L’importance du style dans les récits de science-fiction
Contact (1997) de Robert Zemeckis
Scénariste : James V. Hart (basé sur le roman de Carl Sagan)
L’intégration de concepts scientifiques complexes dans une narration néanmoins accessible est une compétence plus que nécessaire dans l’écriture de la science-fiction. Il faut simplifier mais sans dénaturer. Dans Contact, la théorie des trous de ver qui parle peu voire pas du tout aux esprits non scientifiques (car la science-fiction est d’abord un divertissement) est expliquée à l’aide d’une simple analogie : une feuille de papier pliée.
Et notre imagination rend la chose bien plus tangible.
Autre point important : les dialogues. Ne nous perdez pas dans des explications laborieuses. Les hommes et les femmes de science possèdent un langage naturel. Intégrez les données scientifiques dans des conversations réalistes. Souvent, les scénaristes font en sorte que l’expert explique au profane (c’est-à-dire nous) les concepts. Palmer Joss, par exemple, sert souvent de contrepoint en posant des questions éthiques et philosophiques.
Le Show, don’t tell est plus qu’important. Les idées abstraites ne sont jamais directes. Montrez-nous les choses. Ainsi, dans Contact, toute la séquence du voyage interstellaire nous donne une représentation, j’insiste, une représentation d’un concept théorique.
Maintenant ne sous-estimez pas pour autant vos concepts scientifiques. Ils participent de l’intrigue, je dirais davantage, c’est par eux qu’elle progresse. Dans Contact, la recherche des signaux extraterrestres et la construction de la machine sont intimement liés aux enjeux personnels et professionnels de Ellie. Et il n’y a pas plus dramatique que des enjeux.
Et puisque nous parlons d’enjeux, pensez aussi aux passions, à l’émotion. Ils permettent d’équilibrer l’aspect plutôt aride de la science pour le quidam. La relation de Ellie avec son père est ce qui la motive de mener à son terme cette exploration scientifique. Et dans une relation, ce sont deux points de vue subjectifs qui se proposent à nous avec leurs contradictions, leurs désirs, leurs besoins et autres aspirations. C’est très personnel, en fait. Non, c’est mieux : c’est humain.
Certes, dans Contact, les concepts invoqués sont compliqués. L’astuce est de les introduire lentement sinon vous risquez de nous abrutir. D’abord, Contact aborde la recherche de signaux radio (on le digère assez vite) mais ensuite, le récit s’attaque au voyage interstellaire et là le scénariste prend le temps de nous l’expliquer tout en maintenant la tension dramatique.
De surcroît, le récit expose des thèmes pertinents. Par exemple, le projet SETI se présente dans un contexte de débats sur le financement de la recherche scientifique.
Ce qui est admirable avec Contact, c’est qu’il pourrait nous faire aimer la science. Contact éduque tout en nous amusant.
Un arc dramatique
Mais Contact ne saurait nous passionner si nous ne pouvions suivre le parcours scientifique de Ellie associé à son évolution personnelle.
Nous faisons connaissance avec la jeune Ellie, passionnée de radioastronomie, et de son père qui l’encourage dans cette voie tout en l’aimant profondément. Mais le père meurt. C’est un traumatisme pour Ellie qui crée un vide émotionnel et tout comme la nature, Ellie a besoin de combler cette absence.
La mort de ce père est en fait l’incident déclencheur de toute l’intrigue. En effet, c’est sur cet héritage intellectuel que se fonde la motivation de la recherche de vie extraterrestre. Un principe qui peut sauver votre écriture, et pas seulement en science-fiction, est que lorsque vous affirmez quelque chose, fondez-le. Donc, Ellie cherche la preuve de signaux extraterrestres. Est-ce suffisant pour justifier l’existence de ce personnage ? Oui mais à condition que cette recherche soit une expression de son désir de communiquer avec ce père disparu. C’est de continuer ce dialogue qui la motive vraiment.
