Résister
Tyrannie politique, injustices sociales, abus de pouvoir, répression culturelle.. l’oppression revêt mille visages selon ses desseins. Dans le film brésilien « Cidade de Deus » (La Cité de Dieu), le lecteur/spectateur s’abîme au cœur d’une favela de Rio de Janeiro, où violence et criminalité sont le quotidien et où la corruption policière et l’absence d’opportunités précipitent la pauvreté et la violence.
Ce film dépeint avec une intensité brutale comment l’oppression systémique anéantit rêves et espoirs et réduit des vies humaines à de simples statistiques. Les personnages, dans leur quête désespérée de sens et d’évasion, se débattent pour échapper à un système implacable qui les broie sans répit.
La raison commande que l’homme, en tant qu’être rationnel doué de libre arbitre, ne saurait se soumettre durablement à l’oppression et à l’injustice sans contrevenir à l’impératif du respect dû à sa dignité. Bien que les chaînes de l’asservissement enserrent trop souvent l’humanité, il est inéluctable que la lumière de la conscience finisse par percer les ombres de l’obscurantisme. L’être humain, par le simple usage de ses facultés rationnelles, est nécessairement appelé à reconnaître les injustices dont il est l’objet, qu’elles lui soient révélées par l’épreuve du malheur ou par l’examen de sa condition.
Ainsi, dans Lagaan, les paysans ouvrent les yeux sur l’oppression fiscale coloniale qui leur est arbitrairement imposée en dépit des calamités naturelles. Le personnage principal, Bhuvan, non seulement se fait le porte-parole de son peuple mais il éprouve aussi dans sa chair et dans son âme l’oppression.
Cette prise de conscience généralisée des masses opprimées agit alors comme une étincelle libératrice qui embrase leur volonté d’émancipation. Défiant l’autorité par la voie symbolique d’une joute sportive, le cricket, ils affirment leur insoumission vertueuse face à l’injustice. Ce témoignage artistique illustre à merveille comment l’humanité, par l’exercice de sa raison et la poursuite de l’idéal moral, peut s’extraire des fers de la domination pour arpenter les sentiers éclairés de l’équité et du droit.
Un engagement personnel
La résistance surgit souvent de gestes solitaires de refus. Ces gestes, bien qu’ils semblent anodins, incarnent un rejet ferme et absolu de l’oppression. Cette idée est au cœur du film sud-africain Cry Freedom : Le Cri de Liberté.
Donald Woods, journaliste blanc et privilégié, connaît une amitié profonde avec Steve Biko, défenseur passionné de la liberté contre l’apartheid. Lorsque la police assassine brutalement Biko, Woods se retrouve face à l’atrocité de l’injustice raciale ce qui suscite en lui une conscience nouvelle et un désir fort de combattre l’inégalité.
Parce qu’il dénonce les ignominies d’un régime tyrannique, Woods, tel un Prométhée moderne, met en péril non seulement sa propre vie, mais aussi celle de sa famille. Toutefois, ce geste audacieux n’est pas dépourvu de signification. Au contraire, il éveille l’espoir et instille l’idée d’un changement. Par cet acte individuel de bravoure, Woods démontre que la résistance contre l’injustice naît souvent d’une prise de conscience soudaine, d’un élan du cœur accompagné d’un engagement personnel.
Le combat héroïque de Woods éclaire avec une intensité saisissante comment les actes personnels de courage et de discernement face à l’oppression possèdent un pouvoir transformateur d’une véritable étendue. La résistance n’est pas le mouvement collectif anonyme qu’elle paraît être, elle est le résultat d’innombrables décisions individuelles comme autant de détermination et de justice, qui, une fois réunies, forment une volonté contre la tyrannie.
