ÉCRIRE LA S.F. – 13

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La science-fiction repousse les limites du possible. C’est une opportunité pour les autrices et les auteurs de concevoir des êtres aux capacités extraordinaires et aux parcours fascinants avec pour visée essentielle d’émerveiller le lecteur/spectateur.

Les Arcs Dramatiques : Clés de la Transformation

Au début de Passengers, Jim Preston est un personnage en proie à une solitude écrasante. Isolé sur un vaisseau spatial, il parle avec une intelligence artificielle, autant dire qu’il est face à lui-même. Généralement, les récits de fiction sont des métaphores d’une recherche personnelle où les personnages doivent d’abord se perdre pour se trouver. Dans le cas de Jim, cette perte se manifeste par son éveil sans autre présence humaine que lui-même ce qui provoque en lui une sérieuse crise existentielle.

PassengersLa décision de Jim de réveiller Aurora marque une étape importante de son arc dramatique. Cette action, qu’on peut considérer moralement ambiguë parce qu’après tout, il ne laisse pas le choix à Aurora, est une tentative désespérée de combler son vide intérieur.
Il est souvent admis que la rencontre de l’autre est essentielle pour la réalisation de soi. En réveillant Aurora, Jim ne cherche pas seulement à échapper à sa solitude, mais aussi à donner un sens à son existence à travers sa relation avec un autre être humain.

L’évolution de Jim est étroitement liée à sa relation avec Aurora. Cette relation, d’abord fondée sur un mensonge, grandit vers une compréhension mutuelle. Et si c’est à travers l’autre que nous découvrons nos propres valeurs et que nous nous transformons, alors Jim découvre en Aurora non seulement une compagne, mais aussi lui-même et ses propres peurs et ses désirs.
La dynamique entre eux oblige Jim à confronter ce qu’il a fait, à en ressentir de la culpabilité, et finalement à chercher la rédemption.

Celle-ci se situe dans l’apogée de l’arc dramatique de Jim sous la forme de son sacrifice. Bien que terrible, le sacrifice est l’acte héroïque ultime. En effet, se sacrifier pour l’autre est l’ultime forme d’amour et d’accomplissement personnel. En risquant sa vie pour Aurora et les autres passagers, Jim trouve une raison de vivre qui transcende son propre désespoir. Ce sacrifice est une métaphore puissante de la transformation intérieure où, en trouvant l’autre, Jim trouve enfin sa véritable identité et son but.

Les personnages peuvent également suivre des arcs plats et même lorsqu’ils sont ambigus, c’est alors au lecteur/spectateur d’interpréter leur évolution. Cette approche narrative lui offre une liberté unique car il projette ses propres valeurs et désirs sur les personnages.

PrometheusPrenons l’exemple d’Elizabeth Shaw dans Prometheus. Elle incarne parfaitement cette notion. Dès le début, sa quête de réponses sur les origines de l’humanité la consume. Malgré les horreurs qu’elle affronte, des créatures monstrueuses, des trahisons, des pertes dévastatrices, elle reste ferme dans sa volonté. Il faut que je sache. Je ne peux pas abandonner maintenant, murmure-t-elle, les yeux fixés sur l’horizon sombre du monde alien.

Chaque obstacle ne fait que renforcer sa détermination. Son trajet est assez étrange : en tant que scientifique, sa curiosité est satisfaite. En tant que survivante, elle endure des épreuves inimaginables, son corps et son esprit poussés à leurs limites. Pourtant, son obsession pour la vérité reste immuable. Cette constance peut sembler un arc plat, mais elle est enrichie par les nuances de son développement personnel et par les événements qui la transforment. Il y a des choses qu’on ne peut pas ignorer. Même si ça fait mal, dit-elle, serrant les dents, ses mains tremblant légèrement alors qu’elle s’équipe pour une nouvelle expédition.

Le lecteur/spectateur est ainsi laissé dans un espace d’interprétation : voit-on en Elizabeth une héroïne noble, courageuse, digne d’admiration ? Ou bien une figure tragique, aveuglée par une quête vouée à l’échec ? L’ambiguïté de son arc permet une identification plus sincère avec le personnage. Et elle est positive.

Les objectifs

OblivionDans Oblivion, le personnage de Jack Harper incarne une dualité fascinante qui enrichit la profondeur narrative du récit. En tant que technicien, il est chargé de protéger la Terre contre les Chacals, une tâche qui le lie à un devoir extérieur essentiel. Cependant, une quête plus personnelle et existentielle le pousse à explorer son passé et à comprendre sa véritable identité.

Cette tension entre ses obligations extérieures et ses besoins crée un personnage dotée d’une profondeur psychologique, c’est-à-dire un accès pour se saisir de lui. Jack Harper endosse non seulement l’archétype du protecteur, mais est aussi un homme en quête de sens et de compréhension de lui-même.
Cette dualité fait écho à la réflexion précédente sur les arcs dramatiques, où le conflit interne d’un personnage, souvent lié à ses besoins émotionnels et psychologiques, s’entremêle avec ses objectifs extérieurs concrets. Le besoin de Jack de découvrir sa véritable identité entre en conflit avec ses responsabilités de technicien, ce qui ajoute du sens à son arc dramatique.

