THÈME : VIGILANCE & CONSCIENCE

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Vigilance et conscience

Au cours de l’Histoire, l’humanité a été le témoin récurrent de l’ascension et du déclin de régimes tyranniques. Des despotes impitoyables se sont emparés du pouvoir, assujettissant leurs populations et annihilant les libertés élémentaires. Afin d’empêcher que ces heures sombres de notre passé ne se reproduisent, il est absolument essentiel que les citoyens exercent une vigilance de tous les instants et fassent preuve d’une conscience aiguë.
Car la tyrannie ne s’impose pas de manière éclatante et bruyante comme on pourrait s’y attendre, mais au contraire de façon progressive et sournoise : journaliste licencié, rassemblement interdit, minorités désignées comme bouc émissaire..

Dans un premier temps, on minimise ces incidents. Mais c’est une erreur de ne pas y prêter attention. Mais petit à petit, la tyrannie gagne du terrain. Sa force repose sur son caractère sournois et insidieux. Face à cette menace, la vigilance de chacun est nécessaire. Il faut être attentif aux moindres signes et réagir avec détermination. C’est le seul moyen d’endiguer la montée d’un régime tyrannique et de préserver les libertés individuelles ainsi que la démocratie. C’est tout l’enjeu !

Voilà un clown, seul sur scène. Il jongle avec des balles, l’air de rien. Une balle rouge, une bleue, une jaune. Anodines, presque triviales. Mais soudain, il ajoute une balle noire. Puis une autre, et encore une autre. Bientôt, il ne jongle plus qu’avec des balles noires, et son sourire s’efface peu à peu. Eh bien, c’est ainsi que la tyrannie opère. Elle s’immisce dans nos vies, telle une balle noire parmi les couleurs. Un discours politique légèrement dissonant, une loi subtilement modifiée, un regard appuyé lors d’une interview télévisée. Des détails, en apparence, qui passent presque inaperçus.
Mais lorsqu’on prend du recul, lorsqu’on observe la scène dans son ensemble, on voit le clown disparaître sous une avalanche de balles noires. La tyrannie est là, insidieuse, étouffante. Elle occupe les lieux et ce pauvre clown est bien incapable de s’en libérer.

Il lance un regard au public, un appel au secours muet. Mais le public, trop occupé à rire des pitreries précédentes, ne voit pas le drame qui se joue sous ses yeux. Et quand il le réalise enfin, quand il veut enfin intervenir, il est déjà trop tard. Le clown a disparu, englouti par la noirceur. Ne laissons pas la tyrannie transformer notre vie en un numéro de clown tragique. Soyons attentifs aux balles noires qui s’immiscent dans notre quotidien. Ayons le courage de les pointer du doigt, de les refuser avant qu’elles ne deviennent légion. Car c’est dans ces petits détails, anodins en apparence, que se joue la survie de notre démocratie.

Les empires naissent, prospèrent puis s’effondrent. Un motif récurrent, cependant : un personnage qui s’impose par la force et la peur. Il se nomme tyrannie et renaît à chaque génération. Le plus effrayant, c’est comment il entre dans nos vies. Au début, on ne l’aperçoit pas vraiment. Un discours un peu plus autoritaire que d’habitude, une loi légèrement plus restrictive. Rien d’alarmant en apparence. Mais c’est comme un goutte-à-goutte de poison, qui finit par paralyser toute la société.
Alors, que faire ? Attendre que le mal se répande, comme une maladie contagieuse ? Non, il faut agir vite, dès les premiers symptômes. Il faut empêcher la tyrannie de prendre de la vitesse. Certes, c’est un travail ingrat. Mais nos libertés sont fragiles. Sans soin, elles dépérissent. Et contre toute tentative de remise en cause, il faut les défendre.

Alors armons-nous de courage et de détermination pour s’opposer à l’oppression. C’est bien d’une résistance citoyenne au jour le jour dont il s’agit. Il nous faut rester sur nos gardes pour ne pas mettre en péril la démocratie. La complaisance et la passivité sont des formes de la complicité. Détourner le regard, c’est trahir l’héritage de ceux qui ont succombé pour la liberté. C’est par notre engagement constant, dans notre action quotidienne, que la démocratie peut être préservée.
Il nous faut avoir le courage de nommer la tyrannie lorsqu’elle se présente, même sous ses atours les plus attirants. L’objectif à atteindre, la motivation de l’action présente est la vision d’un monde où il fait bon vivre.