C’est ainsi que se dessine la grandeur de l’âme humaine, dans la somme de ces gestes de défi, qui, comme des grains de sable dans l’engrenage du despotisme, finissent par le gripper irrémédiablement. Le récit de Woods et Biko nous informe sur l’importance fondamentale du lien indissociable entre l’individu et le monde commun. Lorsqu’un être, par sa faculté de penser inhérente à sa condition humaine, prend conscience de l’injustice qui gangrène la cité, cela peut enclencher une brèche, une fissure dans les structures de domination érigées par le pouvoir établi.
La résistance politique jaillit de cette étincelle initiale de l’action individuelle, qui trouve son accomplissement dans le mouvement collectif car chaque acte courageux de défi à l’ordre tyrannique vient nourrir et donner sens à l’engagement de tous. Ainsi, nulle rébellion contre le système oppressif ne saurait être réduite à la somme d’actes individuels. Chaque geste de défiance personnelle participe de la lutte collective pour la liberté.
L’individu, les yeux dessillés, rejoint ses semblables dans un combat commun. Et le collectif, en retour, fournit le cadre par lequel chaque parole, chaque action acquiert sa véritable portée politique : un coup supplémentaire porté à l’édifice tyrannique, un pas de plus vers l’avènement d’un monde plus juste et plus humain.
Avec Les Hommes libres, Ismaël Ferroukhi raconte l’histoire d’hommes ordinaires, de cette communauté musulmane de l’empire colonial qui, dans les heures les plus sombres, a su se dresser contre la barbarie nazie. Le parcours de Younes, cet ouvrier algérien d’abord détaché du sort des Juifs traqués, incarne cette prise de conscience progressive des enjeux de la lutte. Son engagement dans la résistance, au péril de sa vie, symbolise le réveil d’une conscience citoyenne dépassant les clivages ethniques et religieux.
À travers ses personnages fictifs et réels, Ferroukhi nous rappelle que la solidarité, le refus de l’oppression et de l’injustice peuvent rassembler au-delà des différences. Face à l’abjection de l’occupant, ces hommes libres de tous horizons ont fait le choix de l’humanité.
Leur résistance témoigne de la nécessaire union des peuples dans les heures décisives, lorsque les valeurs essentielles sont en péril. Elle démontre que les plus humbles, animés par un idéal de justice, peuvent à leur tour insuffler l’esprit de la liberté.
Le sacrifice et ses conséquences
La lutte contre l’oppression est un thème omniprésent dans de nombreuses œuvres cinématographiques et littéraires. Dans le film To Live (Vivre !), réalisé par Zhang Yimou, ce thème est dramatiquement incarné à travers les expériences de Fugui et de sa famille. Située en Chine au cours du tumultueux XXe siècle, l’histoire suit les bouleversements personnels et sociopolitiques qui les affectent profondément. Les sacrifices que Fugui et sa famille doivent endurer (la perte de proches, de libertés..) expliquent les coûts exorbitants de la quête de liberté et de justice. Chaque épreuve subie par la famille met en exergue la tension entre les idéaux élevés et les réalités brutales de leur époque, posant une question cruciale : à quel prix ces idéaux valent-ils la peine d’être poursuivis ?
Les sacrifices et la résilience de Fugui peuvent être analysés sous plusieurs types d’arcs dramatiques, mettant en lumière différentes facettes de son évolution face à l’oppression.
Un arc dramatique positif voit un personnage évoluer et s’améliorer malgré les défis qu’il rencontre. Dans Vivre !, Fugui pourrait représenter cet arc en montrant une croissance intérieure et une résistance face aux épreuves. Dès le début, Fugui n’est pas un héros traditionnel ; il commence comme un joueur invétéré, ce qui conduit à la perte de la fortune familiale. Cependant, à travers les épreuves de la guerre civile, de la Révolution culturelle, et des politiques radicales du régime maoïste, il trouve en lui-même des réserves de force et de détermination qu’il ne soupçonnait pas.
Son désir de protéger et de soutenir sa famille devient sa principale préoccupation, transformant sa faiblesse initiale en une force morale admirable. Cette transformation, qui le voit passer de la déchéance à une forme de rédemption personnelle, est le cœur de son arc positif.
