ÉCRIRE LA SF – 36

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Qu’est-ce qu’un concept novateur ?

C’est sur lui que repose toute l’architecture de votre récit. Le brainstorming Et si… est la méthode très efficace pour vous ouvrir une multitude de possibilités. Et si… le voyage vers le futur s’avérait possible (des scientifiques sérieux l’affirment) ; Et si… une intelligence artificielle devenait consciente d’elle-même (pourrait-elle croire en un dieu ?) ; Et si… l’Atlantide était découverte et peuplée ; Et si… la physique quantique devenait notre physique (rendant toutes nos convictions et préjugés obsolètes en la matière).

Le concept est ce qui vous permet d’écrire votre récit : vos personnages, votre intrigue, votre monde et ses limites. Lorsque vous avez déterminé votre concept ou, dit autrement, défini ce dont vous souhaitez nous entretenir, précisément, dans cet entretien, dans votre discours, germent des questions (nous vous interrogeons indirectement à travers votre récit), nous extrapolons vos idées dans des directions que vous n’avez pas imaginées mais qui sont pourtant précisées par ce que vous nous dites, en un mot, nous imaginons des conséquences à votre imaginaire.
C’est une forme de participation à votre expression d’où l’importance de respecter l’intelligence de votre lecteur/spectateur et de lui faciliter tout à la fois la compréhension de votre discours. En un mot encore : distinguez-vous (c’est parfois difficile mais surtout dans la recherche documentaire sur votre sujet car, une fois que vous savez de quoi vous parlez, vous pouvez avec quelques précautions nous le transmettre).

Observez la réalité et ses tendances : votre sujet se trouve déjà là. Alors extrapolez ! Brisez les limites apparentes, il se cache certainement un devenir que vous sentirez peut-être confusément au début mais bientôt, vous l’aurez suffisamment illuminé.

Les associations ne sont pas seulement un procédé rhétorique ou psychologique. Associez deux idées qui semblent ou qui n’ont d’ailleurs aucun rapport entre elles et édifiez votre nouvelle idée en les éclatant ou en les réunissant. Jouez avec l’induction : d’une simple observation (et peut-être bien la plus prosaïque qui soit, une expérience banale), faites-en une généralisation de votre monde !

The LobsterCounterpartSouvenez-vous qu’en fiction (et pas seulement en science-fiction), tout est plus grand que nature. Et puis, l’originalité n’est pas votre but. C’est la manière dont vous nous présenterez votre projet qui retiendra notre attention.
Brandon Cronenberg dans Possessor (2020) pousse par exemple à l’extrême la notion de contrôle mental. Il accuse littéralement le progrès technologique de cette déviance. Le passionnant mais esthétiquement compliqué The Lobster (2015) de Yorgos Lanthimos revisite le grand thème très traditionnel de la relation amoureuse (en ce sens, il va bien plus loin que Stendhal et son De l’amour (1822). Quant à la série Counterpart (2017-2019) de Justin Marks, elle nous apporte dans notre présent (ou du moins ce qui lui ressemble) l’existence de réalités parallèles et d’autres nous-mêmes. Et si… voyez-vous !

La cohérence du monde

Nul doute qu’en fiction et singulièrement en science-fiction, la cohérence et la vraisemblance du monde fictif sont des impératifs.
Vous avez dit fictif ? Mais votre univers existe, là dans votre pensée en tant qu’autrice, auteur, lecteur et lectrice. Et ce qui existe, nous l’expérimentons. Et ce que nous expérimentons, nous cherchons à lui donner un sens. En donnant une cohérence à un univers imaginé, vous nous permettez, en tant que lecteur/spectateur, de juger des actions et des conséquences de vos personnages au sein de cet univers. Blade Runner (1982) de Ridley Scott nous invite à parcourir un univers richement détaillé (ce qui lui confère immanquablement de la vraisemblance). C’est un monde à l’esthétique sombre, gravement pollué et surpeuplé mais, cerise sur le gâteau, et qui est cause de cette dystopie : technologiquement avancé.

Les détails sont si précis qu’ils en sont tangibles. C’est-à-dire que notre imaginaire leur donne une solidité qui a demandé du travail aux auteurs (Hampton Fancher et David Webb Peoples) avant de nous en proposer un produit fini. Le récit nous est conté du point du vue du protagoniste, c’est par lui que nous découvrons cette Los Angeles qu’on nous prédit et dans laquelle nous recherchons désespérément du sens à notre humanité, à ce qu’est la conscience et l’âme symboliquement représentées par les réplicants.
Nous pouvons juger des actions tant humaines que des réplicants selon le principe de cet univers et c’est alors seulement que les dilemmes moraux (au cœur du récit) prennent vraiment leur signification.

The man from EarthJe l’ai déjà dit : la science-fiction est essentiellement une extrapolation de choses qui existent. Je peux même parler de vérisimilitude car dans l’acquisition des connaissances du monde fictif, nous discernons un processus semblable dans notre monde réel. C’est une méthode très scientifique où reproduire un phénomène est le fondement de toute théorie.
A propos de science, pour que The man from Earth (2007) de Richard Schenkman et Jerome Bixby, et bien que Bixby ne soit pas un scientifique à proprement parler, soit possible, les notions d’anthropologie, d’Histoire et de biologie participent de ce huis-clos intellectuel à propos de l’éternité.

