Maintenir la continuité des caractéristiques des personnages
La création de personnages cohérents et partant, vraisemblables, est l’un des moments les plus palpitants de l’écriture d’une fiction. Cependant, maintenir la continuité de leurs caractéristiques tout au long de l’intrigue est assez intimidant. Avant même de commencer à écrire, prenez le temps de créer des fiches détaillées pour chacun de vos personnages. Leurs caractéristiques physiques, leurs traits de personnalité qui serviront votre intrigue, une histoire personnelle, des motivations et quelques objectifs et puis, peut-être le plus important, leurs relations avec les autres personnages.
Ces fiches seront vos références. Il y a trois évolutions (ou arcs dramatiques) qui méritent votre attention : celui de votre personnage principal, c’est-à-dire en somme celui par qui le scandale arrive, celui du personnage qui aura le plus d’influence sur le devenir de votre personnage principal et ce ne sera pas nécessairement la force antagoniste ou ce qui l’incarne et le troisième arc sera celui de l’évolution de la relation entre ces deux personnages, sans laquelle on peut certes toujours justifier la présence d’un personnage dans l’intrigue mais sans le vernis émotionnel qui nous fait rester dans l’intrigue.
Vous pouvez écrire au kilomètre si c’est votre manière de faire. Quand l’inspiration nous tient, on s’y accroche. Mais ne vous épargnez pas de relire encore et encore ce que vous avez déjà écrit. Rien n’est figé. Si vous sentez qu’il vous faut réviser une scène, faites-le. Et suivez vos révisions, n’écrasez pas ce que vous avez déjà écrit lorsque vous substituez des dialogues ou des didascalies. Tentez de repérer les éventuels incohérences, en un mot, assurez-vous de la continuité.
Dans la Writer’s Room
Chaque personnage possède son propre espace sur un support (murs, tableaux) qui contient ses informations. Ces espaces sont visibles de tous comme une présence constante de l’être fictif. Les participants à la Writer’s Room débattent souvent à propos de l’évolution d’un personnage. Faites de même. Laissez passer la nuit le cas échéant et puis réinterrogez-vous ou plutôt réinterrogez votre personnage.
Dans une série, quelqu’un est souvent désigné pour s’assurer qu’un personnage agisse et réagisse conformément à sa nature. Cette personne maintient à jour l’arc dramatique du personnage, c’est-à-dire les quelques étapes nécessaires et suffisantes qui expliquent les grands moments de son évolution. Et souvenez-vous, rien ne peut être figé. Jusqu’au dernier moment, il est possible de modifier la fiche d’un personnage selon l’exigence des situations.
Les événements
Les événements s’enchaînent-ils logiquement ? Mais d’abord, que signifie qu’ils aient lieu dans un ordre logique ? Qu’on le veuille ou non, la causalité a son importance dans la construction des récits. C’est-à-dire qu’un événement est le résultat logique d’événements précédents. Lorsqu’une décision est prise, elle est motivée par un événement ou un sentiment préalables qui la justifient.
La temporalité est un autre ordre à respecter. Mais il faut qu’il fasse sens. Même dans les cas d’analepses (des réminiscences) ou de prolepses (des anticipations), il y a une chronologie.
Dans Border (2018) de Ali Abbasi, Tina n’a pas un physique facile mais elle a un don : elle ressent les émotions et les sentiments d’autrui dont leur culpabilité. Donc elle est aux douanes.
Lorsque Tina rencontre Vore qui lui ressemble presque trait pour trait, il est de nouveau logique qu’ils appartiennent tous deux à une même espèce (en fait, ce sont des trolls dans la mythologie nordique). Cette espèce se caractérise par une force surhumaine et un lien très étroit avec la nature : ces deux caractéristiques sont maintenues tout au long de l’intrigue et surtout les auteurs n’introduisent pas de nouvelles capacités pour résoudre les problèmes de celle-ci.
Quand une personnalité est définie et que des motivations sont établies, les actions y correspondent. Arrêtons-nous un instant sur The Square de Ruben Östlund. C’est fou comment Christian réussit à lier actions, motivations et sa personnalité en un tout cohérent. Il est un homme cultivé, privilégié, sûr de lui. Sa motivation est de conserver son statut social et professionnel tout en promouvant des idées progressistes en tant que conservateur d’un musée d’Art Contemporain.
Lorsqu’il est la victime d’un vol, on peut se demander pourquoi il réagit de manière si excessive. Mais c’est une réponse logique de son sentiment de privilège. Avec Anne, son comportement reste distant et calculé expliquant par là qu’il accorde peu d’importance aux relations. Il privilégie une approche intellectuelle du monde, ce qui correspond à sa personnalité et qui constitue aussi sa faiblesse.
