Dans l’écriture de fictions, si le protagoniste, ce héros dont l’épopée enflamme nos passions, bénéficie souvent des feux de la rampe, c’est pourtant la véritable essence d’une histoire fascinante qui réside ailleurs. Elle se trouve chez les personnages secondaires, ces entités essentielles que sont les compagnons du voyage, les antagonistes et les contrastes. Actuellement, la tendance s’oriente vers l’élaboration de dramatis personæ (un ensemble de personnages) harmonieuse et convaincante. Il devient donc impératif de s’intéresser de près aux contributions de ces figures de second plan, souvent déterminantes dans le succès d’un récit.
La Charpente de l’Histoire
Considérons le film acclamé par la critique La Chasse aux Papillons d’Otar Iosseliani. Alors que le récit se concentre sur la vie de deux vieilles dames qui habitent un pittoresque village français, c’est par les personnages secondaires avec leurs bizarreries et personnalités uniques que le récit trouve son inspiration. Des personnages comme le jardinier excentrique, avec son approche fantaisiste de l’horticulture, et le musicien ambulant, dont les mélodies parcourent le village comme une douce brise, confèrent charme et profondeur à l’intrigue. Ces personnages n’existent pas simplement comme figures d’arrière-plan ; ils sont l’âme même du village qui prend vie par leur présence.
Otar Iosseliani explique l’importance de ces compagnons du récit. Les personnages secondaires font ressortir le meilleur des figures principales, c’est-à-dire qu’ils participent à leur mise en valeur car ils témoignent de contrastes et de points de vue différents. Ils ajoutent de l’humour, de la passion et de l’humanité, ce qui permet au lecteur/spectateur de s’investir davantage dans le récit.
Iosseliani souligne comment les frasques fantaisistes du jardinier et les mélodies du musicien se superposent non seulement à l’intrigue mais aident aussi à dessiner les paysages émotionnels et psychologiques des principaux personnages.
Ces compagnons, tels des confidents ou des alliés, jouent un rôle indispensable. Dans La Chasse aux Papillons, le jardinier et le musicien ne sont pas de simples ornements ; leur absence créerait un vide béant, privant ainsi le récit de sa substance véritable. Les interactions du jardinier avec les vieilles femmes révèlent leurs qualités nourricières et leurs désirs enfouis, tandis que la présence du musicien souligne les moments de repli sur soi et de nostalgie, produisant une trame sonore qui imprègne la vie quotidienne du village de profondeur et de mélancolie.
Ces personnages apportent réalisme et émotion car ils rappellent ces relations que nous vivons dans nos propres vies. Par exemple, les conversations apparemment banales du jardinier sur les plantes se transforment souvent en leçons de vie par leur sagesse et leur réconfort. De même, les chansons du musicien servent de lien entre le passé et le présent, entre souvenirs et émotions qui font tant écho autant chez les personnages que chez le lecteur/spectateur.
Leur présence est un témoignage de l’adage selon lequel le voyage de chaque héros n’est jamais vraiment une aventure solitaire. Dans La Chasse aux Papillons, le parcours du personnage principal est profondément entremêlés avec ceux des personnages secondaires. Le jardinier et le musicien, par leurs interactions simples mais sincères, aident le personnage principal à affronter ses peurs, à redécouvrir la joie et à trouver du réconfort dans les années crépusculaires de sa vie.
Les méchants de l’histoire : Bien plus que de simples méchants
Dans le drame fantastique sud-coréen (K-Drama) Strangers from Hell, le personnage de Seo Moon-jo incarne un antagoniste remarquablement bien conçu. Seo Moon-jo est un dentiste charismatique et inquiétant dont la présence projette une longue ombre sur l’ensemble de la série.
Son calme extérieur dissimule des intentions sinistres, et cela crée une atmosphère de peur omniprésente qui augmente considérablement les enjeux pour le héros, Yoon Jong-woo. Seo Moon-jo, loin d’être un méchant traditionnel, est un personnage élaboré avec une grande minutie. Sa personnalité complexe mêle charme, intelligence et cruauté, faisant de lui une figure à la fois fascinante et effrayante pour le lecteur/spectateur.
Contrairement aux antagonistes unidimensionnels, Seo Moon-jo agit avec une froideur et une précision redoutables, exacerbant la tension narrative. Ses interactions avec Yoon Jong-woo sont toute de manipulation psychologique subtile et transforment chaque rencontre en un moment de danger et d’incertitude.
