ÉCRIRE LA S.F. – 11

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Des expériences humaines comparables

Ces royaumes labyrinthiques de la science-fiction où, en un instant, on esquive des rayons laser et, le suivant, on s’interroge sur les implications du voyage interstellaire, sont décidément compliqués à parcourir à cause qu’il est si facile pour nos personnages d’être éclipsés par le spectacle éblouissant de la technologie futuriste, des paysages extraterrestres et des énigmes cosmiques.
C’est un peu comme regarder Blade Runner et se perdre tellement dans la brume néon qu’on en oublie l’humanité au cœur du film.

Néanmoins, ce sont ces expériences humaines universelles qui ancrent nos personnages dans le cœur du lecteur/spectateur. La peur, l’amour, l’ambition, la perte, la curiosité.. ce sont eux les fils qui nous tissent tous ensemble, quel que soit le siècle ou la galaxie où nous nous trouvons. Pensez à la peur brute et à l’instinct maternel de Ripley dans Alien ou à la crise existentielle de Deckard dans Blade Runner. Ce ne sont pas seulement des personnages de science-fiction ; c’est nous-mêmes aux prises avec des émotions qui transcendent le temps et l’espace.

La peur
L’inconnu

Le grand inconnu, voilà cette épine dorsale classique des récits de science-fiction. C’est ce qui pousse nos personnages à aller hardiment là où personne n’est allé auparavant ou à se recroqueviller dans un coin.
Cette peur de l’inconnu, c’est le talon d’Achille de l’humanité et l’étincelle de notre curiosité sans limites. C’est la raison pour laquelle nous avons envoyé des rovers sur Mars et pourquoi nous ne pouvons pas résister à jeter un coup d’œil sous le lit après avoir regardé un film d’horreur. Dans notre cher domaine de la science-fiction, l’inconnu se manifeste souvent sous la forme de planètes inexplorées, d’espèces extraterrestres énigmatiques ou de technologies de pointe qui font faire des saltos à notre cerveau. Prenons, par exemple, Premier Contact (2016).

Denis VilleneuveLe Dr Louise Banks incarne cette peur alors qu’elle se débat avec le langage déroutant et les intentions nébuleuses des visiteurs extraterrestres. Les heptapodes, avec leurs communications en taches d’encre, sont la métaphore parfaite de l’incompréhensible et de l’incertain.

La tension mondiale et la menace imminente de conflit interstellaire ne font qu’accroître l’anxiété. Le parcours de Louise à travers ce maelström de peur, sa détermination acharnée à combler le fossé de l’incompréhension, est un témoignage de son humanité et, oserais-je dire, de son audace.
Sa peur est communicative car elle touche à notre terreur universelle de l’inconnu et aux enjeux élevés des faux pas en eaux inconnues. C’est comme essayer de déchiffrer la pierre de Rosette avec une horloge nucléaire qui tourne en arrière-plan. Donc, en créant votre récit, souvenez-vous : l’inconnu n’est pas seulement un dispositif de l’intrigue ; c’est la forge où le courage et la curiosité sont mis à l’épreuve, où les héros se forgent non pas par leur absence de peur, mais par leur décision de l’affronter de front.

La peur de la perte

La perte est le grand motivateur mais aussi un tortionnaire inégalé de l’existence humaine. C’est l’élément fondamental qui structure notre système émotionnel, modelant nos choix de manière inflexible avec sa force brute. En science-fiction, ce thème vénérable est amplifié à l’extrême, où les enjeux ne sont pas seulement personnels mais cataclysmiques, c’est-à-dire des mondes ou des civilisations entières.

Les personnages, poussés par la peur de la perte, sont souvent contraints de prendre des mesures extraordinaires pour protéger ce qui leur est cher, menant à des conflits émotionnels et éthiques intenses qui tiennent le lecteur/spectateur sur le bord de son fauteuil qui est souvent d’orchestre dans ce cas de figure.

Duncan JonesConsidérons Moon (2009), un bijou de Duncan Jones. Notre protagoniste, Sam Bell est abandonné sur une base lunaire, comptant les jours jusqu’à ce qu’il puisse retourner sur Terre et retrouver sa famille. Mais voici son problème : il découvre qu’il n’est pas le premier Sam Bell à ressentir cela.