Profondeur psychologique, motivations & évolution

Élaborer des personnages, c’est-à-dire des êtres de fiction, c’est adopter une conception existentialiste de l’humanité. Ainsi, suivant Sartre, l’individu se distingue par ses actions et ses choix plutôt que par une nature déterminée. L’individu n’est ni héros, ni méchant de l’histoire, il se réalise dans des situations et des circonstances.

Dans la science-fiction, ces circonstances sont surtout l’occasion de dilemmes moraux et éthiques face aux avancées de la technologie ou aux rencontres avec d’autres formes de vie qui n’ont pas vocation à être seulement extraterrestres. Une IA qui prend conscience d’elle-même justifie son existence. Pour l’héroïne et le héros de science-fiction, la question de l’épreuve est de remettre en cause ses propres valeurs. Le personnage se définit dans l’expérience.

Qu’on se représente cette force vitale qui anime les êtres vivants (animal et végétal s’entend). Cette force est une impulsion qui nous tire vers le meilleur de nous-mêmes : s’affirmer, se dépasser, se réaliser. Cela participe de notre création artistique comme du progrès humain en général, du moins d’après Friedrich Nietzsche.

On exige d’un personnage qu’il ait des motivations claires pour agir. N’est-ce pas la volonté d’un héros ou d’une héroïne de repousser les conditions humaines au-delà de limites supposées ? N’est-ce pas la volonté d’une force antagoniste de vouloir remodeler la réalité (dans la science-fiction par le moyen de la technologie) ?

La destinée d’un personnage se nomme arc dramatique. Cet arc qui se décompose en quelques étapes majeures débute par des croyances initiales qui sont défiées par des épreuves au cours de l’intrigue et par lesquelles le personnage s’en trouve transformé. Quel que soit le genre de votre récit, pensez cette évolution. Elle est nécessaire pour que le lecteur/spectateur demeure dans le récit : l’histoire personnelle d’un homme ou d’une femme ou de quelque être qui possède de tels traits est bien plus fascinant qu’une série d’événements aussi extraordinaires qu’ils soient.

Freud a insisté sur le principe de plaisir qui consiste à obtenir une satisfaction immédiate faisant fi de toute tentative de raisonnement. En extrapolant cette idée, qu’est-ce qui nous empêche de concevoir une IA qui succombe à ses pulsions primitives ? Entre nos pulsions et nos aspirations plus élevées, enfantine encore, l’IA ne cherche qu’à se préserver et à s’épanouir.
L’être humain est fait de mécanismes de défense : perception erronée mais protectrice, déni ou sublimation à travers la science (dans la science-fiction). David (A.I. Intelligence Artificielle de Spielberg) est programmé avec un puissant désir d’amour maternel et le déni de sa nature artificielle est un mécanisme contre sa réalité d’IA. Et la collection d’objets par Wall-E, n’est-elle par un moyen pour lui d’échapper à sa programmation initiale ?

Le conflit au cœur de toute intrigue

En science-fiction, la tension naît de la dialectique (un frottement entre deux concepts) entre l’ordinaire et l’inconnu, entre le présent et l’avenir (ou le devenir). L’autrice et l’auteur de science-fiction partent de notre réalité actuelle et imaginent ce qu’il pourrait bien lui advenir. Ce n’est pas toujours un avertissement comme le ferait un conte de fée parce qu’un conte sert à cela, non, ce serait plutôt une projection pour nous inciter à réfléchir sur nos choix actuels à travers ceux d’un être fictif souvent déjà jeté dans le futur (que celui-ci soit dystopique ou non).

Le mot exact serait paradigme. La science-fiction critique nos modes de pensée actuels. Cela nourrit à la fois l’intrigue mais aussi l’évolution du personnage parce que ce sont ses croyances qui sont remises en cause. Chaque épisode de Black Mirror (2011-2014 puis 2016) de Charlie Brooker, bien que cette série soit multi-genres, elle interroge les conséquences des nouvelles technologies (réseaux sociaux, réalité augmentée, intelligence artificielle ou surveillance de masse par exemple) et dans le même coup, les personnages sont forcés de réévaluer leurs idées lorsqu’ils sont face à des dilemmes éthiques quand ils prennent conscience de leur propre aveuglement face aux modèles technologiques imposées.

L’altérité est aussi une source de conflits. Elle interroge notre nature humaine. La finalité de la science-fiction est de nous aider à nous définir en tant qu’êtres humains. Que ce soit à travers les yeux d’un enfant (E.T. l’extraterrestre de Spielberg) ou une invasion (L’Invasion des profanateurs de sépultures (1956) de Don Siegel), le conflit surgit de notre rencontre avec l’autre. Et cet autre est bien souvent nous-mêmes.

Le progrès et ses conséquences est aussi un des grands thèmes de la science-fiction. Ce qui est utile et intéressant aujourd’hui peut devenir machiavélique. Quand on prend conscience de tels dilemmes, notre soif de connaissances ne nous mènerait-elle pas à notre propre destruction ? Phase IV (1974) de Saul Bass démontre avec brio que notre désir de comprendre la nature à des fins de la manipuler ne peut mener qu’à des catastrophes. Dark Star (1974) de John Carpenter met en avant que la technologie lorsqu’elle s’allie à la solitude (trait de caractère proprement humain) ne peut conduire qu’à des décisions désastreuses. Donc le progrès sera bénéfique s’il est compris. Autrement, il n’aura que des conséquences négatives.

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