Les personnages comme Seo Moon-jo rendent le lecteur/spectateur admiratif parce qu’ils renvoient les aspects les plus sombres de notre nature humaine. Son charme et son intelligence le rendent très proche de nous, du moins jusqu’à un certain niveau, ce qui rend sa malveillance d’autant plus terrifiante. C’est cette dualité qui à la fois nous captive et nous horrifie.
La fonction de Seo Moon-jo dans Strangers from Hell est essentiel au succès du conte. Ses interactions avec le héros créent non seulement des conflits, mais forcent également Yoon Jong-woo à affronter ses propres peurs et insécurités. La guerre psychologique que Seo Moon-jo mène contre Jong-woo ajoute vraiment du sens à l’histoire qui s’avère alors une exploration sans compromis de la psyché humaine et de la survie.
Lee Chang-hee, le réalisateur de Strangers from Hell, rappelle l’importance d’un antagoniste intéressant quand on imagine une histoire et que l’on souhaite qu’elle rencontre son lecteur/spectateur. Seo Moon-jo n’est pas juste un méchant ; il est celui qui permet au héros (ou à une héroïne) de grandir. Sa présence oblige Jong-woo à affronter ses peurs les plus sombres et, en fin de compte, à se battre pour sa survie. Un antagoniste bien conçu comme Seo Moon-jo élève toute l’histoire, nous dit Lee Chang-hee.
Le calme de Seo Moon-jo et son efficacité impitoyable créent un obstacle redoutable pour Yoon Jong-woo, qui arrive à Séoul avec des rêves d’un nouveau départ, pour se retrouver piégé dans un cauchemar. La tension entre les deux personnages augmente à chaque épisode, à mesure que la véritable nature de Seo Moon-jo est révélée. Cette révélation progressive de sa malveillance maintient l’intérêt du lecteur/spectateur parce que chaque scène avec Seo Moon-jo est une magistrale leçon de suspense et d’horreur.
Les desseins machiavéliques de Seo Moon-jo ne l’entravent en rien dans son habileté à se fondre dans le tissu social. Son charme ensorcelant désarme ceux qui l’entourent ce dont il se sert pour manipuler et dominer autrui. Cette duplicité le rend mémorable en tant qu’antagoniste car il incarne l’idée que le mal peut se dissimuler derrière un masque trompeur. Cette perception, très présente dans la conscience collective, intensifie l’horreur psychologique de la série, rendant l’expérience d’autant plus éprouvante.
En vérité, Seo Moon-jo ne se contente pas d’être un simple écueil pour le protagoniste ; il représente le potentiel de noirceur qui réside en chaque être humain. La relation qu’il entretient avec Jong-woo incite ce dernier à interroger sa propre moralité et à sonder les limites qu’il est disposé à franchir pour survivre. Cette interaction forge une dynamique narrative d’une complexité et d’une profondeur remarquables, qui ne cesse de nous surprendre et de captiver notre esprit.
Les personnages en contraste
Un modèle où deux personnages sont dans une relation de contraste l’un par rapport à l’autre est celui du prince Hamlet et de Laërte dans Hamlet de Shakespeare. Ils ne sont ni dans une relation de dépendance, ni d’opposition. En somme, ce contraste permet de les éclairer mutuellement. Les deux personnages cherchent à venger la mort de leurs pères, mais leurs approches et leurs tempéraments fournissent un contraste saisissant.
Laërte est impulsif et orienté vers l’action et prend immédiatement les armes pour se venger, sans hésitation dès qu’il apprend la mort de son père Polonius. Sa nature directe et fougueuse contraste fortement avec la disposition introspective et contemplative de Hamlet. Hamlet, tourmenté par le doute et les dilemmes moraux, retarde sa vengeance, questionne la justesse de ses actions et les conséquences qu’elles peuvent entraîner.
Ce contraste ne constitue pas seulement une étude de caractère, mais il sert également à mettre en lumière le défaut tragique de Hamlet : son indécision et sa tendance à trop réfléchir. La nature franche de Laërte met en évidence la complexité de Hamlet, soulignant la nature philosophique du prince et sa lutte avec le poids existentiel de ses décisions.
Cette juxtaposition, toute rhétorique, est un moyen pour le lecteur/spectateur de se saisir des conflits internes de Hamlet et d’être interpellé par des thèmes comme l’action contre l’inaction, de l’honneur et de la vengeance.