Si objectif égale conflit

ElysiumDans Elysium, Max se débat contre des conflits internes. Le principal d’entre eux est nourri par un sentiment de culpabilité et par l’espoir de réparer ce qu’il a brisé. En effet, Max aspire à racheter ses erreurs passées et son mode de vie criminel. Ayant grandi dans les bas-fonds de la Terre, il a commis des actes dont il n’est pas fier. Ses expériences de vie l’ont laissé cynique et désabusé, mais une part de lui souhaite trouver une forme de rédemption.

Ce désir (ou dit autrement son objectif) se manifeste d’abord par sa volonté de protéger Frey, son amour d’enfance, et sa fille malade. Max se sent responsable de leur sécurité et veut leur offrir une chance de vivre une vie meilleure. Il voit en elles une lueur d’espoir et de pureté qu’il veut préserver.
Lorsque Max se retrouve gravement irradié, son besoin de rédemption (ce n’est plus un désir dont il est conscient, un besoin est quelque chose que parfois on ne parvient pas même à formuler) devient d’autant plus urgent. Il sait que son temps est compté.

Cette situation tout à fait désespérée (toute fiction est plus grande que la vie parce que son discours l’exige et accessoirement, cela passionne le lecteur/spectateur) lui fait accepter une mission quasi-suicidaire : infiltrer Elysium pour y voler des données. Il voit cette mission non seulement comme un moyen de sauver sa propre vie, mais aussi comme une opportunité de changer le système injuste qui oppresse les habitants de la Terre.

La biographie de Max est essentielle pour comprendre sa personnalité et ses motivations. En grandissant dans un environnement brutal et sans espoir, Max a dû se couper de ses propres émotions pour survivre. Cette coupure émotionnelle ne signifie pas qu’il est dénué d’empathie. En fait, sa relation avec Frey démontre sa capacité à ressentir et à se lier émotionnellement, malgré sa façade impitoyable. Cette dualité rend Max d’autant plus fascinant et crédible en tant que personnage.

Lorsque Frey, son amour d’enfance, réapparaît avec sa fille malade, Max est forcé de reconsidérer ses priorités. Une fibre paternelle de responsabilité et de protection perce à travers son cynisme. Ce réveil émotionnel crée un conflit interne majeur. D’une part, il y a la réminiscence du passé et les tentations de retomber dans ses anciennes habitudes. D’autre part, il y a la peur de l’échec, de ne pas pouvoir sauver ceux qu’il aime, de ne pas être à la hauteur de la tâche qu’il s’est fixée.

Les défis intérieurs que traverse Max sont exacerbés par les obstacles extérieurs auxquels il est confronté. L’écart considérable entre son monde et l’utopie d’Elysium, aussi bien sur les plans social que matériel, symbolise l’injustice et les inégalités dominantes. Max se dresse contre un système oppressif, incarné par les forces de sécurité d’Elysium et leur technologie de pointe. Ces opposants externes constituent des adversaires redoutables, mais c’est véritablement son conflit intérieur qui le définit.
Max oscille entre les sombres tourments de ses peurs et l’espoir d’un accomplissement, la réalisation de ses aspirations. Chacun de ses choix est un pas vers cette rédemption tant désirée, mais comporte aussi le risque d’une rechute. Cette quête pour la rédemption l’oblige à faire face à ses erreurs passées et à trouver un équilibre entre sa survie et sa soif de justice.

Les souffrances de son enfance, l’ombre de ses crimes passés, et la dure réalité de son existence quotidienne forment un tissu complexe de dilemmes moraux et émotionnels. Max doit harmoniser cette cacophonie intérieure s’il veut grandir. S’il suit les vents mauvais, ses choix seront autant de précipices vers la déchéance. Dans son périple, Max rencontre des figures qui incarnent les différentes facettes de son conflit intérieur : Frey et sa fille représentent l’innocence et l’espoir, tandis que les gardiens d’Elysium symbolisent la cruauté et l’injustice. Ces interactions le poussent à redéfinir constamment ses motivations et à puiser dans des réserves de courage et de détermination qu’il ne savait pas posséder.

La montée vers Elysium illustre une parabole du parcours initiatique de Max vers la maturité. Chaque difficulté rencontrée est une épreuve initiatique, consolidant sa détermination. Les obstacles successifs, loin de le décourager, aiguisent sa volonté. Son périple transcende une simple quête d’égalité, se muant en une odyssée introspective vers la rédemption. En effet, Le dialogue incessant entre son passé et son devenir constitue le cœur même de l’existence de Max. Son itinéraire symbolise une lutte pour la justice et la sérénité intérieure. À travers ses sacrifices et ses triomphes, Max démontre que la rédemption ne réside pas dans une finalité absolue, mais dans une suite de décisions audacieuses. Ces choix, loin d’être insignifiants, sculptent non seulement notre destinée personnelle, mais aussi une maturité morale pour l’humanité.