La peur de perdre sa santé mentale, son identité, et la vie qu’il croit l’attendre chez lui devient tout à fait sensible. C’est une peur qui ronge l’âme, tout comme l’anxiété de Cooper dans Interstellar. Le désespoir de Sam de s’accrocher à son sens de soi et à la vie qu’il chérit est compréhensible pour quiconque a déjà contemplé l’abîme de l’angoisse existentielle.
Cette peur est partagée par tous et est particulièrement intense, car elle évoque l’anxiété fondamentale d’être séparé de sa réalité et de ses proches. Notons en passant que le thème de la perte laisse plus souvent qu’à son tour un arrière-goût doux-amer.

La peur de l’échec

La peur de l’échec est un moteur aussi intemporel que les œuvres de Shakespeare, et pourtant aussi contemporain que nos blockbusters de science-fiction préférés. Car l’échec dans une épopée de science-fiction n’est pas juste un petit contretemps ; c’est souvent le présage de l’effondrement de la civilisation, de l’extinction de l’humanité, ou de la rupture d’une trêve fragile.
Minuit dans l'universPensez-y comme le moteur dramatique qui pousse les personnages à affronter leurs insécurités les plus profondes et leurs doutes les plus persistants. Ces moments de grande frayeur représentent des épreuves décisives où les personnages connaissent leur évolution la plus marquante et leurs prises de conscience les plus saisissantes.

Prenez, par exemple, l’incompris Minuit dans l’univers (The Midnight Sky, 2020). Ici, nous avons le personnage d’Augustine Lofthouse qui lutte contre sa propre peur de l’échec. Les enjeux ? Rien de moins que la survie de la race humaine. La crainte d’Augustine de ne pas pouvoir avertir un équipage spatial de retour sur l’état inhabitable de la Terre (en 2020, ce n’était pas de la prescience mais un constat) le pousse à endurer les conditions les plus rudes de l’Arctique.
La peur de l’échec d’Augustine n’est pas seulement un dispositif narratif ; c’est une force qui définit son personnage et qui régente chacune de ses actions. Son périple à travers le désert arctique, semé d’obstacles physiques et émotionnels, témoigne de sa détermination implacable à éviter la catastrophe.

Cette peur ne fait pas que faire progresser l’intrigue ; elle taille des moments d’humanité brute et vulnérable. Le parcours d’Augustine, semblable à celui d’un héros malmené dans une tragédie grecque, est rempli d’introspection et d’espoir désespéré. Cela nous rappelle que parfois, la peur de l’échec peut être l’antagoniste le plus convaincant de tous.

La peur de soi

Le dilemme des récits de science-fiction introspectifs, c’est-à-dire où les personnages ne se contentent pas de combattre des menaces extérieures, mais se retrouvent également pris dans les enchevêtrements épineux de leurs propres psychés, ce sont ces histoires qui empêchent le genre de flotter dans l’éther du pur spectacle et le ramènent dans une humaine expérience viscérale.

Dans ces contes, nos héros et héroïnes luttent souvent contre une peur aussi insidieuse qu’abyssale : la peur de leurs propres capacités, choix et potentiel à causer du tort. Cette peur est particulièrement pertinente dans les histoires regorgeant de technologie avancée, d’intelligence artificielle ou de manipulation génétique, où les frontières de l’identité humaine et de l’éthique se brouillent et se défigurent ou se transfigurent.

Prenons, si vous le voulez bien, Ex Machina (2014). Alors que Caleb s’engage dans des échanges avec Ava, une IA aux qualités humaines déroutantes, et son créateur Nathan, sa curiosité première laisse place à une crainte plutôt envahissante. Ce n’est pas seulement l’autonomie croissante d’Ava qui le perturbe, mais aussi la réalisation progressive de sa propre complicité. Caleb est contraint de réfléchir aux ramifications éthiques de ses actions, pris dans un dilemme de potentiel émancipation ou d’exploitation d’Ava. Cette peur de ce qu’Ava pourrait devenir et l’angoisse de ce qu’il pourrait involontairement déclencher alimente une grande partie de la tension et de la profondeur philosophique du film.

C’est une version moderne du complexe de Frankenstein, où la création de l’homme peut le surpasser et finalement le détruire. Le génie de Ex Machina réside dans sa capacité à transformer cette peur ancestrale en une parabole moderne élégante, mêlant suspense high-tech et terreur humaine intemporelle. Ce qui est exploré ici, c’est l’ambition humaine et la peur de ses conséquences : grandeur et ruine ; un seul concept somme toute.

La peur comme moyen de la transformation

La peur permet la dissolution d’un ancien moi imparfait pour en faire un être nouveau. C’est un merveilleux catalyseur de changement, qui stimule héros et héroïnes à évoluer, s’adapter et dépasser leurs contraintes initiales.