Envahi par la douleur et un puissant sentiment d’injustice, Laërte réagit immédiatement. Laërte est un être passionné mû aussi par un sens profond du devoir. À la nouvelle du meurtre de son père, il se précipite au château, emporté par une colère intense, réclamant justice et vengeance sans tarder. Son énergie est ardente, ses intentions sont limpides, et sa voie est sans équivoque. Cette détermination ferme constitue à la fois sa force et sa faiblesse, car elle l’aveugle aux intrigues et manipulations du roi Claudius, qui exploite astucieusement la passion de Laërte pour ses propres desseins.
À l’opposé, le cheminement de Hamlet est marqué par une crise existentielle. Le prince n’aspire pas seulement à venger la mort de son père ; il se débat également avec des questionnements philosophiques sur la vie, la mort et la moralité. Son célèbre soliloque, Être ou ne pas être, symbolise ce combat intérieur.
Philosophe dans l’âme, Hamlet observe les implications morales de ses actes et est conscient des répercussions qu’ils pourraient engendrer. Cependant, ses réflexions intellectuelles le paralysent et empêchent toute action décisive.
Dans Hamlet, l’utilisation de personnages en contraste tels que Laërte non seulement aiguise notre perception du caractère de Hamlet, mais elle renforce aussi la structure thématique de la pièce. À travers Laërte, nous voyons ce que Hamlet pourrait être s’il agissait comme lui. Mais il ne le peut point. Cette dynamique réflexive qui nous permet de voir l’un en posant le regard sur l’autre ajoute des moyens d’expression au récit et par là, le rend plus significatif pour nous.
À travers leurs chemins et philosophies divergents, Hamlet et Laërte créent une interaction qui fait avancer le récit et complète notre engagement avec les personnages. La relation en contraste fournit une vision différente de la vengeance et de la justice et nous fait réfléchir aux conséquences de leurs actions et à la nature du véritable héroïsme.
Le duel entre Hamlet et Laërte met en lumière la divergence de leurs natures. Laërte, animé par un désir puissant de vengeance dont il ne s’écarte jamais, entre dans la confrontation armé d’une lame empoisonnée, résolu à rendre justice promptement. Hamlet, en revanche, affronte ce duel avec un mélange de résignation et de détermination, ayant finalement accepté son destin et la nécessité de ses actes.
Cette confrontation transcende la simple lutte physique pour devenir un choc symbolique entre deux idéologies : l’action impulsive contre la contemplation réfléchie, l’émotion brute contre la raison, l’immédiateté contre la réflexion.
Au dénouement, les tragédies respectives des deux personnages mettent en exergue l’inutilité et la destructivité de leurs démarches distinctes. L’impulsivité de Laërte le conduit à sa propre perdition, tout en le rendant vulnérable aux manipulations des forces sombres qui l’entourent. Parallèlement, l’hésitation et la réflexion excessive de Hamlet mènent à des occasions manquées et à des souffrances inutiles. Leurs destins entrelacés offrent un commentaire sur la condition humaine, explorant le fragile équilibre entre la pensée et l’action, ainsi que le périlleux chemin de la vengeance.
Behind the Scenes : Writer’s Room
Le lecteur/spectateur exige de l’authenticité, de la diversité et de la profondeur dans les récits. Cette tendance n’est pas seulement un défi créatif mais une nécessité culturelle de l’expérience humaine.
Nous sommes dans une writer’s room. Dans cette scène, Jeanne est la principale scénariste appuyée par Marc qui a plus d’expériences qu’elle en cette matière. Nous y rencontrons aussi Louise, une psychologue invitée pour aider au développement des personnages. Marc a fait appel à Charles, un Diversity Consultant chargé de vérifier l’originalité du scénario, les préjugés qui en ressortent et qui pourraient être problématiques à la fois pour le lecteur/spectateur et la production et de manière globale s’assurer que l’inclusion des personnages est conforme à leurs origines ethniques, à leurs cultures, à leurs orientations sexuelles et d’autres choses encore. Anne, une Script Doctor, complète l’équipe.
INT. WRITER'S ROOM - JOUR
Jeanne est debout devant un tableau blanc couvert de noms
avec les descriptions succinctes de leurs diverses
personnalités.