A l’extérieur

Dans son combat extérieur, Max doit surmonter de nombreux obstacles. Le fossé abyssal séparant la Terre et Elysium, tant sur les plans sociétal que matériel, illustre crûment l’injustice et les profondes disparités de ce monde dystonique. La Terre, surpeuplée et ravagée par la pollution, est un véritable enfer où l’accès aux soins médicaux relève du privilège rare. A l’inverse, Elysium représente l’utopie réservée à une élite nantie, cependant qu’une menace constante plane, incarnée par les forces de sécurité d’Elysium aux ordres de l’impitoyable Secrétaire Delacourt et de son bras droit Kruger. Pour déjouer leurs technologies de pointe et leurs soldats impitoyables, Max devra faire preuve d’une grande intelligence et d’une volonté de fer.

Max avance avec détermination, divisé entre ses tourments et ses batailles à l’extérieur. Chaque décision, chaque sacrifice, chaque duel contre les forces d’Elysium nous dévoile une nouvelle facette de son être. Le cynisme de l’anti-héros du début se dissipe peu à peu et laisse place à un symbole fort de la résistance, un homme prêt à tout pour construire un avenir meilleur. Ses actions résolues font de lui bien plus qu’un simple survivant. Max, à travers son parcours initiatique, se change en un héraut d’espoir, prêt à se battre jusqu’au bout pour ses idéaux de justice et d’égalité. Son combat est bien plus qu’une simple survie ; c’est une quête grandiose qui embrase des idéaux universels.

Max est prêt à tout pour défendre ses convictions car il rêve d’un autre monde. Sa lutte, au départ personnelle, se mue en une croisade pour l’humanité tout entière. Que vaut le sacrifice sans l’amour qui l’anime ?

La proactivité

En effet, un personnage passif peut rendre un récit déséquilibré et insatisfaisant. Les personnages passifs réagissent souvent aux événements et aux circonstances plutôt que de prendre des mesures proactives pour atteindre leurs objectifs ou influencer l’intrigue. En contrastant cette approche, Thomas dans Le Labyrinthe incarne un protagoniste actif qui fait avancer l’intrigue par ses choix et ses sacrifices bien-sûr, et la combinaison des deux renforce ainsi l’engagement émotionnel du lecteur/spectateur.

L’intrigue exemplifie l’importance d’introduire des conflits et des obstacles qui obligent les personnages à agir et par là, à évoluer. La transformation de Thomas au fil de ses aventures s’aligne avec l’idée que les récits axés sur les personnages se concentrent fortement sur leur arc interne. Chaque décision, chaque complication rencontrées par Thomas construit son arc dramatique. C’est ainsi qu’il évolue de manière tout à fait crédible et forçant l’admiration du lecteur/spectateur.

L’Importance des Enjeux

Donnie DarkoLa science-fiction permet d’aborder des enjeux d’une profondeur et d’une portée rares, essentiels pour raconter des intrigues mémorables. Le film Donnie Darko (2001) de Richard Kelly illustre parfaitement cette dynamique. Il met en scène un entrelacs d’enjeux personnels et universels, générant une intensité émotionnelle qui nous touche et nous laisse perplexes.

Le héros éponyme est aux prises avec des troubles mentaux et des visions apocalyptiques brouillant sa perception de la réalité. Ses interactions avec un lapin géant nommé Frank, qui lui prédit la fin du monde, entraînent Donnie dans une quête existentielle. Ces visions l’obligent à affronter ses peurs et à remettre en question sa santé mentale.
L’arc dramatique de Donnie, partant de l’incertitude pour aboutir à la détermination, illustre le cheminement d’un personnage confronté à des enjeux qui valent la peine. Cette profondeur atypique permet d’explorer des thématiques capitales comme la folie, le sens de l’existence ou l’Apocalypse, tout en gardant un ancrage émotionnel fort grâce au prisme de l’héroïne ou du héros. C’est cette subtile alchimie entre le microcosme de Donnie et les enjeux macroscopiques qui confère sa puissance à l’œuvre.

Le film explore des thèmes philosophiques comme le libre arbitre, le destin et le sacrifice. Les visions de Donnie et les événements qu’il traverse posent la question de savoir s’il peut changer le cours des événements ou si tout est prédestiné. Cette dualité entre le contrôle et l’impuissance face au destin donne au film une profondeur dont l’histoire personnelle de Donnie est un moyen d’expression. La menace apocalyptique imminente, avec un compte à rebours jusqu’à la destruction, maintient une tension constante et une urgence qui rive le lecteur/spectateur.

Les enjeux élevés dans Donnie Darko ne se limitent pas en effet à la menace physique ou à l’apocalypse annoncée. Ils enveloppent aussi le changement que subit Donnie. Son sacrifice, qui permet de rétablir la ligne temporelle et de sauver ceux qu’il aime, souligne l’importance de l’arc dramatique du personnage. Ce choix déchirant et héroïque met en lumière la lutte interne de Donnie et son évolution d’un adolescent troublé à un héros tragique.

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