ÉCRIRE LA S.F. – 15

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Des motivations internes

BettelheimLes motivations intimes concernent les besoins émotionnels ou psychologiques des personnages, souvent liés à leurs expériences passées ou à leur recherche d’une compréhension personnelle. Nos pulsions intérieures les plus intimes, sources de nos émotions et de nos aspirations, sont inextricablement liées à la substance même de ce qui nous rend humains.
À travers son analyse des contes de fées et de leur effet sur notre développement psychologique, Bruno Bettelheim a mis en lumière comment ces besoins primordiaux transcendent leur simple rôle narratif. Ils deviennent les vecteurs essentiels qui sont à l’origine de notre condition d’êtres humains. Ce sont eux qui dictent nos actes, guident nos choix et orientent notre quête de sens et de plénitude. Leurs ramifications régissent notre parcours, nos motivations et notre poursuite du bonheur, telles des forces secrètes qui animent notre existence.

Pour Bettelheim, l’amour s’impose comme un besoin primordial, un fil conducteur qui traverse et influence chaque aspect de notre existence. Dans les contes de fées, la quête de l’amour se manifeste souvent à travers des épreuves et des péripéties, des défis que les héros et les héroïnes doivent traverser pour atteindre une complétude, une harmonie intérieure et une félicité durable.

De la même manière, dans l’univers de la science-fiction, un personnage en quête d’amour peut être poussé par des sentiments d’isolement, de solitude oppressante, ou un désir de connexion humaine, d’autant plus poignant dans un univers souvent perçu comme froid et inhospitalier.
SunshineDans Sunshine de Danny Boyle, une équipe d’astronautes est en mission pour raviver le Soleil, la source de vie de notre système solaire, sur le point de s’éteindre. Ce périple est bien plus qu’une simple mission scientifique ; il est empreint de motivations intimes et émotionnelles sincères. Chaque membre de l’équipage est animé d’un besoin intense et vrai de sauver l’humanité, de donner un sens à son existence en accomplissant quelque chose d’énorme.
Leur voyage est parsemé d’épreuves incroyables et de périls qui symbolisent leur quête de survie et de relations humaines. À travers leur lutte contre les forces de la nature et leurs propres démons intérieurs, Sunshine démontre comment des passions comme la peur, l’amour et l’espoir, dictent nos actions et décident en fin de compte de notre destinée.

Minuit dans l'univers

Dans Minuit dans l’univers de George Clooney, l’histoire se concentre sur Augustine, un scientifique solitaire vivant dans l’Arctique qui tente désespérément de contacter un groupe d’astronautes pour les avertir de ne pas revenir sur une Terre ravagée. Augustine est motivé par un profond sentiment de culpabilité et un besoin de rédemption. Son isolement physique et émotionnel est une métaphore de sa quête intérieure pour la réconciliation et la paix.
En parallèle, les astronautes représentent l’espoir et l’aspiration à une relation humaine malgré des conditions extrêmes et inhospitalières. Leur voyage à travers l’espace illustre le besoin fondamental d’amour et de compassion, même dans un univers impitoyable.

La Rédemption : la clef de la transformation

La rédemption est un autre besoin émotionnel puissant qui trouve ses racines dans le désir de se racheter de ses erreurs passées et de retrouver une forme de pureté ou d’intégrité. Bettelheim souligne que ce besoin de rédemption est souvent présent dans les contes où les personnages doivent expier leurs fautes pour atteindre la paix intérieure et l’acceptation sociale.
Dans un cadre de science-fiction, un personnage cherchant la rédemption pourrait être un ancien criminel ou un scientifique ayant commis une erreur énorme. Sa quête de rédemption l’incite alors à entreprendre des actions héroïques ou à sacrifier son propre bien-être pour le bien commun. Ces personnages illustrent la complexité de l’âme humaine et montrent que grandir et changer sont possibles, même dans les circonstances les plus désespérées.

