ÉCRIRE LE MYSTÈRE – 7

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Les récits de mystère fascinent depuis des siècles. Le lecteur/spectateur se jette l’âme la première dans des énigmes à résoudre, des pistes à suivre et des surprises à découvrir. Pour comprendre comment ces histoires captivent, commençons par étudier les éléments classiques et modernes de ces intrigues mystérieuses, ainsi que la manière dont l’autrice et l’auteur d’aujourd’hui renversent les attentes de leur lecteur/spectateur.

Éléments classiques

Les classiques du genre, comme ceux d’Agatha Christie ou d’Arthur Conan Doyle, reposent souvent sur des formules bien définies. Voici quelques éléments typiques :

Le Détective Charismatique

Le détective charismatique est une figure emblématique des récits de mystère. Il personnifie à la fois l’intelligence, la perspicacité et souvent un peu d’excentricité. Ce personnage, avec son flair inégalé pour la résolution des énigmes et son allure distincte, intéresse forcément le lecteur/spectateur. Prenons Le Grand Jeu (2015), un thriller franco-belge réalisé par Nicolas Pariser, qui se distingue par son approche très singulière du détective charismatique.

Dans Le Grand Jeu, le lecteur/spectateur pénètre dans l’univers tourmenté de Pierre Blum, ancien auteur dont la gloire semble appartenir à un passé lointain. Déambulant dans une existence grise, Pierre se heurte par hasard à Joseph Paskin. Ce dernier, figure insaisissable et puissante, devient rapidement le moteur d’un engrenage politique assez tordu.
Paskin ne correspond pas à l’image traditionnelle du détective ; pas de trench-coat, ni de chapeau, mais une présence imposante et quelque peu magnétique. Il se meut avec une assurance et un mystère qui nous rend admiratif de sa personne (même fictive).

Le Grand Jeu

Paskin présente une version contemporaine du détective charismatique, dépourvue des attributs classiques, mais enrichie d’une ambiguïté morale. Son charme est cette capacité à manipuler subtilement les événements et les personnes autour de lui, une espèce de marionnettiste, en quelque sorte. Loin des héros moralement clairs, Paskin opère dans des zones d’ombre où il se meut avec aisance entre le visible et l’invisible, le bien et le mal. À travers Paskin, Nicolas Pariser propose une réinvention subtile et avouons-le, audacieuse de l’archétype du détective. Le personnage incarne une forme moderne de charisme, mêlant séduction et menace, qui subvertit les attentes et redéfinit les contours du mystère.

Paskin, tel un sphinx moderne, pose des énigmes plus profondes que celles qu’il semble résoudre, plongeant Pierre, et avec lui le lecteur/spectateur, dans une intrigue où le vrai et le faux se confondent et où chaque sourire peut cacher un piège. Paskin, c’est l’essence même du mystère et de la manipulation. Chacune de ses actions est calibrée avec une précision diabolique. Rien n’est laissé au hasard, chaque mouvement est méticuleusement calculé. Contrairement aux détectives classiques qui exposent leurs déductions dans une séquence finale, Paskin préfère l’obscurité. Il se tient dans l’ombre, toujours hors de portée, nous enveloppant dans un brouillard de secrets et de manigances.

Ses intentions demeurent une énigme. Il nous laisse, Pierre et nous, suspendus à ses lèvres. Nous nous accrochons à chaque mot comme une promesse d’éclaircissement qui ne vient jamais. On devine, on cherche à percer ce voile épais, mais Paskin garde toujours une longueur d’avance. Ses plans sont si alambiqués qu’ils nous forcent à assembler les fragments sans en comprendre totalement le dessein final. Son opacité savamment orchestrée nous tient en haleine. Inconsciemment, nous cherchons à décrypter ses moindres gestes, la moindre de ses paroles.
Paskin ne se dévoile jamais totalement. Chaque révélation n’est qu’un leurre. On est perdu dans ses méandres, incapable de discerner le vrai du faux, le sincère du calculateur. On ne sait jamais où il nous emmène ni ce que sont ses véritables objectifs. Et c’est cette incertitude que nous admirons parce qu’elle nous retient dans le texte.