La découverte du signal extraterrestre est une étape majeure de son développement personnel. Certes, c’est la preuve concrète d’une intelligence extraterrestre. Mais c’est surtout la validation de ses croyances contre le scepticisme de ses collègues. Le problème de la foi en général est qu’il nous faut croire sans que nous ayons de preuves solides sur lesquelles nous pouvons affirmer notre croyance.
Paradoxalement, Ellie aussi doutait. Seule sa motivation lui permet de persévérer. Il y a chez Ellie un conflit interne entre la science et la foi. La science, ce sont des preuves empiriques. Face à Ellie, Palmer Joss incarne une perspective religieuse et spirituelle. Néanmoins, leur attirance mutuelle nous dit que science et foi ne sont pas forcément incompatibles. La relation entre Palmer et Ellie, une relation qui possède son propre arc dramatique, est dialectique. Palmer insiste auprès d’Ellie pour qu’elle considère des perspectives au-delà de la rationalité scientifique. Quant à Ellie, elle demande à Palmer de tenter de réconcilier la foi avec les découvertes scientifiques.
De cette dialectique, Ellie est amenée à réfléchir sur la nature de la foi hors du contexte de la science. Et comme elle ne peut apporter de preuve de son contact avec l’intelligence extraterrestre, cela boucle son arc dramatique par sa rencontre avec l’entité extraterrestre qui a pris l’apparence de son père.
Les fils de l’homme (2006) de Alfonso Cuarón
Scénaristes : Alfonso Cuarón, Timothy J. Sexton, David Arata, Mark Fergus, Hawk Ostby (basé sur le roman de P.D. James)
Ce qui frappe dans Les fils de l’homme, c’est la description détaillée et par conséquent plausible d’un monde dystopique. L’infertilité mondiale est une allégorie de problèmes sociaux très actuels.
Si l’autrice et l’auteur souhaitent que leur récit nous parle, alors il leur faut le lier, d’une image ou d’une autre, à des préoccupations bien réelles.
Considérons un autre monde dystopique dans lequel une élite pompe le sang des enfants pour survivre. C’est une forme moderne de vampirisme mais c’est surtout une allégorie. Cela pourrait représenter l’exploitation des ressources et du travail des classes sociales dites défavorisées par les riches. Une autre préoccupation pourrait être la concentration des richesses, une tendance égoïste qui n’a aucune vision d’avenir ou qui en a peur.
Ce peut être aussi un avertissement que la surconsommation de nos ressources naturelles nous mènera à la ruine. Ou bien qu’un pouvoir autoritaire se maintient en place en drainant la vitalité et par conséquent le futur des jeunes générations. Le vampirisme moderne n’est rien d’autre qu’un système de classe rigide qui permet à une élite forcément minoritaire de prospérer aux dépens de la majorité.
Très tôt, la science-fiction s’est créée un fond hostile. Dès les années 1950 et jusque celles des années 1960 que d’aucuns ont nommés l’âge d’or de la science-fiction, nous étions dans un contexte de guerre froide, de menace nucléaire, de course à l’espace. Des œuvres comme Fahrenheit 451 (1953) de Ray Bradbury, Je suis une légende (1954) de Richard Matheson ou encore La Planète des singes (1963) sont des inspirations majeures de futurs dystopiques et de mondes post-apocalyptiques.
Puis dans les années 1960 et 1970 marquées par la Nouvelle Vague, l’influence fut celle des mouvements sociaux et des préoccupations environnementales. Le mouvement écologique naissait (Printemps silencieux de la biologiste Rachel Carson) avec dans son sillage, la prise de conscience des limites des ressources naturelles. La surpopulation et la contestation sociale sont venus se greffer là-dessus.
Les autrices et les auteurs de science-fiction ont alors imaginé une métaphore d’environnements hostiles en conséquence de l’inaction face à ces problèmes. Dune (1965) de Frank Herbert, Soleil vert (1966) de Harry Harrison et encore Le troupeau aveugle (1972) de John Brunner en sont des exemples très significatifs.
Dans ces années-là, l’environnement hostile est davantage une critique des tendances sociétales de l’époque.