Le Jour où la Terre prit feuAutrefois prometteur, le talent de Peter dans Le Jour où la Terre pris feu de Val Guest a été mis à mal par ses démons intérieurs : l’alcoolisme et les tourments personnels. Désabusé, éloigné de ses proches, Peter erre dans la désillusion, à la recherche désespérée d’une lueur de rédemption pour retrouver son estime de soi.
Une opportunité surgit cependant lorsque des événements météorologiques alarmants et inexpliqués commencent à se produire à l’échelle planétaire. Peter découvre que ces perturbations sont en fait les conséquences involontaires des essais nucléaires menés par les États-Unis et l’Union soviétique dans le cadre de la course aux armements.

Cette révélation devient soudain son chemin vers la rédemption tant désirée. Animé d’une détermination renouvelée, Peter se lance dans une enquête difficile et dangereuse, bravant les obstacles et les forces qui tenteront de l’en détourner. Sa quête de vérité pourrait bien être la clé pour restaurer son honneur perdu.

Le chemin de rédemption de Stenning est marqué par le courage et le sacrifice. Stenning apparaît presque comme une figure christique. Il risque sa carrière, mais ce n’est pas ce qui compte. Ce qui importe, c’est qu’il met en jeu sa vie pour la vérité. Alors que la catastrophe est inévitable, l’engagement de Stenning et sa détermination à sauver l’humanité démontrent qu’il est possible de changer l’égocentrisme en bien commun.
Ainsi, la rédemption de Stenning dépasse son travail de journaliste. Elle s’exprime aussi dans ses relations personnelles, notamment avec Jeannie Craig, une secrétaire au bureau météorologique. Leur relation, à la fois complexe et tumultueuse, aide Stenning à retrouver une stabilité émotionnelle. À travers cette relation, il apprend à se pardonner et à recréer des liens humains significatifs.

Ce film illustre avec une profondeur remarquable la complexité de l’âme humaine, révélant que, même face à une menace de dimension globale, la quête de rédemption personnelle peut devenir une force motrice irrésistible. En s’élevant au-dessus de ses erreurs passées et en luttant pour un avenir meilleur pour tous, Stenning incarne l’espoir et la faculté de transformation inhérente à chaque individu.
Sa métamorphose, d’un homme brisé en un héros dévoué, incarne le vieux thème de la rédemption et souligne l’importance primordiale de l’intégrité et du courage moral face aux épreuves de l’existence.

La Reconnaissance d’exister

Laissez-moi faire un détour par Kant pour expliquer que la recherche de reconnaissance par autrui (c’est-à-dire le regard des autres) ne devrait pas être perçue comme une fin en soi, mais plutôt comme un devoir dérivé du respect que l’on se doit à soi-même en tant qu’être de raison. Selon Kant, l’homme est en effet un être doué de raison et de dignité intrinsèque, qui doit agir selon l’impératif catégorique (un principe inconditionnel que l’on ne discute pas) de la loi morale universelle.
Ainsi, le besoin de validation extérieure découle du respect que chaque individu se doit, en vertu de son humanité et de son autonomie rationnelle.

Être vu et reconnu par les autres n’est alors qu’une conséquence indirecte de l’obligation morale fondamentale d’accorder de la valeur à sa propre existence en tant qu’être doué de raison pratique. La considération d’autrui pour notre personne procède donc du devoir envers nous-mêmes d’agir conformément à la dignité inhérente à tout être rationnel. Bettelheim de son côté explique que la reconnaissance permet aux individus de confirmer leur valeur et leur place dans le monde. Dans les contes de fées, les héros souvent invisibles aux regards ou sous-estimés finissent par être reconnus pour leurs véritables qualités et contributions : une autre manière de penser le discours de Kant.

Duncan JonesAu cœur de l’âpre désolation lunaire, un homme seul fait face à l’immensité glaciale de l’espace. Sam Bell (Moon), employé solitaire d’une station minière, est condamné à une existence monacale de labeur incessant. Jour après jour, il extrait des ressources énergétiques des entrailles rocailleuses du satellite, tandis que son esprit et son corps ploient sous le poids de sa séquestration.
Mais à mesure que les ressorts de l’intrigue se détendent, une vérité renversante fissure l’isolement de Sam. Il n’est qu’un reflet désincarnée, une copie conforme jetée en pâture à cette geôle extraterrestre ! Un clone voué à être remplacé, sacrifié sur l’autel de l’exploitation une fois sa mission accomplie. Cette révélation cinglante ébranle Sam dans ses tréfonds. Son propre regard dessillé, il prend douloureusement conscience de son essence intrinsèquement humaine. Certes, son enveloppe n’est qu’un écho mortel, mais elle abrite une étincelle de vie, de raison, qui brûle au fond de lui.