Le Pianiste (2002) de Roman Polanski

En plongeant au cœur des ténèbres de l’Histoire à travers Le Pianiste, Polanski a montré comment l’humanité peut sombrer dans l’horreur la plus absolue, mais aussi comment certains êtres exceptionnels arrivent malgré tout à préserver leur lumière intérieure.

Le PianisteWładysław Szpilman, dont l’histoire nous est contée, en est l’incarnation voulue par Polanski.

Les images du ghetto de Varsovie, cet enfer où rôde la mort, nous sont gravées à l’eau-forte. Filmer la trajectoire de Szpilman dans cet univers de désolation fut certainement une expérience d’une intense émotion. Car au-delà de sa survie, c’est la force de son esprit, son âme d’artiste préservant sa dignité envers et contre tout, qui forcent l’admiration. Le Pianiste est un hommage à la puissance de l’art et de l’esprit humain face à la barbarie.

En observant Władysław Szpilman, nous comprenons que sa musique est bien plus qu’une passion ou un métier. Elle est son refuge ultime, sa manière à lui de résister à la barbarie. Chaque note qu’il joue au piano est un défi qu’il lance à ses bourreaux, un cri d’espoir qui perce le silence assourdissant du ghetto.
Lorsque nous voyons ses doigts courir sur le clavier, nous voyons au-delà du simple Juif persécuté. Szpilman est un artiste, un créateur de beauté dans un monde qui semble en avoir oublié jusqu’au sens. Mais à travers le destin de Szpilman, il ne nous est pas dépeint un acte de résistance individuelle. Son histoire est aussi un témoignage qui nous rappelle avec force la capacité de l’être humain à s’élever au-dessus de l’horreur, à puiser en lui des ressources insoupçonnées lorsque tout semble perdu.

Le Pianiste est le récit d’une vie qui à elle seule porte la mémoire de tant d’autres vies fauchées, et ce message universel que l’esprit humain ne plie pas. Lorsque Roman Polanski décide de porter à l’écran l’histoire de Władysław Szpilman, il sait déjà qu’il ne veut pas se limiter à un simple récit biographique. Ce destin hors du commun nous rend certes admiratifs mais il est d’abord une interrogation universelle adressée à l’humanité entière. À travers lui, c’est la question essentielle de notre condition qui est soulevée : que reste-t-il de notre essence lorsque tout nous a été enlevé, lorsque nous sommes confrontés à l’inimaginable ?

Le parcours de Szpilman apporte un début de réponse. Ce que la trombe barbare de l’Histoire ne peut nous arracher, c’est cette part irréductible au fond de notre âme qui nous pousse, envers et contre tout, à continuer de créer du beau et du sens. Même plongé dans les ténèbres de l’enfer, l’être humain conserve en lui cette capacité à faire jaillir la lumière. Tel est le message d’espoir que porte en lui le destin de Władysław Szpilman. Une manière de nous rappeler la force de l’esprit humain, qui même dans les pires tourments, ne peut être totalement anéanti.

Ce film ne conte pas une énième histoire de survie. Il est une ode à la résilience de l’esprit humain, un hommage vibrant au pouvoir de l’art et de la beauté face à la barbarie la plus absolue. En accompagnant Szpilman dans son parcours, c’est comme si nous traversions nous-mêmes le miroir, pour contempler à la fois toute la fragilité et toute la grandeur de la condition humaine. Le Pianiste est une expérience qui nous confronte à nous-mêmes, à nos zones d’ombre mais aussi à notre lumière intérieure. C’est un appel à ne jamais perdre espoir en l’humanité, même dans ses heures les plus sombres. Car tant qu’il y aura des êtres comme Władysław Szpilman, capables de faire vivre la beauté au cœur de l’enfer, alors rien ne sera jamais perdu.

Le Ruban blanc (2009) de Michael Haneke

Le village apparemment paisible cache des secrets sinistres dans Le Ruban blanc, le drame troublant de Michael Haneke sorti en 2009. Haneke, connu pour son regard incisif sur les maux de la société, dissèque comment l’autoritarisme et la répression peuvent infecter le tissu même d’une communauté.
Le film se déroule dans un village allemand protestant à la veille de la Première Guerre mondiale. Derrière la façade d’ordre et de tradition couve une atmosphère inquiétante. Une série d’incidents étranges et violents perturbent la vie du village. Mais plus que ces événements eux-mêmes, c’est ce qu’ils révèlent de la psyché collective qui est au cœur du propos de Haneke.

