ÉCRIRE LA SF – 32

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Des personnages proches de nous

En science-fiction, le moins qu’on puisse en dire, est que les univers très spéciaux élaborés par l’autrice et l’auteur sont radicalement différents de nos mondes, car chacun voit son monde à sa porte. Néanmoins, pour que le lecteur et la lectrice demeure dans le récit, il leur faut pouvoir s’accrocher à quelque chose qu’ils reconnaissent comme leur appartenant. Même un être qui n’a rien d’humain sera reçu comme tel s’il présente quelques caractères humains.

Donc, comme nous l’avons vu précédemment, il faut parvenir à créer une tension entre le novum, c’est-à-dire le nouveau et l’étrange car ce qui est nouveau est d’abord perçu comme inconnu donc étranger à nous et un ancrage familier dans une réalité fictive afin que le lecteur/spectateur s’oriente et s’identifie.

The ExpanseLa série The Expanse nous emmène entre Terre, Mars et une ceinture d’astéroïdes : comme arrière-plan, c’est plutôt dépaysant. On nous y parle de propulsion Espstein, de stations spatiales et de terraformation de Mars : peut-être pas du domaine de l’impossible mais encore très spéculatif. Il y est aussi question d’une protomolécule à la fois extraterrestre et possédant des propriétés extraordinaires. Et l’étrangeté du corps des Ceinturiens se rencontre rarement sur notre Terre.

Tous ces éléments novum font que cet univers crée une distance entre lui et nous. Alors les auteurs y ont placé des éléments familiers : des tensions entre superpuissances, une lutte acharnée pour s’approprier les ressources, des mouvements politiques indépendantistes. Ainsi, ce fondement se teinte d’aspects que nous comprenons.
Cela n’est point suffisant cependant. Il nous faut aussi des personnages qui partagent des valeurs, des aspirations, des croyances, des contradictions telles que les nôtres. Dans The Expanse, ce point de vue est celui de James Holden qui nous entraîne à sa suite dans la découverte de cet univers.

Une focalisation

Une technique efficace est de déterminer le point de vue. Par ce regard singulier, le monde fictif nous est expliqué progressivement car il n’y a rien de pire pour nous faire fuir que de nous déverser dans l’esprit une foultitude d’informations d’un seul coup.

Ce qui nous est encore inconnu nous est alors révélé à travers la perception qu’en a un personnage. Cela crée une proximité entre lui et nous.

Ce personnage est lui-même jeté dans des situations auxquelles il n’est pas habitué ou parcourt des lieux qu’il n’a jamais foulé auparavant. Cette innocence fait que nous partageons les mêmes connaissances. Même s’il est un scientifique qui sait exactement de quoi il parle, la situation dans laquelle l’autrice et l’auteur le jette, lui fait se poser les mêmes questions que nous nous posons. La science-fiction est un moyen d’aborder des sujets graves par des métaphores élaborées. Cela crée une distance pour que nous réfléchissions sur notre propre société en s’y détachant.

Les réactions des personnages

Pour interpréter correctement un signe quelconque qui apparaît dans une œuvre de science-fiction, il nous faut comprendre le contexte global. La réaction d’un personnage à une situation ou un événement prise en soi n’a pas véritablement de sens si elle ne fait pas partie d’un ensemble plus vaste de significations. Bien qu’il ne fait que s’approcher de la science-fiction, dans Pi (1998) de Darren Aronofsky, on ne peut s’expliquer la paranoïa de Max face aux chiffres que si l’on a compris ce monde dans lequel les mathématiques révèlent les secrets de l’univers (enfin plus prosaïquement de la Bourse). A Scanner Darkly (2006) de Richard Linklater met en exergue aussi une paranoïa mais les conditions de celle-ci appartiennent à l’univers du conte dans lequel cette drogue qui participe totalement de l’intrigue altère la perception de la réalité. La paranoïa n’a de sens que par relation à cette vérité globale.

Il y a mieux même : chaque réaction d’un personnage nous éclaire sur la représentation globale de l’univers fictif qui dans le cadre singulier de la science-fiction nous est totalement étranger et tandis qu’une lumière illumine progressivement cet arrière-plan, celui-ci nous aide à comprendre cette réaction individuelle. C’est précisément ce qu’il se passe dans Another Earth (2011) de Mike Cahill. La toile de fond est la découverte d’une planète jumelle de la Terre dans notre système solaire, ce qui signifie que nous l’avons sous les yeux. La toute première réaction des personnages est de curiosité et d’émerveillement. Ce que notre imaginaire pouvait seul concevoir est maintenant possible.

Tandis que l’intrigue s’éploie, les réactions changent pour laisser place à une angoisse existentielle qui se précise bientôt en un espoir tout empreint de crainte. Même quand on s’en défend, l’aspect religieux recouvre souvent ce que l’on ignore encore. D’autant plus que le thème au cœur du récit est la culpabilité et la recherche d’une rédemption.
Et alors que nous acceptons davantage cette réalité alternative, la décision de Rhoda de tenter sa chance pour un voyage vers cette autre Terre fait sens en regard de cette rédemption.

Pour que la vision de l’autrice et de l’auteur nous atteignent, ils nous donnent des indices. Chaque réaction est un tel indice. C’est ainsi que le comportement de Tetsuo dans Akira (1988) de Katsuhiro Ōtomo porte la vision post-apocalyptique de l’auteur. Et Terry Gilliam dans Brazil (1985) nous livre sa vision satirique d’un futur tout à fait possible par les comportements absurdes de ses personnages. L’autrice et l’auteur ont une intention. Ils ne choisissent pas les comportements, attitudes ou postures de leurs personnages par le hasard ; ils sont délibérément placés là pour nous communiquer cette intention. Ces réactions provoquent en nous des idées, des images, des associations, des implications et toutes ces représentations qui sont simultanées à ce que nous voyons et entendons dans le récit nous aident à interpréter cette intention.

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