En fin de compte, l’ingérence d’un environnement hostile dans la science-fiction n’est pas un effet esthétisant car, sans lui, les personnages ne pourraient être grattés qu’en surface ou dit autrement cet arrière-plan singulier leur fournit les circonstances matérielles nécessaires et suffisantes à leurs existences.
Un mélange des genres
Le mélange des genres, comme dans Les fils de l’homme qui intègre des éléments de thriller dans la science-fiction, est une tendance créative en réaction aux genres littéraires et cinématographiques autrefois rigidement définis. Bien gérée, cette hybridation des genres apporte une nouvelle fraîcheur à des thèmes souvent rebattus en science-fiction. L’armée des douze singes (1995) de Terry Gilliam se caractérise par le voyage dans le temps, le thriller psychologique et le mystère par exemple. Dark City (1998) de Alex Proyas mélange le film noir et le mystère gothique à la science-fiction.
Un genre pur impose des conventions et des attentes qui limitent les créateurs. En hybridant son intrigue, on s’ouvre de nouveaux territoires. Mais il ne serait point judicieux d’oublier qu’on s’adresse à une lectrice et un lecteur attirés d’abord par un genre. L’autrice et l’auteur doivent donc trouver un équilibre.
Sur quoi on peut buter en ne se consacrant qu’à un seul genre est la prévisibilité. Le lecteur/spectateur est tellement habitué à ses tropes (des motifs récurrents qu’ils soient personnages, situations, thèmes, symboles et même des techniques narratives) qu’il peut prévoir ce qu’il se passera. D’où tout l’intérêt de l’hybridation qui autorise des éléments inattendus.
Les thèmes sont difficiles à travailler. Contemplons un instant Annihilation (2018) de Alex Garland. Annihilation a recourt à quatre genres : la science-fiction évidemment, mais aussi l’horreur, le drame psychologique et le tout sous couvert d’aventures. C’est ainsi que l’auteur peut parler sérieusement de thèmes comme l’autodestruction, la perception de la réalité, les conséquences d’un traumatisme sur l’identité de soi, notre réaction face à l’inconnu ou à l’étranger, la relation entre la nature et nous et les limites de notre compréhension.
Tous ces thèmes n’auraient pu être traités sous un seul genre surtout qu’il faut présenter un double argument : le thème et sa contradiction. Par exemple, la perception de la réalité comme thème dans la science-fiction suggère souvent que ce que nous percevons est totalement subjectif. Ce n’est pas la réalité. En conséquence, nos sens nous trompent. Et partant de cette constatation, les autrices et les auteurs de science-fiction en ont déduit des réalités multiples ou alternatives.
Quel serait alors l’argument contraire que nous pouvons exposer face à un tel thème ? Ce pourrait être qu’une réalité objective existe indépendamment de nos sens. Et la science nous permet de la saisir.
Everything Everywhere All at Once (2022) de Daniel Kwan et Daniel Scheinert
Scénaristes : Daniel Kwan et Daniel Scheinert
Le mélange hétéroclite des genres (science-fiction, comédie, drame et action) dans Everything Everywhere All at Once est précisément ce qui a permis aux auteurs d’introduire le concept du multivers pour sonder des thèmes personnels.
Le multivers permet en effet à Evelyn de vivre des expériences différentes si elle avait fait d’autres choix dans sa vie. Ce qui est traité ici, ce sont les regrets et la terrible question : Et si.. Ce sont des thèmes très communs.
Qu’est-ce que nous dit ce film ? Que nous avons tous en nous un potentiel qui n’attend que de se révéler. Les différentes réalités que Evelyn vit en sont la preuve. On ne nous dit pas que le multivers est possible. Ce n’est pas le propos ici. Le multivers est un symbole de la puissance de nos choix pour nous définir. Ainsi des relations entre Evelyn et sa fille sont comme toutes les relations entre les parents et leurs enfants. Comment ces relations auraient pu évoluer dans d’autres circonstances ?
Avouons-le, Everything Everywhere All at Once vaut sans conteste le détour mais la science-fiction n’est qu’un moyen d’expression, un outil même pour l’introspection, la quête de sens, l’amour. Comment les choix que nous faisons aujourd’hui affectent la génération suivante.