JEANNE
Bien, l'équipe, aujourd'hui, nous
devons approfondir nos personnages
secondaires. Nous avons une héroïne
solide en la personne de Lola, mais
elle a besoin d'un monde riche
autour d'elle. Commençons par sa
meilleure amie, Cassandra.
MARC
(s'adossant à sa chaise)
Je vois Cassandra comme bien plus
qu'une simple confidente. Elle
devrait avoir son propre arc qui
s'entrelace avec le parcours de
Lola. Et si elle luttait avec sa
propre identité, peut-être face aux
attentes de sa famille par rapport
à ses propres rêves ?
LOUISE
C'est une bonne idée, Marc.
Cassandra pourrait être quelqu'un
qui montre une façade forte mais
est intérieurement en conflit. Cela
nous la rendrait plus proche et sa
relation avec Lola pourrait être
plus significative. Peut-être
pourrait-elle poursuivre
secrètement une carrière musicale,
quelque chose de totalement
différent de ce que sa famille a
prévu pour elle.
CHARLES
J'adore l'idée. Mais pensons aussi
aux nuances culturelles. La famille
de Cassandra pourrait être des
immigrés de la première génération.
Ce qui ajouterait des
complications. La pression pour
réussir dans ces conditions
pourrait être encore plus intense.
ANNE
(hochant la tête)
Et nous pouvons montrer comment
Lola soutient la passion cachée de
Cassandra. Ce qui, à son tour,
renforce leur lien. Peut-être que
Lola aide Cassandra à obtenir son
premier concert. Cela montre ainsi
sa propre croissance en tant
qu'être humain qui soutient les
autres malgré ses propres luttes.
JEANNE
Ce sont d'excellents point de vue.
Donc, Cassandra n'est pas seulement
une confidente pour Lola. Elle a
ses propres rêves et conflits. Et
maintenant, pour l'antagoniste, le
docteur Ari ?
MARC
Je crois que Ari devrait être plus
qu'un simple méchant. Il est motivé
par ce qu'il croit être une noble
cause. Mais ses méthodes sont
moralement douteuses. Il faudrait
faire en sorte que le public
s'interroge sur sa propre morale.
LOUISE
Il pourrait essayer de développer
une technologie révolutionnaire qui
sauverait des vies mais il faut des
essais humains risqués. Sa
justification est le bien commun.
C'est honorable mais le coût en est
élevé.
CHARLES
Assurons-nous aussi que Ari ne soit
pas un personnage unidimensionnel.
Peut-être a t-il un enjeu
personnel, un être qui lui est cher
et qui est souffrant et que ses
recherches pourraient
potentiellement guérir. Cela ajoute
de l'empathie à son personnage.
ANNE
Et cet enjeu personnel peut créer
un dilemme moral pour Lola.
Elle peut comprendre ses
motivations mais elle ne peut
approuver ses actions. Ce qui crée
une situation conflictuelle.
JEANNE
Parfait. Ari devient un miroir pour
les valeurs de Lola. Ari bouleverse
ses croyances et ses décisions.
Maintenant, abordons brièvement
quelques personnages mineurs.
Chaque personnage, peu importe sa
taille, doit avoir une raison
d'être.
MARC
D'accord. Par exemple, la voisine
de Lola, Madame Ortisse. Elle
pourrait être une enseignante à la
retraite et serait un mentor. Elle
donne des conseils à Lola et lui
procure aussi une certaine sagesse.
Ce serait un petit rôle mais cela
permettrait de montrer le soutien
de la communauté et l'importance de
celle-ci dans la vie de Lola.
LOUISE
Et peut-être que le barista du café
préféré de Lola, Jordan, est un
écrivain en herbe qui apporte une
touche de comédie. Il pourrait être
aussi capable de moments de
perspicacité surprenants pour aider
Lola à voir les choses sous un
autre angle.
CHARLES
N'oublions pas la diversité. Nous
devrions refléter un véritable
échantillon de la communauté. Il
suffit que les personnages viennent
d'horizons variés. Cela donnera de
la texture au récit et celle-ci
aide à immerger le public dans
l'histoire.
ANNE
Absolument. Chaque personnage doit
paraître réel et significatif. De
toutes façons, cela contribuera à
la trame narrative.
JEANNE
Excellent travail aujourd'hui tout
le monde. Nous construisons un
monde qui semble vécu et
authentique. Nous continuerons sur
cette lancée dans la prochaine
session en approfondissant encore
ces personnages.