Paskin ne se contente pas de dénouer les fils des intrigues ; il les tisse lui-même avec une finesse redoutable, utilisant chaque rebondissement pour nourrir ses ambitions politiques, aussi discrètes que destructrices. Son charisme est une force gravitationnelle. Pierre est attiré malgré lui dans cet univers trouble, réduit à l’état de pion sur l’échiquier complexe de Paskin. Il a cette manière de contrôler le chaos avec une sérénité déconcertante, comme s’il jouait une partition parfaitement orchestrée où chaque note est un coup d’éclat, chaque pause un piège.

Paskin, c’est plus qu’un personnage. C’est un dédale vivant, une énigme dont chaque recoin cache une histoire sombre. Sa simple présence dans une scène transforme l’atmosphère, entre calme apparent et menace latente. On ressent cette tension, ce frisson constant qui parcourt l’échine de Pierre et la nôtre. Car Paskin n’est jamais là où on l’attend, il est toujours en mouvement, toujours en avance. Il maîtrise l’art de l’imprévisible à un niveau presque inquiétant. Chaque fois qu’il apparaît, c’est comme si le sol sous nos pieds devenait instable. On ne sait jamais ce qu’il va suivre et il sait transformer une conversation banale en une confrontation pleine de danger latent.
Paskin nous maintient sur le fil du rasoir, son calme extérieur dissimulant un torrent de possibilités menaçantes. Chaque interaction avec lui est un cocktail explosif d’incertitude et de péril.

Des lieux familiers

Les mystères classiques ont cette capacité fascinante de transformer des lieux familiers en scènes de crimes envoûtantes, où chaque détail compte et où chaque personnage est un potentiel coupable. Ils se déroulent souvent dans des environnements restreints et tentent de créer une atmosphère intense et confinée qui amplifie le suspense.

Le Mystère Picasso (1956) de Henri-Georges Clouzot

Le Mystère PicassoLe Mystère Picasso n’est pas un film de mystère traditionnel au sens du crime à résoudre. Cependant, il incarne à merveille l’essence des mystères classiques par son exploration intime et confinée de la créativité d’un génie. Clouzot nous invite à pénétrer l’univers secret de Pablo Picasso nous révélant le processus de création de l’artiste d’une manière presque voyeuriste.
Ce huis clos artistique se déroule principalement dans l’atelier de Picasso, un espace restreint où chaque coup de pinceau construit une énigme visuelle.

L’atelier de Picasso est le microcosme parfait pour un mystère. Bien que ce ne soit pas un manoir isolé ou un village pittoresque, l’intimité de l’espace joue un rôle similaire. Dans ce lieu clos, chaque toile commence comme une énigme en soi qui évolue sous nos yeux en une multitude de formes et de couleurs avant de se transformer en quelque chose de totalement inattendu.
On pourrait d’ailleurs voir chaque toile comme une scène de crime en évolution. Picasso y déploie ses talents de maître, il y cache et révèle tour à tour des éléments qui nous intriguent. Comme dans les meilleurs récits de mystère, le lecteur/spectateur est invité à suivre chaque coup de pinceau, chaque décision artistique, comme autant de pistes à comprendre.

L’intimité de l’atelier permet à Clouzot de capturer le génie de Picasso. On observe le peintre comme on observerait un détective, assemblant les indices, faisant des choix qui semblent énigmatiques jusqu’à ce qu’ils prennent sens. Chaque toile est une enquête, chaque geste une révélation potentielle. Le Mystère Picasso affirme que le mystère ne réside pas seulement dans les crimes et les déductions, mais aussi dans le processus de création lui-même. Tout comme un roman policier classique, le film nous entraîne dans une quête de compréhension. On cherche à deviner ce que sera l’œuvre finale, comment chaque élément s’assemblera pour former un tout cohérent. L’art de Picasso, en constante transformation, nous garde sur le qui-vive et nous sommes dans l’attente impatiente d’une prochaine surprise.

