ÉCRIRE LE MYSTÈRE – 5

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Le cœur du mystère : L’énigme ou le crime

Au cœur du genre mystère se cache une énigme en attente de résolution. Ce point de départ, qu’il s’agisse d’un meurtre brutal, d’un vol audacieux ou d’une disparition perplexe, sert d’impulsion au récit qui se déploie à partir de là. C’est en effet à partir de ce nœud complexe, riche en retournements inattendus, qu’une série d’événements se produit, conçue pour captiver autant l’intellect que la curiosité du lecteur/spectateur.
L’importance de cet élément fondamental ne saurait être diminuée, car c’est cela qui suscite l’enquête et maintient l’engagement de la lectrice et du lecteur. Chaque mystère commence par un événement qui exige un examen minutieux : qu’il s’agisse d’un cadavre découvert dans un espace confiné, d’une œuvre d’art dérobée malgré une sécurité réputée inviolable, ou d’une missive anonyme menaçant de révéler des vérités cachées, ces circonstances établissent le fondement d’une enquête bientôt captivante.

Cet épisode initial, énigmatique, formant la toile de fond de l’aventure à venir, doit posséder un degré suffisant d’ambiguïté pour capter l’attention d’emblée. Les détails du crime ou de l’énigme sont alors cruciaux, car ce sont eux qui construisent l’ossature de l’intrigue, chaque indice et chaque découverte conduisant inexorablement à la résolution finale.

MystèreOn peut se référer au Quatrième Homme réalisé par Paul Verhoeven (1983). Ce thriller néerlandais, riche en mystère et en énigmes, répond parfaitement aux critères établis.
Dans ce film, l’histoire commence par des circonstances étranges et perturbantes qui captent immédiatement l’attention. Le protagoniste, un écrivain alcoolique, rencontre une mystérieuse et riche veuve dont les trois précédents maris sont morts dans des circonstances suspectes. Intrigué par cette femme énigmatique, il commence à enquêter sur elle et s’enfonce alors dans un monde de mensonges, de manipulation et de danger.

Le récit, rempli de rebondissements, crée un réseau de situations où chaque indice découvert pousse le héros et le lecteur/spectateur à vouloir en savoir plus. Les détails visuels et narratifs du film construisent une ossature solide pour l’intrigue, chaque découverte menant inexorablement à une résolution qui s’annonce pour le moins satisfaisante.

Le fil conducteur de l’intrigue

Le détective, qu’il soit professionnel ou amateur, est le personnage qui mène l’enquête. Il peut ne pas être le personnage principal mais il ou elle est le personnage par lequel le lecteur/spectateur est informé des rouages de l’intrigue. L’enquêteur fait tout : il repère les indices et nous les explique (sans cela, on perd le lecteur/spectateur), il interroge les suspects et les témoins ce qui confère au récit des dialogues parfois savoureux, en un mot, il erre à travers les méandres de l’intrigue.
MystèreCe personnage central joue un rôle essentiel dans la progression de celle-ci, reliant les différents éléments du mystère pour en révéler la vérité latente. Le détective apporte souvent une perspective unique : il peut s’agir d’un inspecteur chevronné aux méthodes rigoureuses, d’un détective privé au flair inégalé, ou même d’un amateur éclairé doté d’une perspicacité hors du commun. Nous avons Sherlock Holmes, avec son esprit analytique et ses méthodes déductives, comme détective classique. Son approche scientifique et logique, associée à son attention minutieuse aux détails, lui permet de résoudre des énigmes qui paraissent impossibles. Holmes est le prototype du détective rationnel, utilisant des indices physiques et des déductions méthodiques pour parvenir à ses conclusions.

D’autre part, Miss Marple représente un type de détective très différent. Amatrice éclairée, elle se base sur sa profonde compréhension de la nature humaine et de la dynamique sociale. Sa capacité à observer et à interpréter les comportements humains, souvent à partir de petites communautés rurales, lui permet de démêler des affaires assez compliquées. Miss Marple montre que l’intelligence et l’expérience de la vie peuvent être aussi puissantes que les techniques les plus sophistiquées. David Hume, le philosophe, écrit que l’entendement humain ne sera peut-être jamais capable de remédier à tous les maux de l’univers, mais du moins, je pense, il peut essayer. Et Miss Marple nous en fait une belle démonstration sauf qu’ici, la satisfaction se tire de la résolution de l’énigme.