Le monde
Persona (1966) de Ingmar Bergman
Un drame psychologique prend place dans un univers. Bergman a en effet élaboré tout un univers psychologique avec une géographie émotionnelle pour Elisabet et Alma. Bergman introduit d’abord Elisabet, une actrice qui a cessé de parler, et Alma, l’infirmière chargée de s’occuper d’elle. Leurs fonctions sont distinctes : patiente et soignante.
La solitude de l’île crée les conditions d’une intimité entre les deux femmes. Par elle, Alma peut se confier à Elisabet. Tandis que Alma parle et que Elisabet écoute, un transfert se fait. Nous sentons bien que Alma parle pour Elisabet exprimant des pensées et des émotions qui pourraient être les siennes.
C’est pourquoi Bergman nous montre tant de miroirs car ces deux femmes sont le reflet l’une de l’autre. La distinction se dissipe. La séquence sur le mutisme d’Elisabet nous est montrée sous les deux points de vue et culmine sur la superposition des deux visages.
On ne discerne plus les expériences et les souvenirs de Alma et d’Elisabet. On a le sentiment que Alma absorbe une part de la personnalité d’Elisabet alors que celle-ci nous paraît transformée par les confidences de Alma. Néanmoins, Bergman ne prend pas position : à nous d’interpréter ce mystère et cette ambiguïté.
Les relations
La ligne dramatique d’une relation est formidable à captiver le lecteur/spectateur. Avant que celle-ci évolue, il faut lui déterminer un point de départ. Quelle est sa nature ? Les personnages sont-ils amis, ennemis, autres ? Quelle est la dynamique de pouvoir qui existe déjà entre eux ? Qu’attendent-ils l’un de l’autre et comment se perçoivent-ils ?
Une relation évolue rarement sans qu’il y ait une raison à cela. Quels sont les événements ou des révélations qui indiquent qu’un changement est possible ? Si nos deux personnages font face ensemble à la même adversité, cette situation altérera probablement la dynamique de leur relation. S’ils étaient distants, cette opportunité les rapproche. Quant à la pression psychologique que la menace opère sur eux, elle révèlera des aspects ignorés de leurs personnalités respectives ce qui modifie la perception qu’ils ont l’un de l’autre.
De là, ils tirent une dépendance mutuelle et se montrent sincères, plus authentiques l’un envers l’autre. Ou au contraire, une révélation ou une trahison peut ruiner une relation que l’on croyait sincère.
Prévoyez au moins quatre mouvements pour dessiner la progression. Lost in Translation (2003) de Sofia Coppola par exemple nous décrit l’évolution de la relation entre Bob, un acteur vieillissant et Charlotte, une jeune femme intelligente. Tous deux se sentent perdus à Tokyo.
D’abord ils se croisent dans l’hôtel. C’est la rencontre initiale et qu’on peut admettre comme l’incident déclencheur de l’intrigue. Il y a entre eux un échange de regards qui établit une espèce de reconnaissance mutuelle d’étrangers dans un lieu qui les déroute.
Une nouvelle rencontre se produit au bar de l’hôtel. Il faut comprendre que l’incident déclencheur n’est généralement pas suffisant pour lancer l’intrigue. Maintenant, ils parlent de leurs vies respectives et de ce sentiment étrange qu’ils ressentent ici à Tokyo. C’est cette expérience mutuelle qu’ils partagent qui lance véritablement l’intrigue. Ce sera la deuxième étape de leur relation.
Maintenant, ils passent du temps ensemble. Ils s’amusent et se livrent mutuellement. C’est la troisième étape qui renforce l’intimité et le sentiment de sécurité à être ensemble. La quatrième étape est l’affirmation de leur attraction mutuelle. Il faut en effet dépasser la simple amitié de circonstance.
Bien-sûr, c’est le discours de Sofia Coppola mais c’est surtout pour nous un sentiment de plaisir et de satisfaction à les voir ainsi se rapprocher. C’est le point médian de leur relation mais souvent un point médian positif est l’indice d’une triste conclusion.
Car la réalité de leurs vies et la différence d’âge créent une tension. Ils connaissent un premier désaccord qui correspond à la cinquième étape où ils prennent conscience des implications de leur relation et des conséquences possibles pour chacun d’entre eux.
Cette cinquième étape est essentielle car c’est à nous qu’elle s’adresse.
La sixième étape est la réconciliation car ils ont compris que leur temps ensemble touche à sa fin. Et c’est une manière de l’accepter. La conclusion est la séparation. Sofia Coppola nous laisse un peu perplexe : est-ce que cette relation changera leur vie future ?