Comme dans les grands mystères où le coupable ne dévoile ses véritables intentions qu’à la toute fin, Picasso garde ses desseins artistiques soigneusement cachés jusqu’au dernier moment. Chaque coup de pinceau, chaque éclat de couleur peut faire basculer l’œuvre dans une direction totalement imprévisible, tout comme un indice peut bouleverser le cours d’une enquête. En regardant Le Mystère Picasso, on se retrouve dans un tourbillon de création, avec l’impression de résoudre une énigme dont les pièces se réarrangent constamment.
C’est fascinant de voir comment Clouzot, sans même un crime à dénouer, parvient à créer cette tension dramatique en nous confinant dans l’intimité de l’atelier de Picasso. On ressent chaque vibration, chaque hésitation, comme si nous étions à la fois spectateur et détective et que nous scrutions chaque geste du maître pour déceler ses intentions.

Le cadre restreint de l’atelier n’est pas simplement un fond, c’est une scène vivante où chaque détail compte. Clouzot capte cet espace avec une telle intensité que même sans dialogues, sans actions violentes, il parvient à nous maintenir sur le fil du rasoir. On est là, suspendu, se demandant à chaque instant quelle nouvelle tournure prendra l’œuvre de Picasso, tout comme on le ferait en lisant les derniers chapitres d’un roman policier haletant.

Le Mystère Picasso nous offre l’esprit du peintre, nous transforme en détectives de l’âme, cherchant à comprendre chaque mouvement de pinceau, chaque choix de couleur. C’est une immersion totale dans l’inconnu, où chaque toile devient une scène à déchiffrer, où chaque détail nous rapproche un peu plus du mystère que Picasso seul connaît. Clouzot réussit ce tour de force de nous captiver sans intrigue criminelle, simplement en nous offrant le privilège d’observer un génie au travail.

Des pistes multiples

Gone Baby GoneLe suspense du thriller Gone Baby Gone (2007), réalisé par Ben Affleck se construit contre un écheveau de doutes et de suspicions. Dès les premiers instants, nous nous retrouvons dans une enquête tortueuse au cœur de Boston, où la disparition de la petite Amanda McCready devient le centre névralgique de tensions croissantes.

Chapitre 1 : La Disparition

Le décor est planté. Les rues de Dorchester respirent la grisaille et la désolation. Quand Amanda disparaît, chaque résident devient un suspect potentiel. Des murmures parcourent les allées, chacun a une opinion, chacun cache quelque chose.
Patrick Kenzie et Angie Gennaro, un duo de détectives privés, sont engagés pour démêler cette affaire. Ils interrogent voisins, famille, et amis, mais chaque réponse participe d’un labyrinthe de mensonges et de vérités partielles.

Chapitre 2 : Les Fausses Pistes

Les indices surgissent de manière subtile, presque imperceptible. La caméra s’attarde sur des détails anodins : une montre en or, un regard furtif, une porte entrouverte. Chaque personnage semble cacher une part de mystère. La mère d’Amanda, Helene, est une énigme à elle seule. Sa dépendance, ses fréquentations douteuses, tout en elle crie suspicion, mais est-ce trop évident ? Lionel McCready, l’oncle, se tient en retrait. Son visage dur et impassible cache-t-il un secret plus sombre ? Bea, sa femme, incarne l’anxiété pure, mais ses pleurs semblent-ils trop réels pour être sincères ? Ces personnages évoluent dans un ballet de culpabilité potentielle, là aussi, chaque geste, chaque mot devient un indice à comprendre.

Chapitre 3 : La Confrontation avec la Réalité

L’enquête avance, mais Kenzie et Gennaro se retrouvent rapidement confrontés à des choix impossibles. Ils fouillent les recoins obscurs de la vie d’Amanda. Derrière son visage innocent, un monde bien plus sombre émerge, un monde où chaque découverte semble plus perturbante que la précédente. Ils pensaient que c’était banal, un simple enlèvement. Mais avec chaque indice découvert, la réalité se délite. A chaque pas, une nouvelle révélation pulvérise leurs certitudes. Décidément, rien n’est ce qu’il semble. Cette simple affaire d’enlèvement, pensaient-ils, devient une descente aux enfers lorsque se dévoilent les rouages d’un système gangrené par la corruption.

