La construction du monde en S.F.
C’est le processus de création de votre monde : sa géographie, son histoire, ses cultures, ses technologies, ses lois physiques.. et tout ceci s’accompagne de visuels et de sons. En science-fiction particulièrement, le monde est un personnage à part entière, c’est-à-dire qu’il participe de plein droit à l’intrigue. Il lui sert de profondeur mais il en est la condition même. Et il est le support principal des idées exposées par l’autrice et l’auteur.
Dans Planète Interdite (1956) de Fred M. Wilcox, la planète Altaïr IV peut être considérée comme le personnage principal. Ses paysages exotiques créent une atmosphère mystérieuse mais c’est pour mieux contraster avec les structures artificielles construites par les Krell. Ces vestiges d’une civilisation perdue sont au cœur de l’intrigue, notamment la machine qui matérialisent les pensées. Cette machine donne forme à l’inconscient, à nos peurs et désirs refoulés. Elle est l’application des théories freudiennes dans le récit et démontre comment nos sombres pulsions peuvent être destructrices. Vous voulez que vos personnages passionnent votre lectrice et votre lecteur, alors travaillez sur leur conscience de soi.
Planète Interdite se distingue des productions de l’époque car il prétend que la connaissance, du moins certaines connaissances, sont dangereuses pour l’homme. C’est une allégorie que des connaissances de mystères tels que Dieu ou les secrets fondamentaux de l’univers devraient rester mystérieux ou mythologiques. La civilisation des Krell en a fait l’amère expérience dans son hubris de vouloir égaler ou surpasser Dieu.
Le monstre de l’id
Cet id vient de la théorie psychanalytique de Freud. Il représente la partie primitive et instinctive de notre psyché, le siège des pulsions et des désirs inconscients. Il n’est pas le soi. Le soi est l’ensemble de la personnalité d’un individu ; il est à la fois la conscience de soi, l’identité et l’expérience subjective (nous ressentons différemment la même expérience).
Tandis que l’id fonctionne selon le principe de plaisir qui consiste à rechercher la satisfaction immédiate des désirs, il s’oppose au surmoi, qui nous rappelle en quelque sorte à l’ordre et finalement, tout cela se retrouve dans le moi ou ego.
Voir et Ressentir
Pour voir le monde, il est impératif de le détailler. Considérons Dark City (1998) de Alex Proyas.
Dark City présente un monde urbain sombre et dystopique qui mêle en son sein plusieurs genres. On y retrouve des éléments de film noir, de science-fiction et de néo-gothique.
La ville elle-même est un personnage à part entière, constamment en mutation. Les styles architecturaux soigneusement élaborés combinent art déco, gothique et futurisme. Cette atmosphère singulière se communique jusqu’à nous, elle force notre admiration.
La technologie des Étrangers qui consiste essentiellement à altérer la réalité sont visuellement extraordinaires mais elles sont cohérentes avec l’univers décrit. Les costumes aussi sont pensés selon cette esthétique à trois dimensions avec une distinction très nette de l’apparence des Étrangers. A cela s’ajoute le jeu des ombres et des lumières.
Il est prudent néanmoins de juxtaposer autant d’éléments familiers au lecteur/spectateur qu’étranges posés là par l’auteur et l’autrice. Sans ce contraste, le monde créé serait inaccessible.
Pour ressentir le monde, souvenons-nous que notre propre monde est bruyant. Par l’ouïe, nous entendons l’autre, qu’il soit philosophe, prêtre, professeur.. ou simplement le premier quidam venu. Mais par ce sens aussi entendons-nous les bruits du monde. Donnez la vie à votre environnement, faites le venir à l’existence en créant en lui une ambiance.
Lorsque vous créez un monde, vos personnages interagissent et réagissent à leur environnement. Dans District 9 (2009) de Neill Blomkamp, nous sommes dans un Johannesburg alternatif où des extraterrestres sont confinés dans une espèce de favela. Celle-ci est un élément qui appartient au cœur du récit. Le récit ne pourrait se justifier sans cet espace qui influence en permanence les actions et réactions des personnages. D’ailleurs, ce qui est mis en avant est la relation entre l’homme et la technologie des extraterrestres (à travers eux s’entend).
Plus spectaculaire encore est la transformation du personnage principal. Il s’ensuit que ses relations autant avec les humains qu’avec les extraterrestres prennent un tournant décisif offert à notre sagacité car au-delà de voir un être changé radicalement de forme, le récit nous demande de réfléchir sur des points de vue différents des nôtres et envers lesquels nos préjugés sont dévastateurs. Aux côtés de thèmes comme l’exploitation et la peur, Neill Blomkamp et Terri Tatchell pensent aussi à la curiosité et à la compassion et tous ces sentiments nous parlent forcément si ce n’est fortement.
Les émotions
Quand un personnage nous montre ses émotions, elle se communique d’elle-même jusqu’à nous. C’est précisément ce qu’il se produit entre nous et Donnie dans Donnie Darko (2001) de Richard Kelly. Ce qu’il faut s’assurer d’abord, c’est de mettre en place un point d’entrée dans l’univers. Entendu que l’étrangeté de ce monde n’est pas apte à nous attirer et sa complexité est quelque peu rebutante, c’est donc par les luttes intérieures, les confusions et les peurs de Donnie que nous pouvons penser son monde.
Le lecteur/spectateur doit faire un effort néanmoins. Le monde de Donnie Darko est surréaliste. Si nous n’acceptons pas de nous ranger du côté des expériences de Donnie et de comprendre à défaut de véritablement ressentir les émotions qui en dérivent, nous serons déroutés parce que ce sont ses émotions qui nous guident à travers cet univers.
Un univers d’autant plus surréel que nous ne savons pas ce qui est réel et ce qui est halluciné. On ne peut jamais vraiment lever cette ambiguïté alors autant vivre les émotions de Donnie pour apprécier ce récit.
C’est ainsi aussi que les thèmes très abstraits du récit (le destin, le temps, la mort) nous sont rendus plus accessibles voire même assez personnels. Et puis la mélancolie, le mystère, une certaine angoisse existentielle aussi nous parviennent par la sensibilité de Donnie. Ce que cherche Richard Kelly n’est pas de nous exposer de quelconques théories, plutôt de nous faire penser par une sensibilité interposée. Nous recevons les données sensorielles que nous envoie Donnie, et nous en concevons de l’empathie : c’est presque spontané.