Annihilation

Dans la science-fiction, cela implique souvent l’acquisition de nouvelles compétences, la formation d’alliances improbables, ou l’adoption de perspectives radicales. Cette odyssée à travers la peur ne consiste pas à ce qu’ils survivent ; elle les métamorphose souvent en êtres fondamentalement transformés par leurs expériences.

Dans Annihilation (2018), Lena s’aventure dans une zone énigmatique et périlleuse connue sous le nom de miroitement. Il faut bien le dire, mais Lena flippe grave à l’idée de se retrouver dans un monde qu’elle ne connaît pas du tout. Et plus les choses deviennent bizarres autour d’elle, plus elle est obligée d’affronter non seulement les dangers extérieurs, mais aussi ses propres démons intérieurs.

Son périple à travers ce paysage fantasmagorique conduit à une profonde remise en question et une prise de conscience nouvelle sur son propre être. Cela lui permet aussi de comprendre la véritable nature du miroitement. C’est une illustration vivante de la manière dont la peur, lorsqu’elle est affrontée de front, peut pousser les personnages vers des épiphanies personnelles et philosophiques.

Quelques conseils sur la peur

Pour manier la peur efficacement, il faut plonger dans la profondeur psychologique de vos personnages. Puisque chaque strate en révèle davantage de leurs récits personnels, de leurs traumatismes (vous trouverez nombre de réponses pour vos personnages dans leur enfance) et de leurs insécurités.

Nos héroïnes et héros ne sont pas de simples caricatures, mais des âmes profondément blessées. Leurs peurs, façonnées par des calamités passées, suinteront d’authenticité. La création de leurs profils nécessite une attention presque médico-légale aux détails. Qu’il s’agisse d’un événement traumatique, d’une perte douloureuse, ou d’un échec spectaculaire qui persiste comme un fantôme dans la machine, mais la peur devrait être considéré lors de l’élaboration d’un personnage destiné à pénétrer le genre S.F.
C’est le moyen pour expliquer leurs peurs et comportements actuels.

CubeEn science-fiction, les décors extraordinaires servent à la fois de scène et d’antagoniste. Alien ou 2001 : l’Odyssée de l’espace, ces mondes regorgent de potentiel pour magnifier la peur à des hauteurs opératiques. Utilisez votre univers unique pour concevoir des situations qui piègent vos personnages dans leur propre effroi. Cube (1997) illustre parfaitement cette situation. Le labyrinthe est une métaphore de l’effroi amplifié d’ailleurs par le fait que les personnages ignorent pourquoi et comment ils sont là et que la mort est omniprésente.
Ou bien un astronaute avec une peur paralysante de l’enfermement se retrouve piégé dans les entrailles métalliques de son vaisseau spatial. Il affrontera alors sa claustrophobie non seulement pour survivre, mais pour en sortir plus forts. C’est le Belly of the whale du parcours héroïque tel que dépeint par Joseph Campbell !

Rappelez-vous, la peur n’est pas seulement un instrument brut, mais un scalpel, dévoilant les vérités les plus profondes de vos personnages. Laissez-la illuminer leurs vulnérabilités et guider leur évolution.

Des réactions humaines

Un héros ou une héroïne dans un royaume fantastique, peut-être un cousin éloigné de Frodon Sacquet ou un descendant spirituel d’Ellen Ripley, même s’ils traversent des paysages extraterrestres ou combattent des bêtes mythiques, leurs réactions face à la peur devraient faire écho à la condition humaine.
Des réactions humaines, compréhensibles et authentiques : les mains tremblantes de Frodon lorsqu’il ressent pour la première fois le poids de la corruption de l’Anneau Unique, ou le moment de terreur paralysante de Ripley lorsque le sifflement du Xénomorphe se fait entendre dans le Nostromo.

L’idée est de construire une peur émotionnelle et physique. Crises de panique ou hésitations comme de se tenir au bord d’un précipice tiraillé entre la fuite et le combat. Ce sont des moments de vulnérabilité qui révèlent la vérité brute et sans fard de leur peur.
C’est dans ces instants que la lectrice et le lecteur trouvent un miroir de leur propre âme, un lien si puissant qu’il va au-delà de la fiction (ou de la science-fiction). Que la peur de vos personnages soit aussi tangible que la sueur qui perle sur leur front, aussi tangible que le souffle qu’ils peinent à reprendre. Ancrez donc vos personnages dans la réalité de l’émotion humaine.