Le parcours initiatique de Sam comme être de pensée et de volonté appuie l’idée que l’homme mérite le respect et la considération, quelle que soit sa forme ou son utilité aux yeux d’autrui. Sa conscience est le flambeau qui éclaire sa voie vers l’affirmation de son humanité. Sam se bat pour découvrir la vérité et pour être reconnu non pas simplement comme un outil interchangeable, et là le propos du récit se teinte de nuances qu’un Karl Marx aurait pu coucher sur le texte, mais comme un être humain à part entière, avec des émotions, des souvenirs et une dignité.
Cette quête de reconnaissance extérieure découle de son besoin de respecter sa propre existence et sa dignité en tant qu’être doué de raison.

Une biographie : les traumatismes passés

Les expériences traumatisantes décident souvent de la motivation et des actions des personnages, en particulier dans le cadre de la science-fiction. Ce genre aborde fréquemment les répercussions psychologiques des événements plus grands que la vie elle-même, en proposant des contextes futuristes ou extraterrestres pour des thèmes profondément humains.

FreaksDans Freaks réalisé par Zach Lipovsky et Adam B. Stein, Chloe, une jeune fille de sept ans, est enfermée par son père dans leur maison, prétendument pour la protéger du monde extérieur. Son père, traumatisé par la perte de son épouse et la menace constante de forces extérieures hostiles, projette son propre traumatisme sur Chloe. Son comportement protecteur et paranoïaque est directement alimenté par ses expériences passées et sa peur de perdre encore quelqu’un qu’il aime.

Le film dévoile progressivement que Chloe possède des capacités spéciales, ce qui justifie les craintes de son père. Ce dernier réagit par désir de vengeance contre ceux qui ont causé du tort à sa famille et par la volonté de protéger Chloe des dangers qu’il perçoit. Sa motivation mêle traumatisme, vengeance et protection, illustrant comment des expériences passées douloureuses peuvent conduire un individu à adopter des comportements extrêmes pour éviter de revivre ces pertes.
Dans un contexte théorique de science-fiction, Freaks analyse aussi la notion de l’autre et de la peur de l’inconnu. Les pouvoirs de Chloe et des autres anormaux symbolisent les différences et les peurs qu’elles suscitent, ce qui justifie davantage les motivations de protection et de vengeance de son père. En effet, il ne cherche pas seulement à protéger sa fille, mais aussi à se venger d’une société qui a détruit sa vie.

La quête de sens

EvaDans le film espagnol Eva du réalisateur Kike Maíllo, on suit les pas d’Alex Garel, un ingénieur cybernéticien de renom. Après une carrière brillante, Alex décide de retourner dans sa ville natale pour se lancer dans un projet des plus ambitieux et inattendus : la création d’un robot enfant d’une incroyable ressemblance avec un véritable être humain.

Ce défi technologique titanesque cache en réalité une quête existentielle et émotionnelle profonde pour Alex. En repoussant les limites de l’intelligence artificielle, il cherche à sonder les mystères de l’humanité, des émotions et de la nature même de la vie. Son périple l’oppose à des questions fondamentales sur ce qui définit notre existence en tant qu’êtres pensants et sensibles.

Au cœur de l’intrigue, une découverte pour le moins déroutante vient chambouler Alex. Il réalise que Eva, la fille de son frère David et de son ancienne flamme Lana, n’est pas une enfant ordinaire mais bel et bien un robot d’une prouesse technique stupéfiante.
Cette révélation remet en cause toutes ses certitudes et l’oblige à repenser sa vision de l’intelligence artificielle, de la conscience et des frontières ténues entre l’humain et la machine. La quête obsessionnelle d’Alex pour découvrir les origines d’Eva et comprendre son propre rôle dans sa création devient alors le moteur d’un voyage introspectif intense et profondément philosophique. Une plongée vertigineuse dans les confins de la condition humaine et de l’artificialité.