Le Ruban BlancLa dynamique décrite dans Le Ruban blanc est profondément troublante mais aussi fascinante à analyser. Les enfants du village grandissent dans un environnement où l’autorité est exercée de manière rigide et punitive par des figures clés : le pasteur, le médecin, le baron. Chaque transgression, même mineure, est sévèrement sanctionnée. Les rubans blancs, censés symboliser la pureté et l’innocence, deviennent en réalité des marqueurs de culpabilité et de honte imposés aux enfants.

Ce style parental et éducatif extrêmement strict et répressif a des conséquences psychologiques néfastes sur le développement des enfants. Il entrave l’acquisition d’une saine estime de soi, encourage une vision négative de soi et du monde. Au lieu d’intérioriser des valeurs morales et un cadre éthique, les enfants apprennent surtout la peur et la soumission.
Dans un tel contexte de répression systématique, il n’est guère surprenant de voir émerger chez ces jeunes des pulsions sombres. Leur cruauté, leur colère, ne sont que l’expression détournée d’émotions et de besoins fondamentaux niés. N’ayant pas la possibilité d’exprimer leur individualité, leur créativité, ils retournent leur mal-être contre eux-mêmes et les autres.

Les adultes, prisonniers de leur propre autoritarisme, ne parviennent pas à voir qu’ils créent les conditions mêmes des troubles qui émergent. Au lieu de remettre en question leur système éducatif et leurs croyances, ils préfèrent rejeter la faute sur une soi-disant nature mauvaise des enfants. Ce déni des responsabilités, ce refus d’une remise en cause, est lui aussi caractéristique des systèmes autoritaires et des personnalités rigides. Plutôt que d’engager une réflexion qui pourrait les obliger à changer, à évoluer, les figures d’autorité préfèrent s’arc-bouter sur leurs certitudes.

Filmé dans un somptueux noir et blanc qui rappelle les photos d’époque, Le Ruban blanc maintient tout du long une tension sourde. La mise en scène clinique de Haneke observe les personnages avec une objectivité troublante, laissant le malaise s’installer. Ainsi, le cinéaste ausculte la genèse de la violence et du totalitarisme. Il suggère que les graines de la barbarie qui éclatera avec le nazisme sont plantées dans ce terreau d’autoritarisme, de paranoïa et de refoulement. Le microcosme du village devient une métaphore glaçante des mécanismes pervers du XXe siècle.

Œuvre exigeante et dérangeante, Le Ruban Blanc nous force à regarder frontalement les parts d’ombre de l’humanité. Avec une lucidité redoutable, Haneke montre comment la tyrannie peut s’enraciner dans une société qui étouffe le libre-arbitre, la créativité, l’expression des individus. Un constat glaçant et un avertissement à méditer.

Quatre mois, Trois semaines, Deux jours (2007) de Cristian Mungiu

Le film 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu nous partage le drame intime vécu par Otilia et Găbița, deux jeunes femmes cherchant à avorter clandestinement pour l’une d’entre elles dans la Roumanie de Ceaușescu à la fin des années 1980. A une époque où l’avortement était criminalisé par un régime obsédé par la natalité, elles se retrouvent prises au piège, dépossédées de leur droit élémentaire à disposer de leur corps.
Le calvaire d’Otilia, se battant sans relâche pour obtenir cette intervention illégale pour son amie, illustre l’entraide précieuse entre femmes face à un système oppressif niant leur libre-arbitre. Mais le film révèle aussi l’immense détresse, les angoisses et les compromis dégradants auxquels ce système les condamne.

Cristian Mungiu

Cette œuvre fort émouvante nous rappelle les souffrances indicibles endurées par des générations de femmes lorsque l’avortement leur est refusé. Elle réaffirme l’absolue nécessité de ce droit pour préserver leur santé, leur dignité et la liberté fondamentale de choisir leur destin. Un droit pour lequel les femmes doivent rester vigilantes.
Otilia, par amitié, prend tous les risques : trouver de l’argent, un lieu, et surtout un avorteur dans un hôtel sordide. Elle affronte seule la brutalité et le chantage de cet homme sans scrupule. Son petit ami lui fait des reproches car il ne comprend pas son engagement auprès de Găbița. Quant à celle-ci, fragile et dépendante, elle subit les événements et, dans la clandestinité et l’angoisse, elle laisse Otilia tout gérer.
Mais ce serait juger un peu trop hâtivement Găbița, car elle doit affronter non seulement la culpabilité et la douleur physique de l’avortement, mais aussi, et bien plus durable, la réprobation sociale et morale qui l’entoure.