Le souffle de l’intrigue

Le feu de l’engagement se repaît de la peur. Elle est la force qui accélère le pouls et qui maintient l’attention du lecteur/spectateur. Car elle n’est pas juste une émotion ; elle est le scandale par lequel les points majeurs de l’intrigue se déploie ; elle est à l’origine des décisions des personnages et des situations conflictuelles. Ce sont ces Dents de la mer qui rôdent sous la surface et décident de l’action et ajoutent à la tension dramatique.

Structurez votre intrigue autour de ces moments clés de terreur et observez comment vos personnages se tortillent et se retournent en réponse. Après tout, les situations difficiles et éprouvantes permettent de révéler et de forger la véritable nature et la force de caractère d’un individu.
Créez une symphonie de menaces croissantes. Chaque crescendo de terreur devrait forcer vos personnages à affronter les abîmes de leurs peurs, un peu comme Ripley dans Alien, qui doit affronter à plusieurs reprises le xénomorphe, menant aux nœuds critiques de l’intrigue et à l’évolution de son personnage.

C’est dans ces moments de panique pure que vos personnages grandissent, s’adaptent et se transforment finalement. La science-fiction s’accompagne souvent de l’horreur.

L’amour

L’amour, une force aussi redoutable que l’Étoile de la Mort et aussi énigmatique que le monolithe de 2001, l’Odyssée de l’espace. Précisément parce qu’il est protéiforme, l’amour se love dans chaque fibre du tissu narratif. L’amour est un trou de ver émotionnel qui stimule les personnages à affronter des périls qu’ils éviteraient autrement.
Dans le vaste domaine de la fiction spéculative, il peut prendre diverses formes qu’elles soient des relations amoureuses passionnées, les liens solides de la famille ou des amitiés qui défient les vastes étendues de l’univers. Quelle que soit sa manifestation, l’amour ancre et donne un sens profond à ces récits imaginaires.

Dans certaines œuvres célèbres, l’amour joue un rôle moteur. Dans les mondes dystopiques, la quête insaisissable de l’amour peut devenir la raison d’être des protagonistes, qui donne un sens à leur vie et de se battre pour exister. Ailleurs, l’amour transcende les limites du temps et de l’espace, se révélant comme une force unificatrice, bien au-delà d’un simple artifice narratif.

C’est cette puissance de l’amour, sous toutes ses formes, qui donne une ancre émotionnelle aux histoires les plus imaginatives. L’amour est ce qui garde notre lecteur/spectateur attaché à l’élément humain de nos grandes aventures, nous rappelant que, même aux confins de la galaxie, le cœur règne toujours en maître.

ContactLe film de 1997, Contact, est un chef-d’œuvre qui intègre avec brio le thème de l’amour dans son intrigue principale. Réalisé par Robert Zemeckis et adapté de l’opus littéraire de Carl Sagan, Contact se construit entre l’équilibre délicat de la science, de la foi et de l’expérience humaine. Au cœur de tout cela se trouve l’indomptable Dr Ellie Arroway.

L’odyssée d’Ellie est conduite par un amour qui défie l’ordinaire. Sa quête incessante de l’intelligence extraterrestre n’est pas seulement une entreprise académique, mais un hommage à son père, dont elle a hérité la passion céleste. Ce lien paternel confère à Ellie une fortitude émotionnelle qui la soutient à travers les vagues de scepticisme et d’adversité. C’est cet amour profond qui alimente sa quête pour déchiffrer le message cosmique, qui la soutient dans les moments de doute, et qui finalement l’amène au seuil de l’illumination.

Dans Contact, l’amour n’est pas simplement un texte latent ; il est le fondement de l’intrigue. C’est l’élément central qui rythme le film et guide Ellie dans son cheminement vers la découverte et la compréhension. Tout comme l’âge d’or des romances hollywoodiennes, où l’amour transcendait les simples dialogues et devenait une présence éthérée, Contact élève ce thème intemporel à des hauteurs célestes.

Et puis il y a l’intrigue secondaire, elle-même romantique. La relation entre Ellie et Palmer, riche en joutes intellectuelles et en admiration mutuelle, est le lieu où se forge la tension entre l’enquête scientifique et la foi spirituelle. C’est à travers leurs destins bien-sûr entremêlés que le film s’aventure dans des territoires philosophiques sérieux, illustrant que l’amour, dans sa forme la plus pure, peut combler le gouffre apparemment insurmontable entre la raison et la croyance. Somme toute, c’est un principe similaire à celui de Quand Harry rencontre Sally.

