L’arc dramatique d’un personnage est bien plus qu’une simple progression linéaire ; c’est une odyssée émotionnelle et psychologique qui donne vie et du sens à notre histoire. Il s’agit de la transformation interne d’un personnage, provoquée par les événements de l’intrigue et les interactions avec les autres personnages.
Un arc peut faire d’un personnage une meilleure version de lui-même : dans La La Land (2016) de Damien Chazelle, Mia mûrit en une personne plus sûre d’elle-même à travers sa relation avec Sebastian mais aussi par ses expériences et autres rencontres dans l’industrie du cinéma. Et comme il semble naturel que toute chose ait son contraire, il arrive qu’un personnage succombe à ses pires instincts ou se laisse corrompre par les circonstances. Tony, dans Scarface (1983), est un immigrant qui a peu de moyens mais des ambitions énormes. Il commence sa carrière comme simple exécutant dans le milieu du crime mais sa soif de pouvoir lui fait gravir les échelons. Il devient de plus en plus violent, paranoïaque et dépendant à la cocaïne. Brian de Palma montre que la chute morale de Tony s’accompagne de son ascension sociale et financière mais que ses relations personnelles et son humanité sont sacrifiés comme prix à payer pour un baron de la drogue.
Il est possible aussi qu’un personnage reste essentiellement le même, mais le monde autour de lui change. Dans Le Havre de Aki Kaurismäki (2011), Marcel est présenté comme un être bon et altruiste dès le commencement. Tout au long de l’intrigue, il maintient son intégrité morale et sa volonté d’aider les autres. Malgré les défis et les obstacles qu’il rencontre, Marcel ne change pas fondamentalement qui il est ou ses valeurs fondamentales même au risque de son propre confort ou de sa sécurité. Souvent d’ailleurs, les expériences vécues par le personnage renforcent ses traits de caractère initiaux qui pourraient être présentés incomplets au début de son histoire personnelle.
Les étapes de la transformation
Établir clairement le point de départ du personnage, ses croyances, ses peurs et ses désirs.
Dans Une séparation de Asghar Farhadi (2011), le personnage principal, Nader, est un homme de classe moyenne en Iran. Ses croyances se fondent sur des valeurs traditionnelles iraniennes. Sa peur principale est de ne pas pouvoir prendre soin de son père atteint d’Alzheimer, et son désir est de maintenir sa famille unie malgré les difficultés. Ces éléments sont clairement définis dès le début et sont les principes de son arc dramatique.
Identifier les événements de l’intrigue qui provoquent le changement.
Dans La piel que habito de Pedro Almodóvar (2011), Robert Ledgard est jeté dans des situations qui remettent en question sa moralité et son éthique professionnelle. La mort tragique de sa femme et la supposée mort de sa fille sont des événements qui le motivent à tester des pratiques médicales non éthiques. Ces événements interpellent ses croyances qui sont précisément les thèmes dont se préoccupe Almodóvar.
Démontrer comment ces épreuves transforment progressivement le personnage.
Dans Mustang de Deniz Gamze Ergüven (2015), nous suivons l’évolution de Lale, la plus jeune de cinq sœurs. Au fil du récit, nous voyons comment les restrictions imposées par sa famille conservatrice et les mariages forcés de ses sœurs ouvrent progressivement en Lale une conscience claire de sa situation. D’une jeune fille insouciante, elle devient de plus en plus déterminée à échapper au destin qui lui est imposé. Cette prise de conscience se manifeste par des actes de rébellion de plus en plus audacieux mais qui s’expliquent clairement.
Aboutir à une décision ou une action qui démontre clairement cette transformation.
Dans Le Fils de Saul de László Nemes (2015), Saul Ausländer, un prisonnier juif forcé de travailler dans les chambres à gaz d’Auschwitz, lève progressivement le voile sur sa cécité imposée voire volontaire. Au début, il est résigné à son sort et suit les ordres pour survivre. Mais lorsqu’il découvre le corps d’un jeune garçon qu’il croit être son fils, il prend la décision de tenter de lui donner une sépulture appropriée, au péril de sa vie. Cette décision marque le point culminant de son cas de conscience, passant de la survie passive à une obsession active de dignité et d’humanité dans les circonstances les plus inhumaines.