L’univers d’Amanda, autrefois ordinaire, se révèle être une énigme labyrinthique. Les personnages que nous pensions comprendre se révèlent sous un jour inattendu. Leurs véritables intentions se brouillent à chaque nouvelle découverte. On croit saisir la vérité, mais à chaque découverte, le mystère se densifie, reculant encore l’issue tant attendue. Gone Baby Gone joue avec nos attentes comme un maestro jouant de son instrument. On commence à se demander si l’innocence n’est pas qu’un voile, si ces regards francs ne cachent pas des secrets. Chaque nouvelle piste s’avère être une fausse piste.
Au fur et à mesure que l’histoire progresse, on se trouve emporté dans un labyrinthe émotionnel. On est piégé, incapable de discerner le vrai du faux. La vérité, toujours hors de portée, semble se moquer de nous.

Chapitre 4 : Une Résolution Ambiguë

Quand la vérité éclate enfin, elle fait mal. Elle n’est pas la libération que l’on espérait. Au lieu de soulager, elle déchire les certitudes. L’innocence et la culpabilité se fondent en une conclusion qui laisse un goût amer. À ce moment précis, le lecteur/spectateur est envahi par le doute. Ben Affleck ne cherche pas à apporter un réconfort. Il ne tend pas vers la justice telle qu’on l’imagine. Au contraire, il nous confronte à une réalité crue et brutale : la justice est-elle vraiment possible ? Peut-on agir avec bonté sans en payer un prix trop excessif ?

Le dénouement ne résout pas les tensions ; il les amplifie. On reste avec cette question : qu’est-ce que cela signifie de faire le bien dans un monde si tordu ? Ce film nous laisse face à nous-mêmes, à nos propres dilemmes moraux. Il exige que nous regardions au-delà de la surface, à voir la complexité dans chaque acte, chaque décision. Rien n’est simple ni facile.
À la fin, nous ne sommes pas consolés, nous sommes bousculés. Gone Baby Gone nous demande de réfléchir, de questionner. Peut-on vraiment être juste sans perdre quelque chose d’essentiel en chemin ? Est-ce que le bien est possible dans un monde aussi imparfait ? Ce sont ces questions qui hantent bien après le dénouement.

Épilogue : Le Triomphe du Doute

Gone Baby Gone n’est pas juste un autre film, c’est une véritable manipulation psychologique. À chaque nœud dramatique, le doute s’infiltre. C’est comme si chaque personnage, chaque situation était conçu pour maintenir cette tension électrique qui ne vous lâche jamais. On avance comme dans un brouillard et alors que les indices sont disséqués avec une précision effrayante, on remet tout en question. On cherche désespérément des réponses, mais le film ne fait que jouer avec nos attentes, nous sommes dans une incertitude constante.

En suivant Kenzie et Gennaro, on ressent leur propre confusion, leurs propres dilemmes. On se demande, tout comme eux, si l’on peut vraiment faire confiance à quelqu’un. Chaque regard, chaque mot a un poids, une ambiguïté qui nous maintient sur le fil du rasoir. Et à la fin, le film nous force à affronter une vérité dure et inconfortable : dans ce grand jeu qu’est la vie, on est tous des suspects potentiels. On ne sait jamais vraiment qui est innocent ou coupable. Gone Baby Gone nous laisse avec cette pensée troublante. Le doute est décidément partie prenante de notre existence.

Dénouement & Révélation

BrickPrenons Brick. Ce film noir moderne, réalisé par Rian Johnson, transpose le genre du film de détective dans le cadre inattendu d’un lycée américain. Si vous ne connaissez pas ce film, ne lisez pas la suite de ce paragraphe.

Brendan Frye, un adolescent intelligent mais replié sur lui-même, découvre le corps sans vie de son ex-petite amie, Emily. Déterminé à découvrir ce qu’il lui est arrivé, il s’immisce dans les entrailles de la société lycéenne, entre dealers, conspirations et secrets sombres. À la fin, Brendan convoque tous les suspects dans un face-à-face tendu où il expose, dans une brillante démonstration, la vérité qui lie tous les indices et révèle l’identité du coupable.

La scène du dénouement dans Brick se déroule dans un parking désert, à l’aube, avec une tension palpable dans l’air. Brendan, se tenant droit malgré ses blessures, a réuni autour de lui les personnages clés : Tug, le dealer au tempérament explosif ; Laura, la manipulatrice aux apparences trompeuses ; et Pin, le cerveau des opérations clandestines.