L’enquêteur endosse divers archétypes et personnalités. Un lieutenant de police chevronné utilise des méthodes policières traditionnelles, fondées sur des procédures établies et une longue expérience sur le terrain. Un détective privé, quant à lui, peut agir en marge de la loi, adoptant des approches plus intuitives et moins conventionnelles. Même les détectives amateurs, souvent issus de milieux ordinaires, apportent une fraîcheur et une originalité à leurs enquêtes. Leur curiosité naturelle et leur passion les entraînent à se lancer dans des investigations souvent plus par nécessité personnelle que par profession. Cela autorise des récits où l’implication émotionnelle et les motivations personnelles jouent un rôle majeur.

Vérité et mensonge

Indices et fausses pistes sont partie prenante d’un bon mystère. Les indices sont disséminées tout au long de l’intrigue et bien que leur signification puisse sembler anodine au premier abord, ils renferment les clés permettant d’élucider le mystère. Il faut un savant dosage pour que le détective, qu’il soit un personnage ou le lecteur/spectateur lui-même, puisse, par un cheminement intellectuel, relier ces différents éléments épars et reconstituer la vérité latente.

personnagesCe processus pourrait même être engagé seulement auprès du lecteur/spectateur dans le cas d’une ironie dramatique. Un exemple d’ironie dramatique se trouve dans Traffic (2000) réalisé par Steven Soderbergh. Ce film raconte plusieurs histoires entrelacées liées à la guerre contre la drogue. Une des histoires suit Robert Wakefield, un juge nommé czar anti-drogue qui ignore que sa propre fille est une toxicomane.
Le lecteur/spectateur est conscient de la dépendance de Caroline avant que son père ne le découvre, créant ainsi une ironie dramatique émouvante lorsque Robert, fervent combattant contre la drogue, doit faire face à cette crise personnelle.

Pourquoi recourir aux indices ? Les indices sont les jalons qui balisent le chemin de l’enquête. Pour l’auteur ou l’autrice, ils sont les symptômes révélateurs qui orientent la progression de l’intrigue. Une simple empreinte sur le sable peut ainsi constituer un indice précieux : appartient-elle au coupable ou à un témoin clé ? Ils en connaissent déjà la provenance tandis que le lecteur/spectateur se contente de cette piste ténue. C’est précisément ce qui le rend actif dans la résolution du mystère alors qu’il spécule sur la signification de ces bribes de vérité qui lui sont soufflées au fil des pages ou des scènes.

Au-delà de cette participation du lecteur/spectateur, les indices assurent aussi la crédibilité et la cohérence de l’histoire. Ils constituent une solide ossature narrative, prévenant tout dénouement miraculeux, ce deus ex machina où la solution surgirait miraculeusement, sans avoir été étayée au préalable.
Cette semence d’explication, aussi infime soit-elle, porte en germe la résolution de l’énigme. C’est ce qui fait tout l’art de l’autrice et de l’auteur, capable de dissimuler la vérité à la vue de tous, par une fine stratégie d’indices adroitement disséminés.

A l’inverse, les fausses pistes sont des éléments trompeurs, conçus pour égarer l’enquêteur et dans le même coup, le lecteur/spectateur. Elles semblent plausibles et pertinentes, mais ne conduisent pas à la résolution du mystère. Quand elles surviennent, ressemblant en tous points à un indice, elles sèment plutôt l’incertitude et la frustration lorsqu’on comprend qu’elles ne nous mènent nulle part. Mais paradoxalement, lorsque la solution paraît enfin, elles ajoutent à la satisfaction. Comme si on prend plaisir à s’être laissé berner.