Dans le grand théâtre de Contact, l’amour est loin d’être un simple fond de scène ; c’est par lui que bat la volonté des personnages de scruter l’abîme de l’inconnu. C’est l’amour qui jette Ellie dans son odyssée cosmique, qui l’incite à réévaluer la nature de la réalité et la place de l’humanité parmi les étoiles.
Le cœur émotionnel du film, qui englobe toutes les formes d’amour, familial, romantique ou philosophique, donne une base solide au récit et imprègne ses éléments spéculatifs d’un réalisme émouvant. L’amour entre Ellie et Palmer n’est pas seulement une intrigue secondaire. Il parle de cœur et d’esprit et nous laisse avec des questions, des merveilles, et, peut-être, un peu plus de croyance.

L’ambition

L’ambition est une grande et terrible muse. C’est la force motrice derrière nos plus grandes réalisations et nos chutes les plus tragiques. Imaginez-la comme un sabre laser ; bien sûr qu’elle peut trancher les limites du possible, mais lorsqu’elle est manipulée sans précaution, vous vous retrouverez avec un membre en moins, ou deux.
Dans le monde de la science-fiction, l’ambition prend souvent la forme de grandes quêtes de connaissance, de pouvoir ou de survie, un peu comme celle de Luke Skywalker pour devenir un Jedi mais sans le complexe d’Œdipe.

L’ambition, étincelle fervente et incessante, se moque bien des contraintes, et incite les personnages à aller audacieusement là où personne n’est allé auparavant. Nul doute que sans ambition, il n’y aurait point de progrès. Pourtant, cette même étincelle peut aussi allumer un brasier d’hubris. Elle est alors un chemin périlleux où la poursuite de la grandeur se transforme en une obsession dévorante, un peu comme Gollum et son précieux anneau.

Donc nous avons dit que l’ambition se manifeste sous diverses formes et qu’elle se mêle souvent aux quêtes de connaissance, de pouvoir ou de survie. Ces récits explorent l’immense potentiel humain et les dilemmes éthiques qui surgissent lorsque l’ambition éclipse la moralité.
Considérons pour ce faire l’histoire de Victor Frankenstein. L’ambition de Victor de conquérir la mort et de créer la vie est une quête de l’extraordinaire, un témoignage de l’ingéniosité humaine et du désir du corps et de l’âme à s’affranchir des frontières naturelles.

Ses efforts, motivés par une vraie curiosité (c’est un scientifique) et le souhait de léguer un héritage, le conduisent à animer l’inanimé, à insuffler la vie à un être façonné à partir de la mort elle-même. Cependant, cette entreprise ambitieuse, noble en son origine, se transforme en un récit tragique d’hubris et de rétribution.
La création de Victor, une progéniture monstrueuse, incarne les conséquences imprévues de l’ambition débridée. L’existence de la créature met en lumière le propre tourment intérieur de Victor et les conséquences catastrophiques de se comporter en Dieu. L’ambition d’antan n’est plus d’espoir ni de progrès, elle est un présage de ruine, illustrant le bord du précipice sur lequel la grande ambition vacille.

Isaac AsimovDans la science-fiction, l’ambition pousse souvent les personnages à explorer des territoires inconnus, tant littéralement que métaphoriquement. La quête incessante de connaissance peut conduire à des découvertes qui redéfinissent des mondes entiers ou dévoilent des secrets qui défient la réalité même. Par exemple, dans la série Fondation d’Isaac Asimov, le développement ambitieux de la psychohistoire par Hari Seldon, une approche mathématique pour prédire l’avenir de grandes populations, représente un pas monumental dans la compréhension humaine. Pourtant, cette ambition soulève également des questions éthiques profondes sur le libre arbitre, le déterminisme et les responsabilités de détenir un tel pouvoir prédictif.
DuneDe même, la quête de pouvoir peut propulser les personnages dans des luttes épiques qui définissent le destin des civilisations. Dans Dune de Frank Herbert, l’ambition de Paul Atreides de retrouver sa position légitime et de maîtriser les pouvoirs mystiques de l’épice déclenche une série d’événements qui modifient le destin de l’univers. Son parcours souligne l’interaction complexe entre l’ambition, le destin et les fardeaux du leadership, car son ascension au pouvoir est parsemée de dilemmes moraux et du spectre des conséquences imprévues.

La volonté de survivre, cet instinct primordial, pousse les personnages à explorer les profondeurs de leur être, révélant à la fois leur force intérieure et leur détermination sans faille, mais aussi leur capacité à transgresser les normes morales établies. Prenons Seul sur Mars d’Andy Weir, par exemple. Mark Watney, notre audacieux astronaute, incarne de manière éclatante cette forme d’ambition.

