Des univers alternatifs
La construction de monde est une tâche qui vise à différencier la science-fiction des autres genres. La science-fiction crée souvent des mondes entièrement nouveaux ou des versions radicalement modifiées de notre réalité, et contrairement à d’autres genres qui se contente de peindre le monde tel qu’il est, la science-fiction construit et explique des sociétés, des technologies et des environnements nouveaux.
Prédestination (2014) de Michael et Peter Spierig construit son univers autour du concept de voyage dans le temps. Si vous pensiez que Inception de Nolan est difficile à suivre, accrochez-vous à Prédestination. Ce récit crée un univers où une agence temporelle travaille secrètement pour prévenir les crimes avant qu’ils n’aient lieu.
Les Spierig construisent méticuleusement les règles de ce monde : comment fonctionne le voyage dans le temps, ses implications paradoxales, et comment il affecte la société et les individus. C’est bien plus qu’une simple présentation de cette technologie. Ici, nous en explorons les conséquences sur l’identité, le libre arbitre et la causalité.
La construction du monde dans Prédestination est liée à l’intrigue dans laquelle le passé, le présent et le futur s’entremêlent. Cette approche qui consiste à nier le temps est essentielle à l’histoire car ce qui paraît être un simple thriller aborde frontalement les paradoxes temporels et leurs implications philosophiques.
The Vast of Night (2019) de Andrew Patterson nous propose une approche très singulière. Situé dans les années 1950 dans une petite ville du Nouveau-Mexique, le récit crée un lieu où l’extraordinaire s’immisce dans l’ordinaire. Ce que l’atmosphère de mystère et de tension suggère est la présence d’une réalité alternative sous le vernis du quotidien.
Comment une technologie avancée (potentiellement extraterrestre) pourrait affecter une communauté isolée ? Est-ce une rencontre du troisième type ?
La construction du monde dans The Vast of Night se fait principalement à travers les sons, les dialogues et l’atmosphère. Cette approche permet de transformer une nuit ordinaire dans une petite ville en une exploration fascinante des mystères de l’univers.
Extrapolation
C’est le maître-mot en science-fiction. Comment des avancées scientifiques et technologiques transformeraient la société, la culture et notre expérience humaine ? C’est souvent la force des idées et la profondeur de l’exploration des conséquences des avancées technologiques qui font la valeur d’une œuvre de science-fiction.
Considérons Cube (1997) de Vincenzo Natali dans lequel science-fiction et psychologie font un mariage heureux. Qu’ont fait les auteurs avec cette structure cubique ? Ils ont tiré d’une forme simple comment une technologie devient déshumanisante et aliénante. L’art minimaliste de Cube est un choix esthétique important parce qu’il est le moyen d’expression visuelle le plus adéquat pour transmettre des idées très abstraites. L’aliénation par exemple est marquée par la répétition de formes.
Ces formes géométriques (ici, un cube mais ce peut être des carrés, des lignes droites) ne présentent aucune éraflure émotionnelle : elles sont totalement neutres. Quand on écrit un scénario comme Cube, ce qu’on cherche à dire, c’est l’interaction entre l’objet, l’espace et un observateur. L’objet (ici, une structure cubique) n’est pas un décor sans âme, ni intelligence. Il influence et est influencé par les personnages. Cette interaction dynamique explique le thème de l’aliénation, de la déshumanisation et de la lutte pour survivre dans un monde technologique apparemment hostile.
Cube laisse transparaître l’idée que la technologie est une forme moderne de totalitarisme à travers le contrôle social. Chaque action des personnages est étroitement surveillée et éventuellement punie. Ces personnages ne sont d’ailleurs que des numéros ou des fonctions, ils ne sont plus des personnes dans un tel système.
Mais c’est par le collectif et sa dynamique que l’individualité sera sauvée.
Un effet de distanciation
La science-fiction crée des mondes à la fois familiers et étranges. Elle nous jette à la face notre propre réalité mais sous un angle qui autorise une critique sociale et culturelle.
La Jetée (1962) de Chris Marker est un court-métrage expérimental qui opère sur cet effet de distanciation pour mettre en œuvre une telle critique.
Nous sommes dans un Paris post-apocalyptique à la fois reconnaissable mais étrangement altéré. Ces images fixes crée un sentiment d’étrangeté mêlé à l’ordinaire. Chris Marker fait appel à un décalage qui consiste à situer l’histoire dans un futur plus ou moins lointain qui est aussi une temporalité alternative tout comme l’autrice ou l’auteur qui font des univers alternatifs mais dans La jetée, ce qui est visé est de créer une distance entre le monde de La jetée et la réalité du lecteur/spectateur.
Cette dissociation permet d’examiner des problématiques de manière plus objective.
Saint Augustin s’interrogeait sur le passé qui n’est déjà plus et l’avenir qui n’est pas encore. Chris Marker fait de même. Il crée un décalage temporel pour démontrer la subjectivité de la mémoire. En effet, il met en doute la fiabilité de notre propre perception du passé. Cette incertitude produit une distance qui nous pousse à questionner notre propre histoire personnelle.
A la manière de Brecht qui interrompait son récit lorsque le personnage s’adressait directement à son public afin que celui-ci comprenne que ce n’est qu’un jeu, Marker avec sa structure non linéaire rompt l’attente du lecteur/spectateur habitué à consommer les récits sans prendre la distance nécessaire par rapport à ceux-ci. Dans quel but ? Mais parce qu’un récit peut être fortement subversif. Remarquons que Christopher Nolan dans Tenet reprend cette idée que le futur influence le passé. Ce qu’il faut retenir, c’est que le passé n’est pas aussi figé qu’il le paraît.
Expliquer
Expliquer les choses, c’est-à-dire comment fonctionne une communauté, une technologie même si celle-ci est très novatrice et hypothétique, apporter un nouvel éclairage sur des lois physiques.. est une particularité de la science-fiction moins pertinente dans d’autres genres. La nécessité d’expliquer les choses en science-fiction découle de la nature même du genre, qui cherche à créer des mondes alternatifs ou des futurs spéculatifs basés sur des extrapolations scientifiques ou technologiques.
Contrairement à d’autres genres qui peuvent s’appuyer sur un cadre seulement familier, la science-fiction doit souvent construire son univers à partir du néant. Cette construction implique non seulement la présentation de nouvelles technologies, sociétés ou phénomènes, mais aussi l’explication de leur fonctionnement et de leurs implications.
L’explication établit la crédibilité et la cohérence. Ce qui est visé est d’obtenir la suspension de l’incrédulité du lecteur/spectateur. La science-fiction nous prend dans un contexte où les enjeux et les motivations sont clairs. Dans tous les genres, nous avons besoin d’un dialogue entre le récit et son lecteur/spectateur de son monde imaginaire, seulement en science-fiction, cette clarté est plus que nécessaire d’où l’effort à faire sur les explications.
Dans Ex Machina (2014), Alex Garland consacre une part importante à expliquer et à démontrer le fonctionnement de l’intelligence artificielle d’Ava. Le récit détaille sa création, les tests de Turing modifiés, et les implications éthiques d’une conscience artificielle.
Ces explications ne sont pas de simples expositions ; elles participent de l’intrigue et du développement des personnages. Par exemple, les discussions sur la nature de la conscience et de l’intelligence entre Caleb et le créateur de l’IA, Nathan, servent à la fois à nous instruire sur les concepts clés de l’IA et à approfondir les thèmes philosophiques du film.