ÉCRIRE LE MYSTÈRE – 10

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La Psychologie de la Curiosité et du Suspense

Le besoin humain de résolution de problèmes est bien installé dans la psyché humaine. Il stimule notre curiosité, et que l’on est une tendance vers la science ou non, alimente en fait notre désir de comprendre et nous incite à chercher des réponses aux questions non résolues. Dans le contexte du storytelling, ce besoin fondamental est exploité pour favoriser un engagement durable du lecteur/spectateur envers le récit.

L’Effet Zeigarnik et son rôle dans la narration

L’Effet Zeigarnik, nommé d’après la psychologue Bluma Zeigarnik, est un phénomène psychologique fascinant qui participe à la création du suspense et partant, à l’intérêt du lecteur/spectateur. Dans les années 1920, Bluma Zeigarnik observa que les serveurs d’un café avaient une meilleure mémoire des commandes non payées par rapport aux commandes déjà réglées. Elle en conclut que les tâches inachevées ou interrompues créent une tension psychologique qui nous motive à vouloir les compléter. Elle remarqua alors que cette tension améliore la rétention en mémoire des informations liées à la tâche inachevée.

Comment exploiter cet effet ?

Terminer un chapitre ou un épisode au milieu d’une action intense provoque une envie irrésistible de connaître ce qu’il se passera ensuite. Cette technique narrative est connu comme cliffhangers. Stranger Things utilise fréquemment des cliffhangers en fin d’épisode pour nous maintenir dans la série en attendant le prochain épisode et quand on y pense, on éprouve déjà du plaisir.

DarkL’autrice et l’auteur tiennent toujours compte de la curiosité du lecteur/spectateur. En posant une énigme sans réponse immédiate, mais qui sera donnée par la suite, excite en nous une curiosité et nous sommes hypnotisés. Baran bo Odar et Jantje Friese (Dark) ont su exploiter cette curiosité naturelle à travers les mystères liés à la fois aux voyages dans le temps mais aussi aux lourds secrets cachés derrière les murs de Winden.

Sur écouteC’est en distillant lentement les informations qu’ils nourrissent notre curiosité et nous sommes comme des enfants devant le mystère. Si nous considérons Fight Club (1999 de David Fincher) et qui n’est pas vraiment un film pour enfants, la véritable identité du narrateur ne nous est révélée qu’au climax, l’apogée de toute l’histoire.
Une autre possibilité consiste à multiplier les intrigues secondaires et interrompre chacune d’elles pendant qu’on se préoccupe d’une autre. C’est cette structure qu’adopta Sur écoute. Les lignes narratives s’étendent même sur plusieurs saisons. Une approche originale qui fidélise à n’en point douter le lecteur/spectateur.

Faites en sorte que nous nous interrogions

La création de questions dont on retarde les réponses est un art qui, lorsqu’il est bien maîtrisé, fait d’une histoire ordinaire une expérience captivante.

Mulholland Drive est connu pour son intrigue complexe et ambiguë qui soulève de nombreuses questions sans réponses immédiates ou évidentes. Le récit nous introduit à des éléments mystérieux et des situations ambiguës qui nous rendent perplexes. Et d’ailleurs on débat encore aujourd’hui de la signification et de l’interprétation que nous pouvons en tirer. Lynch, comme à son habitude, donne le choix à chacun d’y aller de sa propre interprétation et cela est rendu possible parce que son discours, loin d’être ennuyeux, se fonde sur des questions ouvertes.

La technique du foreshadowing

On peut traduire par préfiguration, c’est-à-dire que l’autrice et l’auteur posent dans le fil du récit aux endroits qu’ils estiment les plus appropriés des indices sur des événements futurs ou des révélations. Ce peut être des symboles, des dialogues énigmatiques ou bien une information ou une action apparemment anodines mais dont l’importance encore cachée sera démontrée plus tard. Ainsi, dans The Prestige de nombreux indices nous sont donnés tout du long de l’intrigue. Et nous ne nous en rendons peut-être pas compte, mais cela crée en nous une anticipation et quand la vérité éclate à l’acmé du récit, nous tirons une satisfaction d’avoir été attentif (une attention qui nous fut permise par la qualité de l’histoire).

Des lignes narratives multiples

Gosford ParkGosford Park de Robert Altman entrelace de nombreux fils narratifs déterminés par les points de vue différents des personnages, autant aristocrates que domestiques. Ces regards différents portés sur l’intrigue sont autant de justifications à nous maintenir dans l’histoire et cela concerne le mystère du meurtre, les relations intrigantes entre les invités et les relations entre les domestiques.
De nombreuses intrigues secondaires s’étendent ainsi tout au long du récit. C’est précisément la même structure que la série Sur écoute mais condensée en un peu plus de deux heures.

The AmericansDans la série The Americans de Joe Weisberg, les personnages possèdent des motivations ou bien des antécédents qui sont révélés progressivement. C’est là que des indices laissent entrevoir quelques aspects mystérieux des personnages ou des informations sur leur histoire personnelle mais sans en dire trop. Il suffit de révéler petit à petit au fil des épisodes.

Un récit non linéaire

Une narration non linéaire est une technique de storytelling où les événements ne sont pas présentés dans l’ordre chronologique. Au lieu de cela, l’histoire peut sauter dans le temps, en avant (prolepse) ou en arrière (analepse), ou bien présenter des événements parallèles de manière entremêlée.

Comme on ne reçoit qu’une partie de l’information, cela nous force à assembler nous-mêmes ces fragments afin de reconstituer ce qu’il se cache sous l’iceberg. Évidemment que ces lacunes créent du mystère et cela excite notre curiosité tout autant que notre imagination. Nous tentons de reconstruire la chronologie et la logique du récit car toutes les fois qu’une information nouvelle nous est donnée, nous réévaluons notre compréhension de l’ensemble.

C’est bien d’incertitude dont il s’agit. Cette qualité bien naturelle crée la tension nécessaire et suffisante pour nous maintenir dans le récit malgré la confusion apparente. Et lorsque tout s’éclaire par un rebondissement inattendu, nous en tirons du plaisir surtout si nos suppositions sont mises à mal.
Cette technique crée un sentiment de désorientation qui traduit souvent l’état d’esprit des personnages et permet aussi au lecteur/spectateur de participer de cette expérience. Nous en avons des exemples avec Memento (2000) de Christopher Nolan, où l’histoire est racontée à rebours ; Pulp Fiction (1994) de Quentin Tarantino ou encore 21 Grammes (2003) d’Alejandro González Iñárritu qui joue sur les lignes temporelles.

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One thought on “ÉCRIRE LE MYSTÈRE – 10

  1. On retrouve cette technique particulière dans les teaser de thrillers, qui fonctionnent souvent comme un puzzle éclaté. Elle est également très intéressante à utiliser dans un tout début de film, en trois ou quatre scènes qui désorientent le spectateur au lieu de lui expliquer : il n’en est que plus demandeur d’information indirecte/implicite ensuite pour l’exposition. Détail amusant, c’est l’efficacité redoutable de cette technique qui fait parfois que le teaser d’un film est bien plus intéressant que le film lui-même…

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