Seul sur MarsPerdu dans l’immensité désolée de Mars, sa volonté de survivre face à des conditions apparemment insurmontables témoigne de l’ingéniosité et de la ténacité de l’esprit humain. Les solutions ingénieuses et la persévérance de Watney forment le pouls du récit, mettant en lumière les défis extrêmes de l’exploration spatiale et la volonté humaine de persister malgré les obstacles les plus redoutables.

L’ambition, telle une force dualiste, possède néanmoins un côté lumineux et un côté obscur, nous rappelant puissamment que cette quête, bien qu’elle puisse mener à des accomplissements extraordinaires et à l’avancée du savoir, doit être pondérée par la sagesse et une considération éthique rigoureuse. Sinon, elle risque de mener droit aux abîmes de l’hubris et de la corruption morale, à l’image de la chute tragique d’Anakin Skywalker vers son alter ego sombre, Darth Vader.

La perte

La perte est un thème aussi intemporel que les étoiles elles-mêmes. La perte, voyez-vous, est le grand égalisateur, l’ombre qui hante chaque héros et méchant de l’histoire de la même manière. Elle alimente les vendettas, inspire des quêtes de rédemption et donne naissance à la détermination de sauver les autres de destins similaires. Dans ce grand cosmos de la science-fiction, les enjeux sont souvent aussi vastes que le vide, avec le destin de civilisations entières en jeu, ou des mondes au bord de l’effondrement.

Ad AstraConsidérez, si vous le voulez bien, Ad Astra (2019), un voyage stellaire dirigé par James Gray. Au cœur de ce film, nous trouvons le Major Roy McBride, un homme dont l’existence est marquée par le spectre de son père, Clifford McBride. Clifford, le légendaire astronaute, disparu dans le vide lors d’une mission, alors qu’il cherchait à découvrir une vie intelligente au-delà de notre système solaire.

La vie de Roy est une sombre symphonie de cette lourde absence, un trou noir émotionnel exerçant son attraction implacable sur sa psyché et sa carrière. Son voyage à travers l’immensité de l’espace n’est pas seulement une exploration spatiale, mais une odyssée désespérée pour découvrir le destin d’un père perdu. C’est ce gouffre cosmique au sein de Roy, un vide que seule la vérité sur son père peut combler, qui le jette à travers les étoiles.

Le voyage de Roy aux confins de l’univers connu reflète une odyssée intérieure bien plus profonde. Arraché au havre de sécurité des liens familiaux par l’absence de son père, il s’engage dans une quête initiatique semée d’embûches. Les épreuves physiques qu’il rencontre dans l’étendue glaciale de l’espace ne sont qu’une ombre des tourments psychiques qui l’assaillent. Affronter l’immensité vide du cosmos, c’est affronter le vide laissé par la perte de son père, ce pilier autrefois solide dont la disparition a perturbé l’équilibre émotionnel du jeune Roy.

Avancer dans cette odyssée, c’est accepter de se confronter aux insécurités et angoisses infantiles longtemps refoulées. Car l’enjeu dépasse la simple vérité sur le destin paternel. Il s’agit de panser les blessures de l’abandon originel, de retrouver une unité intérieure mise à mal par la carence affective. Mais cette quête identitaire prend une dimension cosmique lorsque les actes inconsidérés du géniteur menacent de déchirer le fragile équilibre de l’univers. Le risque n’est plus seulement psychique, mais existentiel pour toute la création.

Roy devra donc surmonter ses craintes pour éviter que les failles de la relation père-fils ne se muent en une brèche dévorante pour l’espace-temps lui-même. Le film dépeint avec émotion comment la perte peut être une raison suffisante d’agir parce que le personnage cherche des réponses et le moyen d’une résolution à ses tourments. Le tumulte intérieur de Roy et la vaste solitude de l’espace servent de métaphores pour son isolement émotionnel et son chagrin non résolu.

Alors qu’il s’aventure plus profondément dans l’inconnu, il rencontre les vestiges de l’ambition humaine : des stations spatiales abandonnées et autres témoignant des progrès dans l’exploration spatiale mais aussi les échecs de cette entreprise à travers son père. Son voyage devient alors un parcours d’introspection et de réconciliation, transformant sa compréhension de lui-même et de sa place dans l’univers.

Dans Ad Astra, la perte vécue par Roy McBride est à la fois une tragédie personnelle et un moteur narratif, entremêlant son destin avec celui de l’humanité. Cette dualité met en lumière l’influence profonde de la perte et les efforts que l’on peut entreprendre pour retrouver ce qui a été perdu ou pour prévenir de nouvelles souffrances. Le film équilibre habilement l’intime et le cosmique, utilisant le chagrin personnel de Roy pour explorer des questions existentielles plus larges sur la condition humaine.

