Le méchant de la science-fiction
L’antagoniste n’est pas un être mauvais par nature. Il a des raisons compréhensibles et même sympathiques d’agir comme il le fait. Par exemple, il pourrait chercher à sauver un être qu’il aime, même si cela implique de nuire à d’autres. Et comme il se trouve dans une situation où il doit faire des choix difficiles, il n’est pas exempt de dilemmes moraux.
Expliquez comment et pourquoi votre méchant est devenu ce qu’il est. Vous ne cherchez pas à le justifier auprès de votre lecteur/spectateur mais seulement à vous donner de la matière. Donnez-lui des traits de personnalité que nous pouvons admirer. Même s’il est non humain, une marée totalement imprévisible par exemple, confère à celle-ci comme une espèce de volonté. Un corps anthropomorphe lorsqu’il se meut a déjà un esprit et en conséquence, des luttes intérieures, des doutes et des contradictions.
Un antagoniste figé dans son état actuel est un stéréotype. Selon votre point de vue, faites en sorte qu’il évolue : plus cruel ou bien vers la rédemption. Il peut se révéler à lui-même au contact des autres et en particulier de l’héroïne ou du héros.
Un méchant qui a connu un traumatisme dans son enfance en a tiré une vision du monde très personnelle. Elle sera considérée de vice plutôt que de vertu mais c’est ainsi qu’il est. Anthropomorphe ou non, il a des faiblesses et connaît des insécurités tout comme dans la vie réelle. D’ailleurs, il agira parfois de manière inattendue qui ne correspond pas à son image de méchant. Prenez Roy Batty de Blade Runner. C’est un antagoniste et pourtant, ses motivations, son besoin de plus de vie sont bien humains.
Un méchant intelligent
L’intelligence supérieure ou égale de l’antagoniste par rapport au héros ou à l’héroïne est une caractéristique du cinéma de science-fiction. Non seulement le personnage principal a un adversaire à sa hauteur mais aussi les enjeux sont clairement plus crédibles.
Roy Batty est un réplicant Nexus-6, un androïde conçu pour être supérieur aux humains dans pratiquement tous les domaines, y compris l’intelligence. Face à Rick Deckard, chasseur de réplicants de son état, Batty démontre non seulement une force physique impressionnante, mais aussi une intelligence réelle et une profondeur émotionnelle surprenante.
Batty planifie et exécute sa quête de longévité en éclatant les limites que lui ont imposées ses créateurs. Il s’adapte aux situations nouvelles alors qu’il ne connaît que peu la Terre. Il comprend les motivations de Deckard et son monologue lors du dénouement est empreint d’une expression poétique qui le rend étrangement humain.
Le T-1000 de Terminator 2 : Le Jugement dernier (1991) se distingue par sa puissance mais à travers les ressources mises à sa disposition. D’abord, Skynet, l’IA qui a pris le contrôle du monde. Mais une trouvaille des auteurs pour rendre le T-1000 apparemment bien plus puissant que le Terminator des origines est qu’il est constitué de métal liquide.
Un antagoniste technologiquement supérieur est d’abord thématique. Cela met en avant les dangers d’une avancée technologique incontrôlée mais pour mieux démontrer en contradiction comment l’humain peut surmonter ce qui semble insurmontable. C’est la nature de l’humanité elle-même qui est interrogée.
Un être charismatique
Kylo Ren de Star Wars : Le Réveil de la Force (2015) de J.J. Abrams est un personnage particulièrement charismatique. Son masque lui confère certes une personæ très intimidante mais sous cette apparence apparaît une vulnérabilité qui rend le personnage duel et nous admirons cette dualité. Cependant, s’il est si maléfique, c’est qu’il est doué à manipuler les émotions d’autrui. Alliés ou ennemis, entre force et psychologie, il tire avantage de son influence. Certes, il est aidé en cela par la Force qui lui permet de sonder les esprits ce qui lui permet de connaître à la fois les peurs et les désirs et d’en jouer avec ses interlocuteurs.
Autre mécanisme de la construction d’un personnage et qui ne fonctionne pas seulement en science-fiction est l’aura de mystère qui entoure Kylo Ren. C’est-à-dire qu’il est un être assez indéchiffrable déchiré entre son attrait du côté lumineux de la Force d’un côté et de l’autre, par l’aspect obscur de celle-ci qui fascine Kylo Ren. Cela se manifeste par ses accès de colère soudains et ses moments de calme tout aussi intenses.