À l’opposé, un arc dramatique négatif voit un personnage se dégrader moralement ou psychologiquement à travers les événements de l’histoire. Si l’on considère un arc dramatique négatif, Fugui pourrait incarner la tragédie humaine face à une oppression écrasante. Les pertes successives comme la mort de son fils et les souffrances infligées par les politiques du régime pourraient le briser, le rendant cynique et désillusionné. Ce type d’arc montre comment les forces oppressives peuvent non seulement écraser les rêves et les aspirations, mais aussi corrompre l’âme humaine. Dans cette lecture, Fugui ne se réinvente pas positivement mais sombre dans une acceptation amère de son sort, illustrant les effets destructeurs de l’oppression.
Dans un arc dit plat, un personnage reste fondamentalement idem malgré les circonstances changeantes. Pour Fugui, cet arc pourrait illustrer une constance héroïque face à l’adversité. Malgré les nombreux sacrifices et les épreuves, Fugui pourrait rester inébranlable, symbolisant ainsi la persistance de l’humanité et la capacité de survie face aux forces implacables de l’oppression. Son caractère tenace et sa détermination à maintenir sa famille à flot malgré tout créent une figure de résilience qui refuse de plier sous la pression. Cet arc montre que parfois, la plus grande forme de courage est de simplement continuer à vivre et à persévérer, sans subir de transformation intérieure dramatique.
Désir et Besoin
Fugui ne vit que pour sa famille. Ses mains calleuses trahissent des années de labeur acharné et tout cela pour que sa femme et ses enfants aient de quoi manger et un toit sur la tête. Le village entier voit ses efforts, ses sacrifices. Mais au fond de son cœur, il y a autre chose, un combat silencieux car Fugui cherche la rédemption. Ses nuits sont hantées par le souvenir des dés qu’il lançait, de la fortune familiale qu’il a dilapidée. Chaque grain de riz qu’il cultive, chaque mur qu’il bâtit, c’est sa manière de racheter ses erreurs. Le poids de son passé pèse lourd et chaque sourire de sa fille, chaque soupir de sa femme sont un rappel constant de ce qu’il a failli perdre.
Il ne peut effacer ses fautes, mais il peut essayer de construire quelque chose de nouveau, de solide. Pour eux, mais aussi pour lui-même. Fugui n’énonce jamais ce tourment intérieur. Ses actions parlent pour lui. Chaque geste est une prière silencieuse pour une paix intérieure, pour une forme de consolation. Dans ce chaos, il cherche un sens à son existence, une réconciliation avec le Fugui d’autrefois. Et ainsi, il continue, jour après jour, sans répit. Non seulement pour voir sa famille survivre, mais pour retrouver une parcelle de dignité, une raison de tenir bon.
Conflit et Obstacles
Les conflits que Fugui affronte sont multiples et compliqués. Ils se manifestent à la fois sur le plan personnel et sociopolitique. Sur le plan personnel, nous l’avons vu, Fugui doit essentiellement faire face à la perte de ses proches, comme la mort tragique de son fils lors de la Révolution culturelle. Ces pertes sont des coups émotionnels profonds qui testent sa résilience et sa capacité à continuer d’avancer.
Sur le plan sociopolitique, il traverse les changements draconiens imposés par le régime maoïste, qui introduisent des politiques radicales bouleversant la vie quotidienne. Ces conflits extérieurs, qu’ils soient politiques, économiques, ou sociaux, créent un terreau pour le développement de son arc dramatique. Les obstacles sont nombreux et souvent semblent insurmontables, mais c’est précisément comme cela que se forge et se révèle le véritable caractère d’un personnage. La vie, même fictive, est ainsi faite.