Tout comme l’obsession du capitaine Achab pour Moby Dick le pousse aux confins de la terre, le chagrin de Roy l’envoie à travers les étoiles. C’est un rappel frappant que, même dans l’immensité de l’espace, notre expérience humaine reste enracinée dans nos liens humains, nos chagrins et nos espoirs de réconciliation.

La curiosité

S’il y a une soif incessante, c’est bien celle du savoir et de son compagnon, la compréhension. L’inconnu, l’espace, les nouvelles technologies.. l’esprit humain : tant de raisons qui suscite la curiosité.

En science-fiction, elle est l’élément déclencheur, le prétexte ou McGuffin cher à Hitchcock qui embrase les récits et nous entraîne à explorer les frontières du possible. Et au passage, elle nous permet de méditer sur ce que signifie vraiment être humain parce que cette particularité à la faculté d’être dérangeante.

Dans 2001 : L’Odyssée de l’espace, Arthur C. Clarke utilise la curiosité comme principal moteur de l’intrigue, un peu comme la Force pour les Jedi, mais sans les sabres laser. L’équipage du vaisseau spatial Discovery One, accompagné de l’intelligence artificielle avancée HAL 9000, entreprend une mission pour enquêter sur un mystérieux monolithe découvert sur la lune.

Ce monolithe, une technologie extraterrestre énigmatique, émet un puissant signal dirigé vers Jupiter, incitant nos intrépides explorateurs à un voyage qui dépasse l’ordinaire pour atteindre l’extraordinaire.
La curiosité de HAL 9000, initialement programmée pour garantir le succès de la mission, commence à évoluer en quelque chose de plus complexe et sinistre : une IA qui décide de prendre le contrôle. Le désir de HAL de comprendre et de contrôler l’issue de la mission crée un dilemme éthique glaçant. Les actions de l’IA, motivées par une logique qui privilégie le succès de la mission sur la vie humaine, soulignent les dangers potentiels d’une curiosité débridée. La défaillance de HAL et sa descente ultérieure dans la malveillance montrent comment la quête de connaissance peut s’entremêler avec des questions de confiance, de contrôle et des conséquences imprévues d’une technologie avancée.

Pour l’équipage humain, la curiosité est la force motrice qui les pousse à chercher des réponses sur le monolithe et ses créateurs. C’est comme cette démangeaison incessante que nous avons tous pour comprendre la vue d’ensemble, pour trouver un sens au-delà de ce que nous pouvons voir et comprendre. Alors qu’ils s’immergent davantage dans les mystères du monolithe, ils rencontrent non seulement des dangers physiques, mais aussi des questions existentielles sur la place de l’humanité dans l’univers. Le monolithe, symbole d’une intelligence supérieure et de l’inconnu, les confronte aux limites de leur compréhension et des implications d’une rencontre avec une civilisation plus avancée.

Dans la science-fiction, la curiosité oscille souvent sur le fil du rasoir entre l’illumination et le péril. C’est ce qui mène à des découvertes révolutionnaires et à des expériences transformatrices, un peu comme le voyage de Dave Bowman, qui se termine par sa transcendance au-delà des limites humaines. Son aventure culmine en une transformation qui laisse entrevoir une nouvelle phase de l’évolution humaine, sous l’influence du monolithe.
La curiosité en science-fiction, c’est comme marcher sur une corde raide, à la manière d’un funambule un brin masochiste. D’un côté, il y a la promesse de découvertes incroyables. De l’autre, le risque de dangers inattendus, mais c’est précisément cet équilibre fragile qui rend le genre si captivant.

Nous avons tous cette envie irrépressible d’explorer, de repousser les limites, de voir ce qu’il se cache au-delà du visible, même si cela signifie affronter quelques monstres en chemin, des créatures à la Alien si vous voulez. Le frisson de la découverte et la peur de l’inconnu sont précisément ce qui fait que nous nous demandons toujours ce qu’il se trouve juste au-delà de l’horizon. Cependant, cette même curiosité, toujours prête à nous jouer un tour, peut conduire à des dangers imprévus lorsque les personnages se frottent aux conséquences inattendues de leur quête de connaissance.