Sans cette élaboration assez poussée de cet antagoniste, le personnage ne serait qu’un méchant de plus. Sa vision du monde qui le distingue est son rejet de son héritage culturel Jedi : sa manière à lui de répondre à ce déchirement entre le bien et le mal, entre le lumineux et l’obscur. Nous sommes des êtres de contradictions et nos êtres de fiction connaissent eux aussi les mêmes antinomies.
Son approche du pouvoir qui justifie son existence dans le récit est singulière. Il faut faire table rase de l’ancien ordre afin d’en créer un nouveau : une approche non conventionnelle dans l’univers Star Wars. Cela définit aussi une relation inhabituelle au passé chez un personnage de cet univers.
Des motivations sincères
Les actes d’un antagoniste sont par nature répréhensibles. Mais il serait maladroit de le juger sur ses actes sans chercher à comprendre ce qui les motive. Ce n’est pas parce que le contexte est futuriste ou fantastique qu’un personnage ne peut jouir d’un réalisme psychologique, c’est-à-dire qu’il sera représenté de manière authentique à travers ses émotions, ses pensées et ses comportements humains. Il possède, en effet, une humanité même s’il est un être anthropomorphe.
Donnez à votre antagoniste un conflit moral. Il sera confronté à des choix ou des décisions qui engagent des valeurs ou des principes moraux contradictoires. Tout comme nous, autrice, auteur, lecteur, lectrice, il connaît une angoisse existentielle. Par celle-ci, votre matière dramatique sera tout emplie de tension et vous offrez à votre lecteur/spectateur la possibilité d’une réflexion souvent sur la question du mal, un thème central de la science-fiction.
Dans eXistenZ (1999) de David Cronenberg, l’antagoniste principal peut être considéré comme Allegra Geller, la créatrice du jeu de réalité virtuelle eXistenZ. Bien qu’elle ne soit pas présentée comme une méchante de l’histoire traditionnelle, ses actions et sa vision du monde la placent en opposition avec les normes éthiques et sociales, faisant d’elle une forme d’antagoniste.
La curiosité scientifique de Allegra sur la nature de la conscience et de l’identité démontre pourtant qu’elle agit pour le bien de l’humanité car la virtualité ne remet pas en cause celle-ci. Face à la controverse, Allegra voit son jeu comme une forme d’art et elle défend sa liberté de création. Un trait bien humain n’est-il pas de créer, d’innover ? A la manière d’un Kylo Ren mais moins radicale, Allegra cherche à bouleverser l’ordre établi afin de donner à la société une nouvelle chance.
Grandir de ses échecs
Observer un antagoniste lorsqu’il échoue est peut-être satisfaisant mais cela ne rend pas le personnage intéressant pour autant. Il est bien plus réaliste qu’il apprenne de ses échecs tout comme l’héroïne et le héros. Et pour ceux-ci, un méchant de l’histoire qui s’adapte sans cesse à sa situation est un défi bien plus gratifiant parce que difficile. Et la matière dramatique s’imprègne d’autant de tension ce qui rive le lecteur/spectateur sur le récit.
Que l’on ait versé dans le vice ou dans la vertu, nous n’en sommes pas moins humains dans un cas ou l’autre. Il est ennuyeux à la longue de ne voir qu’un seul versant des choses. Si le héros ou l’héroïne grandit de son aventure, en parallèle, l’antagoniste aussi. Et thématiquement, l’exposé est bien plus passionnant.
Dans District 9 (2010) de Neill Blomkamp, on peut considérer Wikus comme un antagoniste qui devient progressivement un protagoniste. Bien qu’il ne soit pas l’antagoniste principal, son évolution illustre comment un personnage peut grandir de ses échecs. Au début, Wikus échoue dans sa mission de délocaliser les extraterrestres principalement à cause de ses préjugés et de son manque d’empathie.
Son exposition accidentelle à une substance extraterrestre le force à réévaluer sa perspective car, rejeté par sa propre espèce, Wikus doit apprendre maintenant à survivre et à comprendre ceux qu’il méprisait auparavant.
À travers ces échecs, Wikus développe de l’empathie pour les extraterrestres et remet en question ses valeurs antérieures. Finalement, il choisit d’aider ceux qu’il persécutait initialement. C’est ainsi qu’un antagoniste devient le héros de sa propre histoire. Et thématiquement, le récit est puissant : il nous force à nous interroger sur notre humanité, sur l’altérité et en contrecoup, sur la coexistence.
Une apparence symbolique
Jean-Baptiste Emanuel Zorg est l’antagoniste principal du film de Luc Besson Le Cinquième Élément. Son apparence est fortement symbolique : une moitié de son crâne est rasée ; cela symbolise la dualité de sa nature, à la fois homme d’affaires et criminel. Cette partie de son crâne révèle des composants électroniques. C’est un symbole de la fusion entre l’homme et la technologie et confère à son caractère une approche froide et calculatrice. Son apparence vestimentaire traduit son statut de puissant industriel, mais avec des touches futuristes qui soulignent sa vision déformée du progrès.