Par ailleurs, lorsque les personnages suivent une fausse piste, ils se confrontent à des situations difficiles et inattendues qui testent leur personnalité et leurs valeurs. Leurs réactions essentiellement émotives à ces situations soulèvent des aspects de leur personnalité qui pourraient ne pas être évidents autrement (et pourtant nécessaires à la compréhension de l’intrigue).

A Couteaux TirésPrenons l’exemple de À couteaux tirés, ce polar salué par la critique. L’intrigue débute sur la mort mystérieuse d’un célèbre romancier, découvert sans vie dans son somptueux manoir. Tandis que le détective Benoit Blanc se lance sur les traces du meurtrier, il se trouve vite pris dans un entrelacs de mensonges et de secrets de famille. Derrière les apparences lisse de ce clan, chacun semble nourrir des motivations inavouées qui auraient pu le pousser à commettre l’irréparable..

C’est ainsi que se profile l’ombre d’un suspect insoupçonné : Harlan, le gendre de la victime. D’abord dépeint comme un homme probe et éploré, son image se lézarde au fur et à mesure que Blanc exhume son passé. Il semble alors que Harlan aurait pu avoir d’alléchantes raisons financières de convoiter la mort de son beau-père fortuné. Pris au piège de ses propres mensonges, le voilà confronté à un choix cornélien : assumer son rôle ou persister dans le déni?
Cette fausse piste savamment distillée crée une délicieuse incertitude, où le lecteur/spectateur ne sait plus qui des personnages est véritablement coupable. C’est toute la force de cette toile narrative adroitement tissée d’apparences trompeuses et de vérités en demi-teintes.

Les fausses pistes dans une narration ne sont pas de simples diversions ; elles constituent des mécanismes par lesquels les personnages sont confrontés à leurs propres zones d’ombre, ces aspects refoulés de leur être qu’ils évitent de reconnaître.

ReptileReptile offre une illustration pertinente de ce processus. Le détective Tom Nichols, engagé dans l’enquête sur le meurtre de Summer Elswick, est entraîné dans un dédale de pistes trompeuses et de secrets bien dissimulés. Les fausses accusations, telles que celles dirigées contre Eli Phillips, forcent Nichols à examiner les motivations profondes des autres personnages. Derrière leurs façades, il découvre des vérités bien plus terribles, comme des réseaux de blanchiment d’argent et des trafics divers.

En scrutant ces mirages trompeurs, Tom dévoile progressivement la corruption qui gangrène les forces de l’ordre. Ainsi, les fausses pistes deviennent des révélateurs puissants des vulnérabilités et des conflits intérieurs qui rongent chacun des personnages.
Cette dynamique narrative, où les fausses pistes mènent à une révélation plus profonde des diverses personnalités, démontre pour ainsi dire le processus dialectique kantien où la confrontation avec les illusions (c’est-à-dire les fausses pistes) conduit à la découverte de la vérité (ici, la corruption et les véritables motivations des personnages). La démarche critique de Kant, consistant à interroger la réalité apparente pour accéder à une connaissance plus authentique, trouve ici une application exemplaire. En cela, Reptile démontre que l’illusion et la vérité sont intrinsèquement liées dans la quête de compréhension humaine.

L’équilibre entre indices et fausses pistes

L’artisan du mystère sait jouer entre la révélation et la dissimulation. Un bon mystère accumule suffisamment d’indices pour que la solution soit trouvable et introduit aussi des fausses pistes pour maintenir le suspense.

Les indices sont les atouts de tout bon mystère. Ils doivent être suffisamment visibles pour que le lecteur/spectateur ait une chance de comprendre l’énigme lorsqu’elle lui sera expliqué, mais assez malins pour ne pas rendre la solution évidente. L’art réside dans le dosage et la distribution de ces indices. Bien placé, c’est-à-dire intégrés à l’intrigue de sorte qu’ils ne se démarquent pas comme des ajouts arbitraires, ils sont souvent cachés. Mais une relecture attentive révèle leur importance. C’est un élément qui, une fois révélé, procure en effet une véritable joie au lecteur et à la lectrice.

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