Révéler les émotions
Les actions que Fugui entreprend face à ses obstacles sont les moyens par lesquels il exprime ses émotions. Chaque décision, qu’elle soit motivée par le désespoir, l’amour ou la simple survie, offre un aperçu de ses luttes intérieures. Par exemple, sa décision de travailler dur et de s’adapter aux nouvelles réalités imposées par les changements politiques montre sa détermination et sa volonté de protéger sa famille coûte que coûte.
Ses interactions avec les autres personnages, notamment sa femme Jiazhen, révèlent ses peurs, ses espoirs et ses désespoirs. En agissant, Fugui ne se contente pas de réagir aux événements ; il montre activement comment ces événements affectent son âme et son cœur. Cela permet au lecteur/spectateur de s’attacher à lui et de comprendre la profondeur de ses luttes internes, humanisant ainsi le personnage et rendant ses sacrifices encore plus poignants.
En conclusion, la transformation
La résistance, même face à un régime se voulant tout-puissant, finit toujours par ouvrir la voie au changement. Ces transformations sont lentes, parfois incomplètes, mais elles laissent une marque indélébile dans les esprits et les cœurs. À travers Persepolis, l’adaptation de la bande dessinée autobiographique de Marjane Satrapi, elle a souhaité raconter le parcours d’une petite fille grandissant au sein de la révolution islamique en Iran. Sa résistance personnelle à l’oppression religieuse et sociale a pris des formes multiples : de l’expression artistique à la rébellion silencieuse du quotidien.
Par son regard d’enfant, puis d’adolescente, se dessine la lente émergence d’une conscience citoyenne refusant l’injustice et l’obscurantisme. Cette quête intérieure de liberté, ces actes discrets mais essentiels de refus individuel, nourrissent une transformation plus vaste de la société. Même si la voie vers le changement est semée d’embûches et de sacrifices, la résistance ouvre une brèche. Elle allume une étincelle qui, de cœur en cœur, fait rayonner l’espoir d’un avenir différent, plus libre et plus juste. C’est cette lutte opiniâtre de l’esprit humain que Marjane Satrapi a voulu célébrer.
Marjane, jeune et curieuse, observe son monde changer brutalement. Les rues de Téhéran, autrefois animées et colorées, se couvrent de noir et de silences oppressants. Les libertés se réduisent à peau de chagrin et les sourires se fanent. Mais au cœur de cette obscurité naît une lumière : la détermination de Marjane.
Elle dessine. Elle raconte. Ses crayons deviennent des armes, ses mots des boucliers. Chaque touche sur la toile est un acte de résistance, chaque histoire racontée un souffle de liberté. Marjane se bat, non pas avec des armes, mais avec sa volonté et son art. Elle refuse de se laisser étouffer par le voile de l’oppression.
À l’école, elle conteste, pose des questions, remet en cause les dogmes imposés. Ses professeurs la réprimandent, mais elle persiste. À la maison, les discussions avec sa famille sont des moments de refuges, des moments où elle peut respirer et se ressourcer. Ses parents, figures de courage, lui inculquent l’importance de la vérité et de la justice, même au prix de grandes souffrances.
Les années passent, les épreuves se multiplient. Marjane connaît l’exil, la solitude, la perte. Mais même loin de sa terre natale, son esprit reste libre. Elle trouve des alliés, d’autres résistants, des âmes semblables qui refusent de se soumettre. Ensemble, ils sont un réseau de solidarité et de rébellion.
Marjane revient, change, grandit. Son regard reste vif, son cœur résolu. Elle incarne cette idée que la résistance, même silencieuse, même individuelle, peut avoir un effet énorme. Chaque geste, chaque parole, chaque acte de défiance envers l’oppression participe à une grande mosaïque de changement.
À travers Persepolis, Marjane Satrapi nous montre que la résistance n’est pas toujours bruyante ou spectaculaire. Elle peut être discrète, quotidienne, enracinée dans les petites actions de la vie. Mais c’est cette accumulation de gestes anodins qui, au fil du temps, érode les fondations de l’oppression et prépare le terrain pour de nouvelles libertés.