ÉCRIRE LE MYSTÈRE – 16

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Les forces et faiblesses dans l’élaboration des personnages

Qu’ils soient héros, héroïnes ou antagonistes, vos personnages ne sauraient être parfaits ou totalement mauvais. Ainsi ils sont plus vraisemblables en tant qu’êtres humains, moins caricaturaux. Chacun d’entre eux gagneront à posséder des qualités comme des défauts qui ne manqueront pas de créer en eux des conflits.

Les InfiltrésBilly Costigan et Colin Sullivan des Infiltrés (2006) de Martin Scorsese offre une dualité morale tout à fait fascinante. Chacun d’eux se définit par leurs qualités : Billy est courageux, dévoué et capable d’empathie alors que Colin se montre plutôt intelligent, charismatique et surtout ambitieux. Mais des qualités seules ne définissent pas un être humain (même fictif). Des défauts viennent ternir leurs personnalités : Billy est impulsif, instable et enclin à la violence alors que Colin est manipulateur, égoïste et déloyal.

De la dialectique qui se dégage entre qualités et défauts, nous pouvons déterminer que Billy, qui a infiltré le milieu, hésite entre son devoir et la nécessité de gagner la confiance des autres. Il mène donc une double vie dont l’une lui fait commettre des actes illégaux ou du moins moralement ambigus ce qui l’affecte si puissamment qu’il consulte une psychiatre pour l’aider à se débarrasser de ses envies de suicide.

De son côté, Colin est aussi une taupe mais au sein de la police. C’est un fait qu’il est corrompu mais parfois, il doute comme dans la vraie vie surtout face à Madolyn dont il est l’amant mais à qui il cache sa double identité. De plus, il éprouve une véritable admiration pour certains de ses collègues.

Comment cette dualité morale se manifeste t’elle ? William Monahan le scénariste a construit Billy et Colin en les inversant : Billy est le bon flic qui joue les mauvais alors que Colin est le mauvais flic qui joue les bons. Et cela se montre dans leurs actions : Billy commet des actes criminels qu’il réprouve pour maintenir sa couverture tandis que Colin agit en bon flic pour écarter les soupçons. Ces deux hommes mènent conjointement une double vie et ils luttent avec leur identité et les choix qu’ils font ; cela les humanise davantage.

Mystic RiverMystic River (2003) de Clint Eastwood se sert des forces et des faiblesses de ses personnages pour créer des dilemmes moraux. C’est assez difficile pour l’autrice et l’auteur de mettre en œuvre des dilemmes. Le passé des personnages peut être utile. Ainsi, Jimmy est un ancien criminel traumatisé par la mort de sa fille. Dave fut la victime d’abus sexuel au cours de son enfance et Sean est le témoin impuissant de l’enlèvement de Dave et ce souvenir est particulièrement incapacitant.

Quels sont ces dilemmes ? Chez Jimmy, il y a un désir de justice. Mais peut-il faire confiance au système judiciaire ? Il nous est présenté comme un homme bon et est respecté au sein de sa communauté. Son dilemme réside dans une simple question : l’homme bon qu’il est devenu peut-il commettre l’irréparable pour venger un être cher ?

Quant à Dave, il est déchiré entre normalité et les séquelles de son traumatisme. Le coup de génie ici est non pas de donner à Dave un dilemme sur ce qu’il devrait faire ou dire, sa blessure est grandement suffisante ; non, le dilemme porte chez les autres : jusqu’où peut-on lui faire confiance ?
Pour Sean, c’est plus facile. Il est enquêteur et son dilemme se constitue alors de son devoir professionnel et de sa loyauté envers ses amis. Brian Helgeland qui a adapté le roman de Dennis Lehane a complété ce tableau par les relations difficiles que Sean entretient avec sa femme.

Donc, réfléchissez d’abord aux motivations qui animent vos personnages et faites en sorte du moins dans l’écriture de mystère qu’elles brouillent par les actions qui en émanent la distinction entre le bien et le mal. En un mot, fuyez le manichéisme. Ensuite, attachez-vous au passé de vos personnages car celui-ci décide de leurs comportements actuels.
L’idée en somme est de parvenir à faire de vos personnages des êtres imparfaits ce qui fait d’eux des êtres profondément humains.

Restons avec Dennis Lehane et son personnage de Teddy Daniels (Shutter Island (2010) de Martin Scorsese).

Shutter IslandLa dialectique qui s’organise autour des qualités et des failles de Teddy fait que nous ne cessons de questionner ses motivations et ses actions tout comme lui d’ailleurs. Ce qui m’amène à conseiller, si vous m’y autorisez, à lister les qualités et les manques de chacun de vos personnages. Prenons l’exemple de Teddy : il est déterminé et persévérant, intelligent, observateur (qui est une autre manière de dire empathique) ; il affronte le danger et sa loyauté envers son partenaire ou ses convictions d’ailleurs ne peut être remise en cause.

Face à ces vertus, Teddy est profondément traumatisé par ses expériences de guerre et la perte de sa femme. Il est enclin au déni (un trait très humain) et cela a pour conséquence qu’il se ment à lui-même en tentant de maintenir une image de soi positive. Son obsession à découvrir la vérité le rend émotionnellement instable et il a un problème avec l’alcool.

Il ressort un conflit personnel de cette manière de créer en un personnage des vices et des vertus dont le personnage ne peut se départir tout au long de l’intrigue. Et c’est bien pour cela que nous, en tant que lecteur/spectateur, sommes fascinés par lui.

personnageJake Gittes de Chinatown (1974) de Roman Polanski a certainement plus de vices dans sa personnalité et de préjugés que n’importe quel autre héros ou héroïne. Néanmoins, ces aspects négatifs sont précisément ce qui le rend plus réaliste que beaucoup d’autres. Tout comme nous, il est un homme avec ses forces et ses faiblesses. Bien-sûr, il est un héros fictif de l’imagination, il n’empêche.

Cette façon de faire me rappelle la théologie apophatique (ou négative) de Denys l’Aéropagite : cette méthode consiste à décrire Dieu en termes de ce qu’il n’est pas plutôt qu’en termes de ce qu’il est. Certes, ce n’est qu’une approche un peu vague pour dire que le rejet des attributs positifs chez un être ou du moins comme ici où Gittes se définit essentiellement par ses attributs négatifs, en les transcendant, c’est-à-dire en ne tenant pas compte de ce qu’ils signifient (et vous pouvez vous inspirer de n’importe quelle négation pour vous exprimer), vous atteignez à la véritable nature humaine.

Les préjugés de Gittes ont une autre signification. Ils sont représentatifs du contexte de Gittes, c’est-à-dire les années 1930 et leurs partis pris contre les femmes et les minorités. En somme, Gittes est un produit de son époque.
Évidemment, Gittes montre des moments où il est vulnérable comme tout être humain. Et surtout, commencer par les aspects négatifs permet à l’autrice et l’auteur de poser les bases d’un arc dramatique au cours duquel le personnage apprend et change. Je me demande d’ailleurs jusqu’à quel point nous-mêmes nous nous reconnaissons en Gittes.

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