Au-delà d’un sujet difficile, Mungiu à montrer sans jugement le combat de deux jeunes femmes ordinaires broyées par un système liberticide et patriarcal. Nous les accompagnons dans cette oppression quotidienne et insidieuse d’une époque sur les vies et les choix intimes, notamment des femmes. Si le film ancre son récit dans un contexte historique précis qui pourrait nous tenir éloignés, cette lutte pour la liberté et la dignité conserve une portée universelle.

La Chute (2004) de Oliver Hirschbiegel

La ChuteLa Chute dépeint les derniers jours d’Adolf Hitler et l’effondrement du régime nazi en 1945. Au-delà de la chronique historique, cette œuvre offre une réflexion sur les mécanismes qui mènent à l’accomplissement d’une tyrannie et ses conséquences dévastatrices.
Tel que présenté ici, Hitler est l’archétype du tyran. Autoritaire, paranoïaque et déconnecté de la réalité, il s’enferme dans son bunker et n’accepte pas la réalité d’une défaite imminente. Mais ce n’est pas tant l’homme que nous décrit Hirschbiegel mais la dérive d’une idéologie meurtrière qui conduisit l’Europe dans un conflit mondial et orchestra l’extermination de millions d’innocents.

Cependant, La Chute montre que l’accomplissement de la tyrannie ne repose pas uniquement sur un seul homme. Hitler est entouré de fidèles partisans qui, jusqu’au bout, lui vouent une admiration aveugle et exécutent ses ordres avec zèle. Cette soumission totale permet au régime de perdurer et de commettre ses exactions. De surcroît, ce film souligne la passivité coupable d’une partie de la population allemande. Par peur, conformisme ou opportunisme, beaucoup ont préféré fermer les yeux sur les crimes du nazisme. C’est de ce silence complice que cette idéologie s’est repue pour se maintenir durablement au pouvoir.
Il faut bien comprendre que Hirschbiegel n’accuse pas l’homme ou une nature ou une condition humaine d’être à l’origine des exactions. Ce qu’il nous démontre est que les événements, les actions, les choses faites ou accomplies ont pour seule origine ou cause première une idéologie (et cela s’applique à n’importe quelle idéologie).

Enfin, La Chute illustre le chaos et la détresse qui règnent lorsque le système tyrannique s’effondre. Pendant que Berlin est pilonnée par l’Armée rouge, des civils désespérés tentent de fuir, des officiers se suicident, la paranoïa et la violence atteignent leur paroxysme dans le bunker même. Cette descente aux enfers montre que les tyrannies finissent toujours par se consumer elles-mêmes, non sans laisser derrière elles un lourd bilan humain.

A travers sa reconstitution historique et une analyse psychologique, La Chute décortique les ressorts de la tyrannie. Le film rappelle la responsabilité individuelle et collective dans l’accomplissement et la perpétuation d’un régime autoritaire et liberticide. En mettant en garde contre ce danger toujours latent, cette œuvre invite à la vigilance citoyenne pour préserver la démocratie et les valeurs humanistes.

La Bataille d’Alger (1966) de Gillo Pontecorvo

La Bataille d’Alger, c’est le cri d’un peuple qui se dresse contre l’oppresseur colonial, c’est le souffle de la révolution qui embrase les rues d’Alger. Gillo Pontecorvo, cinéaste visionnaire, a su saisir cette lutte épique pour la liberté récompensée par Le Lion d’Or à la Mostra de Venise en 1966.

La Bataille d'AlgerLes enfants de la Casbah ont grandi avec la rage au ventre et la soif de liberté chevillée à l’âme. Quand le FLN a lancé l’appel, Ali la Pointe (personne réelle et personnage principal de La Bataille d’Alger) sut que le moment était venu : fini de courber l’échine devant les colons français, fini de survivre dans les bas-fonds d’Alger. Ils devaient reconquérir leur dignité par les armes, en faisant de chaque ruelle un champ de bataille.

De 1954 à 1957, ils ont tenu tête à une puissante armée. La Casbah était leur forteresse, leur mère nourricière. Depuis ses entrailles, ils portèrent des coups toujours plus audacieux à l’ennemi. Chaque bombe fabriquée dans la clandestinité, chaque attaque lancée contre les paras, était une pierre de plus arrachée à l’édifice de l’oppression coloniale.
Le film de Pontecorvo est un cri de vérité qui déchire les mensonges de la propagande française. Chaque image vibre de la fureur qui animait les militants indépendantistes, chaque son porte l’écho de leur soif d’indépendance. La Bataille d’Alger, c’est un hymne à la lutte des peuples colonisés pour se libérer de leurs chaînes. C’est une œuvre qui a la force brute du réel et qui nous porte au cœur de l’Histoire en train de s’écrire.