Brendan, le regard perçant, énumère les indices avec une redoutable précision. Le billet trouvé dans la main d’Emily, les marques de seringues sur son bras.. Ce ne sont pas des coïncidences, commence-t-il, sa voix grave emplissant l’espace.
Laura fronce les sourcils, un léger sourire d’assurance disparaissant de ses lèvres. Tug serre les poings, prêt à exploser comme à son habitude. Pin, imperturbable, fixe Brendan avec une froide intensité. Emily cherchait à te fuir, Tug, poursuit Brendan, pointant du doigt le dealer. Elle avait compris que tu la mènerais à sa perte. Mais tu n’étais pas le seul à la menacer.

Brendan se tourne vers Laura. Toi, Laura, tu étais là pour la manipuler. Mais pourquoi ? Parce que tu étais celle qui tirait les ficelles depuis le début. Tu savais qu’Emily avait découvert la vérité sur tes affaires avec Pin. Un silence pesant s’installe. Les visages se crispent, les regards s’échangent, chargés de suspicion et de peur. Elle ne méritait pas de mourir, dit Brendan, sa voix se brisant légèrement. Mais vous tous, vous êtes coupables d’avoir tissé cette toile autour d’elle..

Laura, ses yeux maintenant remplis de panique, tente une dernière manœuvre. Tu n’as aucune preuve, murmure-t-elle, mais sa voix manque de conviction. Ce foulard que tu portes, réplique Brendan, un sourire triste aux lèvres. Il est couvert de son sang.

La scène se termine avec l’arrestation de Laura, tandis que Brendan s’éloigne, l’ombre du parking se refermant sur lui. Le détective adolescent a révélé les liens et les indices avec une telle clarté que même le lecteur/spectateur, emporté par le mystère, n’avait pas tout vu venir.
C’est ce moment de dénouement, où la vérité éclate, que Brick maîtrise à la perfection. Le film nous jette dans un univers où les apparences sont trompeuses et où chaque détail compte, pour finalement nous conduire à une conclusion où le détective dévoile brillamment le coupable, en mettant au jour des rapports entre les personnages que nous n’avions pas soupçonnés. Des indices épars se rejoignent dans une révélation éblouissante.

Brick est la démonstration qu’une structure classique s’adapte dans les contextes les plus improbables.

La modernité
L’anti-héros

Nightmare AlleyPrenons Nightmare Alley (2021), réalisé par Guillermo del Toro, une adaptation du roman noir de William Lindsay Gresham. Del Toro et son coscénariste Kim Morgan nous jette dans une atmosphère sombre et psychologiquement complexe, où le héros est loin des archétypes de détectives parfaits.

L’histoire suit Stanton Stan Carlisle, un arnaqueur charismatique avec un passé trouble. Dès le début, Stan est présenté comme un homme en fuite qui porte le poids de ses actions passées. Plutôt que d’être un héros immaculé, Stan incarne un personnage aux multiples défauts qui fait grand cas de la manipulation et de l’art de l’illusion pour se frayer un chemin dans la vie.

Dès qu’il rejoint la fête foraine, Stan se découvre un talent inné pour le mentalisme. Mais ce n’est pas simplement un tour de passe-passe. En réalité, il excelle à lire les gens, à percer leurs failles et à manipuler leurs désirs cachés. Très vite, il attire l’attention des riches crédules qu’il escroque sans vergogne. Son succès fulgurant ne repose pas sur des valeurs nobles. Non, Stan est poussé par une ambition insatiable et une volonté farouche de fuir les ombres de son passé.

Nightmare AlleyÀ l’opposé, Lilith Ritter entre en scène, froide et calculatrice, une psychanalyste enveloppée de mystère. Mais ne vous y trompez pas, Lilith n’est pas là pour contrer Stan. Elle est un labyrinthe en elle-même, avec des coins sombres aussi tortueux que ceux de Stan. Elle observe, analyse, puis tire les ficelles avec une précision glaciale. Son jeu est dangereux, fait de manipulation et de connaissance intime de l’esprit humain.