L’apparence de Zorg incarne la corruption du pouvoir, l’obsession technologique, et le conflit entre tradition et progrès dans un futur dystopique.
Thanos dans Avengers: Infinity War (2018) et Avengers: Endgame (2019) représente la force antagoniste de ces deux films. Son apparence est elle aussi chargée de symbolisme : sa stature gigantesque et sa couleur de peau non humaine symbolisent sa nature extraterrestre et sa puissance surhumaine. Son armure dorée représente son statut de conquérant. Mais quand il l’enlève se révèle un être vulnérable.
Les stries sur son visage évoquent une apparence presque royale, soulignant son statut auto-proclamé de sauveur de l’univers mais le Gant de l’Infini rappelle son désir de contrôle absolu sur cet univers. L’apparence de Thanos incarne la puissance corrompue par l’arrogance, la conviction d’être dans le juste malgré des actes horribles, et le danger d’un idéalisme poussé à l’extrême.
Un contraste
Du point de vue de la dramaturgie, la relation entre l’antagoniste et le protagoniste est d’une importance capitale, en particulier dans la science-fiction. L’antagoniste sert de miroir inversé au héros et à l’héroïne. Sans cette inversion, il est plus difficile de mettre en relief leurs traits de caractère, leurs valeurs, leurs priorités et leurs motivations.
Et en conséquence pour le lecteur/spectateur d’apprécier le protagoniste.
En opposant des qualités contraires, la force antagoniste crée un conflit qui dépasse de loin la simple opposition physique. Une situation conflictuelle n’est pas juste un désaccord. Dans cette disharmonie transparaît une dimension qui peut être philosophique, éthique ou morale. En science-fiction, cela peut se traduire par des dilemmes sur la nature de l’humanité face à l’intelligence artificielle, par exemple, ou sur les limites éthiques des avancées technologiques.
L’évolution parallèle du protagoniste et de l’antagoniste offre une perspective psychologique fort intéressante. Cette double évolution crée un effet miroir qui peut éclairer de manière significative les aspects psychologiques des deux personnages. Lorsque le protagoniste et l’antagoniste évoluent simultanément, leurs parcours reflètent différentes façons de réagir à leur expérience commune. Cela montre comment des individus confrontés à des situations similaires peuvent emprunter des chemins de développement radicalement différents, mettant en lumière l’importance des choix personnels et des valeurs dans la croissance psychologique qu’est un arc dramatique.
On dit souvent que le protagoniste et l’antagoniste sont les deux faces d’une même médaille psychologique. Par exemple, si le protagoniste apprend à surmonter sa peur, l’antagoniste pourrait au contraire s’enfoncer davantage dans la paranoïa. Ce qui importe alors est d’écrire le point de bifurcation lorsqu’un choix ou une décision décide de la destinée du personnage. On ne gagne pas gratuitement ni en courage, ni en folie.
De même lorsque vous créez une relation, il serait dommage de ne pas l’examiner sous l’angle des conflits qu’elle suscite et des réconciliations possibles. En science-fiction, l’antagoniste incarne souvent des concepts ou des idéologies opposés à ceux de l’héroïne et du héros.
Dans THX 1138 (1971) de George Lucas, l’antagoniste n’est pas une personne spécifique, mais plutôt le système dystopique lui-même, incarné par une société contrôlée par une caste hautement informatisée. Alors que THX 1138 (le héros) cherche à se libérer et à ressentir des émotions humaines, le système (la force antagoniste) vise à supprimer toute individualité et émotion.
La fuite de THX est au cœur du conflit mais cette situation conflictuelle met en lumière ce que devient l’humanité face aux avancées technologiques aux mains d’un pouvoir totalitaire. Plus précisément, Lucas et Walter Murch se préoccupent davantage de la suppression des émotions considérées comme vecteur de sédition. C’est à travers la sexualité qu’ils l’expriment.
Pour marquer l’évolution parallèle de THX et de son adversaire, il apparaît que la répression se renforce tandis que THX s’éveille à son humanité. Ce qui est en jeu ici est l’existence humaine elle-même faite de liberté d’un côté et de contrôle de l’autre. Quant au point de non-retour pour THX, ce sera le moment où il décide de ne plus se sédater ou dit autrement, il assume sa désobéissance civile. On peut néanmoins se demander ce qui fait agir le système : ne serait-ce pas un mécanisme de défense contre la bestialité naturelle de l’homme ?