à prendre de réelles mesures contre le terrorisme : un mal contre un mal.
Être loyal envers une idée ou une communauté est admissible. Seulement si, en pratique, cette idée ou cette communauté heurte nos convictions morales, on est alors pris dans un dilemme. Par conséquent, un soi-disant méchant de l’histoire sera loyal mais éprouvera un malaise lorsque le respect de sa loyauté le fera se questionner. Günther Bachmann, dans Un Homme très Recherché est tout à fait fidèle à sa mission de contre-terrorisme. Parfois, néanmoins, il est gêné par les méthodes des services secrets. Bachman est un anti-héros, il n’est pas un antagoniste au sens précis du terme. Cependant, il éprouve un dilemme lorsqu’il doit décider de sacrifier un homme pour un plus grand bien ou alors suivre sa conscience et de se trahir lui-même en quelque sorte.
Considérons maintenant Alejandro Gillick (antagoniste dans Sicario (2015) de Denis Villeneuve). Gillick, motivé par un désir de vengeance personnelle, est convaincu de sa mission. Il est un agent de la CIA et il justifie ses méthodes extrêmement violentes par la nécessite de combattre un mal plus grand. Cependant, sa proximité avec Kate (l’héroïne idéaliste) le fait douter et prendre conscience de la gravité de ses actes accomplis lors de ses missions.