Leur relation devient rapidement un duel psychologique. Chacun cherche à contrôler l’autre, à dominer. Chaque regard, chaque geste est un mouvement sur un échiquier de tromperies mutuelles, où la méfiance règne en maîtresse des lieux et où chaque mot peut être une balle tirée à bout portant. Stan et Lilith explorent les profondeurs de leurs propres ténèbres, poussés tous deux par un même besoin de dominer et de survivre dans un monde qui n’a que faire de leur statut social.

Le récit éclaire avec acuité les effets calamiteux de la cupidité et de la corruption morale, et il montre comment les personnages sont piégés dans un cercle vicieux de désirs et de fautes. Ils deviennent à la fois les victimes et les artisans de leur propre ruine. Stan incarne totalement cette dynamique tragique. Animé d’une aspiration à se réinventer et à se libérer de son passé, il se trouve néanmoins perpétuellement en proie à ses anciens démons.
Ses décisions, teintées d’opportunisme et de tromperie comme à son habitude, se retournent finalement contre lui, et l’entraînent dans une lente destruction qu’il tente désespérément d’éviter. Stan est pris dans un cercle vicieux, oscillant entre ses désirs d’ascension et les conséquences inéluctables de ses actes. C’est un homme en constante lutte avec lui-même.

Dans Nightmare Alley, Del Toro ne se contente pas de créer un simple décor vintage pour son intrigue criminelle. Il plonge le lecteur/spectateur dans un véritable champ de bataille psychologique où Stan, le personnage principal, doit affronter ses propres démons intérieurs. On assiste à sa descente inexorable vers la folie et la déchéance. Mais cette folie de Stan n’est pas un simple hasard du destin. Elle est le produit d’un système impitoyable contre lequel il se bat sans relâche, écartelé entre des forces internes et externes qui le dépassent.
On ne peut rester insensible à ce périple cauchemardesque. Del Toro nous entraîne dans les tréfonds les plus sombres de l’âme humaine. Il donne âme et chair aux démons qui rongent Stan de l’intérieur. On ressent presque physiquement son combat désespéré, son impuissance face aux forces invisibles qui régissent sa destinée. Une expérience cinématographique d’une rare intensité émotionnelle.

L’expérience psychologique

L’évolution du mystère au cours des dernières années a marqué un tournant fascinant. Loin de se focaliser exclusivement sur la résolution d’un crime, les œuvres contemporaines enrichissent l’intrigue en se plongeant dans les complexités psychologiques de leurs personnages.

Decision to Leave (2022) de Park Chan-wook

Decision To LeaveLe film raconte l’histoire de Hae-jun, un détective de Busan, qui enquête sur la mort suspecte d’un homme retrouvé au pied d’une montagne. Sa veuve, Seo-rae, une immigrée chinoise énigmatique, devient rapidement la principale suspecte. Cependant, Hae-jun se retrouve émotionnellement impliqué dans l’affaire car il ressent des sentiments ambigus envers Seo-rae.

Contrairement aux récits classiques où la priorité est de découvrir l’identité du coupable, Decision to Leave se préoccupe davantage des tourments intérieurs de ses personnages. Hae-jun, un détective méthodique, est déchiré entre son devoir professionnel et l’attrait que Seo-rae a sur lui. Cette relation compliquée devient le cœur du récit qui adopte un point de vue très subjectif lorsque la passion brouillent le jugement de Hae-jun.

Ce qui est fascinant pour nous (ne serait-ce que sous l’angle de la morale et de l’éthique) est de voir Hae-jun lutter pour rester objectif tout en succombant à ses sentiments.

Seo-rae, quant à elle, est assez étrange. Elle oscille entre la vulnérabilité et la manipulation ce qui laisse Hae-jun et nous avec plutôt indécis sur ses véritables intentions. Cette incertitude incite Hae-jun à se questionner non seulement sur l’affaire, mais aussi sur sa propre perception de la réalité et de ses désirs.
Dans l’art du Show don’t tell, Park Chan-wook nous décrit l’état d’âme troublé de Hae-jun et le caractère insaisissable de Seo-rae par ses cadrages, les reflets et de subtils jeux de lumière. Les scènes où Hae-jun observe Seo-rae à travers des fenêtres ou des écrans sont particulièrement révélatrices : elles symbolisent son effort constant pour la comprendre, tout en maintenant une certaine distance émotionnelle.

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