Arc dramatique & Structure
L’alignement de l’arc dramatique du personnage avec la structure du récit est important pour élaborer un récit cohérent capable de marquer les esprits. Chaque moment d’une structure classique en trois actes par exemple offre des occasions de prouver l’évolution d’un personnage.
L’acte Un : L’exposition et l’incident déclencheur
L’exposition dans une histoire a deux fonctions principales : présenter le monde dans lequel se déroule le récit et établir la situation initiale du personnage principal. Cette phase permet de décrire les habitudes, les relations, ainsi que les points forts et les faiblesses du protagoniste.
Un événement perturbateur vient ensuite rompre cet équilibre initial. Ce bouleversement pousse le personnage hors de sa zone de confort et l’oblige à entamer un parcours de transformation personnelle.
Une illustration de ce procédé narratif peut être observée dans Le Voyage de Chihiro (2001) de Hayao Miyazaki. L’exposition présente d’abord le personnage principal, une jeune fille, comme étant capricieuse et craintive. L’élément déclencheur survient lorsque ses parents subissent une métamorphose surnaturelle. Face à cette situation, la protagoniste se voit contrainte d’affronter un univers magique et intimidant dans le but de sauver sa famille.
L’acte Deux : La confrontation
L’action dans l’acte Deux se concrétise en une série d’épreuves qui rendent le personnage plus mâture, qui changent ses perceptions ou qui lui permettent d’acquérir de nouvelles compétences. Dans Moi, Daniel Blake de Ken Loach (2016), le deuxième acte ne déroge pas à cette règle.
Face à une bureaucratie kafkaïenne, Daniel erre à travers un système d’aide sociale souvent déshumanisant. Sur le plan personnel, il doit gérer sa condition cardiaque tout en essayant de trouver du travail et faire face à des difficultés financières de plus en plus importantes. Et alors qu’il rencontre Katie, il prend de nouvelles responsabilités qui sont un défi en elles-mêmes.
Alors que tout est fait pour le décourager, Daniel évolue. Il passe d’un homme isolé et dépassé par le système à quelqu’un qui trouve une voix pour se défendre et aider les autres. Il développe de nouvelles compétences en matière de survie urbaine et d’activisme social, et sa perception du monde et de la société change considérablement.
L’acte Trois : La résolution
La propre apogée de l’histoire devrait coïncider avec le point culminant de l’arc dramatique du personnage. C’est le moment où il doit mettre en pratique tout ce qu’il a appris ou la façon dont il a changé. Le dénouement nous montre alors ce qui a changé.
Dans La Vie d’Adèle : Chapitre 1 et 2 de Abdellatif Kechiche (2013), l’arc dramatique du récit correspond à la rupture tumultueuse entre Adèle et Emma, qui survient après qu’Emma découvre l’infidélité d’Adèle. C’est à ce moment qu’Adèle doit faire face aux conséquences de ses actions et de son évolution personnelle. Elle doit mettre en pratique tout ce qu’elle a appris sur l’amour, la sexualité, et sa propre identité au cours de sa relation avec Emma.
Adèle tente alors désespérément de sauver sa relation ; elle a compris l’importance de l’honnêteté et de l’engagement, même si c’est trop tard. Le dénouement nous montre ensuite ce qui a changé pour Adèle : Adèle apparaît plus mâture, ayant appris de ses erreurs et de ses expériences. Lors de la scène finale à l’exposition d’Emma, Adèle montre qu’elle a accepté la fin de leur relation romantique, tout en reconnaissant l’importance que cela a eu dans sa vie. Influencée par son parcours émotionnel, Adèle possède maintenant une nouvelle perspective.
Créer des conflits qui stimulent la croissance des personnages
Les conflits ne servent pas seulement à créer de la tension ou de l’excitation ; ils sont le moyen par lequel les personnages se forgent et se transforment. Une situation conflictuelle fait avancer l’intrigue, mais aussi pousse les personnages à leurs limites, les force à remettre en question leurs croyances, à affronter leurs peurs et si l’intrigue s’y prête, ils peuvent devenir plus compétents encore.
Pour créer des conflits qui stimulent véritablement la croissance des personnages, assurez-vous que chaque conflit touche directement les faiblesses, les peurs ou les désirs du personnage.