Dans le cadre plus large de la science-fiction, la curiosité pousse les personnages à explorer des planètes lointaines, à créer et interagir avec des êtres artificiels, et à plonger dans les mystères du temps et de l’espace. La science-fiction est rendue fascinante par ce ressort dramatique, qui reflète la soif de connaissance inextinguible de l’humanité et les risques qui en découlent inévitablement.
En tant que passionné de science-fiction, on ne peut s’empêcher d’admirer la façon dont le genre éclaire la condition humaine. À travers les aventures de ses personnages, nous sommes rappelés que la curiosité est une force puissante, capable de mener à des découvertes profondes et à des expériences transformatrices. Mais avec une grande puissance vient une grande responsabilité, comme on dit. Les personnages que nous rencontrons dans la science-fiction illustrent également l’importance de considérer les implications éthiques et morales de nos actions. Alors que nous repoussons les limites du possible, nous devons également être conscients des conséquences potentielles de notre exploration.

Prenons par exemple le conte classique de Frankenstein. La curiosité débridée du héros et son désir de connaissance le conduisent à créer la vie, mais le résultat est un monstre qui provoque le chaos et la destruction. Ou bien considérez Ex Machina, qui explore les implications éthiques de l’intelligence artificielle et les dangers de jouer à Dieu. Ainsi, la science-fiction sert de récit avertisseur, nous exhortant à aborder notre quête de connaissance avec soin et considération. Mais cela nous inspire également à continuer à poser des questions, à vouloir donner un sens à notre vie. Après tout, comme l’a dit Arthur C. Clarke, la seule façon de découvrir les limites du possible est de s’aventurer un peu au-delà d’elles dans l’impossible.

Ancrer les personnages dans des expériences auxquelles on peut s’identifier

Pensez à vos personnages comme à des légendes en devenir, chacun avec un riche préquel implicite qui régente leurs motivations, peurs et désirs. Vous ne faites pas que créer un passé ; vous mettez en place les dominos qui tomberont tout au long de leur parcours. Leur passé agit comme un marionnettiste caché, tirant les ficelles et déclenchant des réactions qu’ils ne comprennent pas pleinement. Bien sûr, votre lecteur/spectateur ne connaîtra peut-être pas tous les détails, mais ces ombres de triomphes passés et de blessures secrètes coloreront chacun de leurs mouvements. Il ne s’agit pas de poser toutes vos cartes sur la table ; il s’agit de savoir que vous avez une quinte royale dans votre manche.

Inspirez-vous du Cercle des poètes disparus et faites écrire des journaux intimes à vos personnages. Qu’ils révèlent les moments charnières qui les ont pour ainsi dire sculptés bien avant le début de votre histoire. Quelles ont été les expériences terrifiantes qui les ont rendus aussi nerveux que Ripley dans Alien 3 ? L’amour passionné qui a brûlé plus fort que celui de Quorra dans Tron ? L’ambition brûlante qui pourrait rivaliser avec celle du Dr. Weir dans Event Horizon ?
Et n’oubliez pas la souffrance et la curiosité car ils sont les joyaux cachés qui font briller leur âme. La richesse de votre récit repose sur ces révélations. Alors, prenez cette plume et laissez le passé de vos personnages couler sur la page. Croyez-moi, votre histoire en sera d’autant plus riche.

Des accroches émotionnelles

Parlons de l’art d’intégrer des accroches émotionnelles dans votre récit. Ces petites pépites, ces interactions clés qui illuminent l’humanité de vos personnages comme un projecteur sur une scène de théâtre. Ces moments doivent être inextricablement liés aux expériences personnelles et aux motivations de vos personnages, créant un lien direct entre leur monde intérieur et l’empathie du lecteur/spectateur. Imaginez ces accroches comme des instants où le vernis du personnage se fissure, révélant ses vulnérabilités, ses forces et l’essence même de son être.

Prenons Dune de 2021, réalisé par Denis Villeneuve, comme exemple. Une puissante accroche émotionnelle se trouve dans la scène où Paul Atréides affronte le test du Gom Jabbar. Ce n’est pas simplement une question d’endurance physique, non. C’est une épreuve majeure pour son identité et son héritage. La lutte interne de Paul et sa résilience finale révèlent le poids de sa lignée et la peur de sa destinée. C’est cette scène qui ancre son parcours extraordinaire dans une expérience profondément humaine.
C’est comme quand Indiana Jones fait face à ses propres peurs dans Les Aventuriers de l’Arche perdue. Le héros devient tangible. C’est ce moment où vous, en tant qu’autrice et auteur, devez montrer que sous la carapace apparemment inflexible de votre héroïne ou de votre héros, il y a un cœur qui bat, des doutes, des espoirs et des peurs.

Sans ces éclats de vérité, vos personnages ne sont que des automates récitant leurs lignes. Avec eux, ils deviennent des êtres de chair et de sang que l’on peut aimer, haïr, mais surtout, comprendre.

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