Ali la Pointe est mort les armes à la main, mais son sacrifice n’a pas été inutile. Des cendres de la Casbah a jailli l’étincelle qui a embrasé toute l’Algérie. Cette lutte a prouvé au monde qu’aucune armée ne peut étouffer indéfiniment les aspirations d’un peuple à sa liberté.
La Bataille d’Alger ne se contente pas d’une dimension historique, elle est d’abord un plaidoyer sur la légitimité des mouvements de libération nationale face à la brutalité des régimes coloniaux. Elle montre sans concession la violence de la répression de l’armée française, avec son cortège de torture, d’exécutions sommaires et de ratissages. Et face à cette oppression radicale, les militants indépendantistes, incarnés notamment par le charismatique Ali La Pointe, apparaissent comme des héros prêts à se sacrifier pour leur cause.

Cependant, Pontecorvo évite l’écueil du manichéisme en montrant également la spirale de la violence dans laquelle s’enferment les combattants algériens comme ces attentats aveugles qui frappent des civils innocents. Ce double argument qui affirme et nie à la fois souligne la tragédie humaine que représente toute guerre d’indépendance, quand la frontière entre le bien et le mal se brouille dans un engrenage sans fin.
Sur le plan esthétique, La Bataille d’Alger impressionne par son réalisme cru ou néoréalisme, fruit d’un tournage en décors naturels avec de nombreux acteurs non professionnels. Nous parcourons les ruelles labyrinthiques de la Casbah, devenues champ de bataille, avec des images et des séquences d’une nervosité contre laquelle nous ne pouvons que céder. Et la bande originale d’Ennio Morricone, avec ses percussions lancinantes, renforce l’intensité dramatique du film.

La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo a transcendé son ancrage historique pour devenir un symbole des luttes de libération à travers le monde. Son influence a irradié bien au-delà des frontières de l’Algérie et trouva un écho puissant auprès des mouvements de résistance, des maquis du Vietnam aux townships d’Afrique du Sud en passant par les camps de réfugiés palestiniens et les favelas d’Amérique latine.

Pour tous ces peuples opprimés, La Bataille d’Alger a non seulement fait office de référence dans l’art de la guérilla urbaine, mais aussi que l’artiste participe au combat contre l’ordre établi des empires coloniaux et des puissances impérialistes.

Le Secret de Veronika Voss (1982) de Rainer Werner Fassbinder

FassbinderDans ce drame en noir et blanc, Fassbinder dresse un portrait sans concession de la corruption et de l’abus de pouvoir qui gangrènent le milieu du cinéma allemand dans les années 1950. À travers le destin tragique de Veronika Voss, star déchue du IIIe Reich devenue dépendante à la morphine, le réalisateur met en exergue les rapports de domination et d’exploitation qui persistent dans une société encore marquée par le traumatisme nazi.

Le personnage du Dr Katz, psychiatre manipulateur qui maintient Veronika sous emprise en contrôlant son accès à la drogue, incarne la figure du tyran qui abuse de son pouvoir sur les êtres fragilisés. Sa mainmise sur l’actrice évoque en filigrane la manière dont le régime hitlérien a asservi et broyé les individus. Mais au-delà de cette allégorie historique, le film dénonce plus largement les dérives d’une industrie cinématographique qui exploite sans scrupules ses artistes et sacrifie leur intégrité sur l’autel du profit et de la renommée.

Face à cette oppression systémique, le journaliste Robert Krohn apparaît comme un résistant solitaire, déterminé à exposer au grand jour les agissements criminels du Dr Katz. Sa quête obstinée de la vérité, malgré les pressions et les menaces, fait de lui un héros intègre en lutte contre cette forme singulière de tyrannie. Cependant, la fin ambiguë du film, où Veronika choisit la mort plutôt que l’émancipation, souligne la difficulté de s’extraire d’un système qui a saisi chaque fibre d’un être ; ainsi, l’être et le système sont indiscernables l’un de l’autre.

Par sa mise en scène expressionniste et sa critique acerbe, Le Secret de Veronika Voss dénonce la perpétuation insidieuse des logiques d’oppression et de domination, dans une société allemande qui peine à se défaire de l’ombre portée du nazisme. Le combat de Robert Krohn contre Katz devient une métaphore de la résistance contre toutes les formes de tyrannie, qu’elles soient politiques, économiques ou culturelles.

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