Le Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot (1953) met en scène quatre hommes désespérés qui acceptent une mission suicidaire : conduire deux camions chargés de nitroglycérine sur 500 kilomètres de routes dangereuses pour éteindre un incendie de puits de pétrole.
Mario est d’abord arrogant et égoïste. Son conflit est très personnel puisqu’il se retrouve à dépendre des autres et prend conscience qu’il peut mourir. Cependant, cet intime conflit lui permet de développer un sens de l’amitié et, comme pour tout héros et héroïne, un sens du sacrifice.
Jo est un être lâche sous sa façade de courage. Ainsi, les dangers constants de la mission finissent par exposer sa véritable nature. Mais il grandit aussi de cette aventure car, prenant cas de sa peur, elle le stimule à trouver en lui un vrai courage.
Faites en sorte d’augmenter progressivement l’intensité des conflits pour éloigner le personnage principal de plus en plus de sa zone de confort jusqu’à créer un point de non-retour.
Dans Le Messager de Joseph Losey (1971), nous suivons Leo, un jeune garçon de 12 ans, qui passe l’été dans le manoir de la famille de son ami Marcus.
Nous avons d’abord un conflit de faible intensité car Leo, issu d’un milieu modeste, se trouve dans un environnement aristocratique qui le met mal à l’aise. Puis Leo devient le messager entre Marian, la sœur aînée de Marcus, et Ted Burgess, un fermier local. Pour Leo, les messages ne sont rien d’autre qu’innocent puisqu’il ignore la vraie nature de leur relation.
Mais pour nous, cette dynamique d’une relation tripartite augmente la tension dramatique. Et effectivement, Leo devine que les messages sont de nature romantique. Il hésite maintenant entre sa loyauté envers la famille qui l’accueille et son amitié naissante avec Ted. De nouveau, par cette hésitation même, l’intrigue s’intensifie.
Le conflit majeur se constitue de la découverte par Leo de la secrète relation entre Marian et Ted car, forcé de mentir, il se heurte à ses propres valeurs. Une situation conflictuelle n’a vraiment d’intérêt que lorsqu’elle se manifeste par une pression psychologique sur le personnage et celle-ci augmente avec la confirmation du mariage de Marian avec quelqu’un de son rang. Et Leo se retrouve de plus en plus impliqué dans la dissimulation de la liaison.
Si nous échouons, en tant que lecteur/spectateur, à ressentir cette escalade des choses, c’est que l’auteur et l’autrice ne sont pas parvenus à nous la communiquer. Et puis Leo atteint son point de non-retour lorsqu’il est contraint de choisir entre révéler la vérité ou continuer à protéger le secret de Marian et Ted. Sa décision conduit à des conséquences tragiques qui marqueront sa vie à jamais.
Montrez comment chaque conflit laisse une marque sur le personnage qui modifie sa façon de penser ou d’agir.
Dans L’Homme de fer de Andrzej Wajda (1981), nous suivons principalement l’histoire de Maciej Tomczyk, fils d’un ouvrier des chantiers navals de Gdańsk, à travers les yeux d’un journaliste, Winkel. La toute première situation conflictuelle qui laisse une impression sur Maciej est la mort de son père lors des émeutes de 1970. Apolitique, Maciej commence à questionner l’ordre établi.
Un second conflit se produit lorsqu’il réalise les limites de la liberté d’expression à travers l’autorité universitaire. Il en devient plus prudent dans ses actes mais aussi plus déterminé à lutter pour ses convictions. Cette autorité singulière n’est qu’un prétexte pour dénoncer la censure et la propagande d’état et permettre à Maciej de comprendre l’importance de l’information libre.
Et il agit en conséquence en s’impliquant dans la diffusion d’informations habituellement censurées. Maciej devient ainsi un acteur du changement.
Puis un nouveau conflit encore plus intense a lieu lors des grèves de Gdansk. Lors de cet événement, Maciej comprend cette fois le pouvoir de l’action collective. Il était un activiste solitaire, il est maintenant un leader capable de mobiliser et d’organiser les autres.
Mais un engagement politique comme celui de Maciej a un coût personnel. Néanmoins, Maciej devient plus mâture dans ces décisions et il apprend à équilibrer ses responsabilités familiales avec son activité extra-conjugale. Surtout, Maciej comprend qu’un changement réel est possible. Il devient un symbole de résistance, cet homme de fer du mouvement ouvrier.