Les thèmes de l’identité et de l’origine dans Eva dévoile magistralement la quête incessante des personnages de science-fiction pour comprendre leur place dans l’univers. Alex, au fil de ses interactions avec Eva et de ses recherches passionnées, se trouve face à des dilemmes moraux et éthiques d’une complexité vertigineuse, remettant en question les implications profondes de ses créations tant sur la société que sur lui-même.
Sa quête de sens se nourrit de questions existentielles, chaque découverte ravive des interrogations sur la nature de l’âme et la véritable essence de l’humanité. Cette odyssée introspective révèle que, dans l’immensité froide et technique de la science-fiction, ce sont les mystères de l’existence et la quête de soi qui battent au cœur de chaque récit.

Des Motivations Externes

Les motivations externes concernent des objectifs concrets et mesurables que les personnages poursuivent dans le monde physique. Ces objectifs sont souvent liés à l’intrigue principale et ajoutent une dimension tangible à leur quête.

AniaraPrenons l’exemple du film Aniara : L’Odyssée Stellaire. Ce film, basé sur le poème épique de Harry Martinson, illustre parfaitement les ambitions professionnelles et la quête de sens dans un cadre de science-fiction. MR est une scientifique à bord de l’Aniara, conçu pour transporter les humains de la Terre à Mars, leur nouveau foyer. Elle supervise la Mima, une intelligence artificielle sophistiquée capable de recréer des souvenirs et des paysages de la Terre pour apaiser les passagers durant le voyage.

Alors que l’Aniara dévie de sa trajectoire après avoir évité des débris, MR doit faire face à un problème majeur : maintenir le moral des passagers alors que leur projet initial devient incertain. Sa vocation scientifique devient alors une recherche désespérée pour contrer la folie et le désespoir qui s’empare insidieusement du moral des passagers.
La Mima est en surcharge, dit-elle en regardant les données défiler sur son écran. Les gens demandent trop d’escapades virtuelles. Nous devons trouver un moyen de rationner son utilisation. Elle relève la tête, ses yeux croisent ceux de son collègue, plein d’inquiétude. On ne peut pas leur retirer ça, MR. C’est la seule chose qui les maintient sains d’esprit. Aniara illustre très justement comment la science et la technologie, bien que vitales, ne suffisent pas toujours à combler les besoins humains fondamentaux dans des situations extrêmes.

Des objectifs personnels

Donc, dans Aniara, un vaisseau spatial transportant des colons vers Mars est dévié de sa trajectoire, plongeant ses occupants dans une lutte désespérée pour la survie dans l’immensité de l’espace. Examinons comment les désirs personnels des personnages dictent leurs actions et ajoutent d’autant une tension à l’intrigue.
MR, la protagoniste, est responsable de Mima, une IA conçue pour apaiser et réconforter les passagers en leur projetant des souvenirs idylliques de la Terre. Son objectif personnel est de maintenir l’espoir et le bien-être mental des passagers dans cette situation pour le moins désespérée. Cependant, à mesure que le temps passe et avec lui l’espoir d’un retour, cette mission devient de plus en plus difficile.

Chefone, capitaine du vaisseau, lutte pour maintenir l’ordre et une moralité fragile parmi les passagers. Chaque décision qu’il prend est empreinte d’angoisse. Et il a bien conscience que ses choix pèsent lourd face à l’évidence désespérée de leur situation. Son désir de préserver la structure sociale et d’éviter le chaos est un combat de tous les instants pour lui, une lutte où la survie de la communauté prime sur tout et en particulier sur l’individu.
Isagel, une passagère, se bat avec ferveur pour protéger son enfant dans cet environnement hostile. Sa détermination à créer une nouvelle vie, à offrir un avenir à son enfant, contraste cruellement avec la lente dégradation de leur situation. Son objectif personnel ajoute une profondeur émotive à l’histoire et traduit de manière romantique le désespoir et la ténacité qui définissent notre humanité.

Ainsi, chaque personnage, en poursuivant ses propres idéaux de perfection, que ce soit dans le soutien psychologique, la moralité sociale ou l’amour maternel, complexifie et intensifie l’intrigue. Leurs aspirations élevées et leurs luttes pour atteindre ces perfections dans un environnement de plus en plus hostile mettent en lumière la profondeur de leur humanité et la tragédie de leur situation.

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