LE THÈME, L’ÂME DU RÉCIT

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Si les récits étaient dépourvus d’un thème, peu importe leur degré de suspense ou la beauté de leur prose, ils ressembleraient à un corps sans âme. Ils seraient fonctionnels mais sans philosophie, sans spiritualité, en un mot sans signification.
Un récit divertit, c’est ce qu’on dit. Mais s’il n’examinait pas nos croyances, nos valeurs, notre humanité, que serait-il d’autre ?

L’âme du récit

Comme un souffle discret, le thème murmure des vérités sur notre condition humaine sans que cela soit aux dépens de l’intrigue ou des personnages. Dilemmes moraux, débats philosophiques ou sociétaux, le thème interroge et nous invite à réfléchir, à voir le monde autrement.
Posons comme thèmes, pour l’exemple, des concepts qui adressent le statu quo, la frontière entre la foi et la raison, entre l’Histoire au grand H et le mythe, entre la science et la religion. Ce n’est pas fortuit : ces quatre thèmes sont des questions fondamentales qui ont passionné l’humanité à travers les âges. Et ils sont liés : le statu quo par exemple est ce qui nourrit la dialectique entre les pôles des trois autres thèmes.

Une narration ne s’expose pas en déclarations explicites : ce serait de la propagande. Les personnages se trouvent entre la foi et la raison ou entre la science et la religion. C’est ainsi que se justifient leurs actions que le lecteur/spectateur interprète et juge.

L’idée particulière qui est évoquée invite non seulement les personnages mais aussi la lectrice et le lecteur à comprendre quelque chose de nouveau ou de différent : découvrir des vérités cachées, remettre en cause ses croyances, se découvrir soi-même ou poser un regard différent sur le monde. Proust, dans la recherche du temps perdu, fouille dans ses souvenirs d’enfance et découvre comment le temps et la mémoire influencent ce que nous sommes. Il invite ainsi la lectrice et le lecteur à réfléchir sur leur propre expérience du temps et de la mémoire.

Si le thème est l’âme d’un récit, il relie aussi deux âmes : celle du personnage et celle du lecteur/spectateur. Suivre un héros et une héroïne à travers une série d’événements est une chose ; comprendre leurs luttes, leurs motivations et les dilemmes moraux auxquels ils sont confrontés en est une autre.
Le thème est un moyen comme un autre d’expliquer l’empathie que l’on peut éprouver envers un personnage. On participe à ce qu’il endure et on célèbre ses triomphes. L’envie t-on ? Peut-être.

L’universalité d’un thème

Un thème est comme le mythe : il se moque du temps et des lieux. Quête de connaissances, lutte pour le pouvoir, l’amour, la survie : des expériences humaines fondamentales qui perdurent. Contrairement au mythe, cependant, le thème ne nous impose pas des conduites.

Dans le domaine de la narration, qu’il s’agisse de scénarios, de romans ou de tout autre média, deux piliers soutiennent toute la structure : l’intrigue et le thème. Ces éléments, bien que distincts, sont le fil de trame pour l’intrigue et le fil de chaîne pour les thèmes. Ensemble, ils divertissent, font réfléchir et provoquent des émotions.
L’intrigue est horizontale : elle est une séquence structurée d’événements qui peuvent être chronologiques ou non. Les personnages suivent cette ligne dramatique qu’on peut appeler Overall Story parce qu’en effet, elle propose un regard objectif sur le récit : elle est le quoi, c’est-à-dire ce qu’il se passe ; le qui, à qui cela arrive et bien-sûr le quand & le où.

Cette ligne possède un élan : de l’amont à l’aval. C’est une feuille de route avec des moments.

Bien que l’intrigue et le thème soient différenciés, ils ne se produisent sur des scènes séparées. Au contraire, ils existent dans une relation symbiotique et s’éclaire et se renforce l’un l’autre.

L’intrigue : le moteur

L’intrigue est donc le qui, le quoi, le quand, le et le pourquoi mais un pourquoi différent de celui du thème. Le pourquoi d’une intrigue est ce qui justifie une action. Le passé d’un personnage entre en jeu dans ce pourquoi.
Dans l’intrigue, nous avons le détective qui poursuit le méchant de l’histoire mais il y a ce pourquoi il échoue dans son objectif. Nous avons cet astronaute qui s’échoue sur une planète inconnue et le pourquoi pourrait être pourquoi il a voulu qu’il en soit ainsi. C’est un scientifique confronté à une décision qui changera le monde et le pourquoi serait alors les raisons de son dilemme.

Le principe de l’intrigue consiste à river notre attention et, malgré nous, à anticiper les événements. Nous voulons savoir ce qu’il se passe ensuite. Néanmoins, l’intrigue est quelque chose de transitoire. Ce qui dure, c’est le message. On réfléchit aux motivations des personnages, à leurs décisions. On y décèle des vérités.

Chaque film tourne autour d’une histoire, guidée par une intrigue qui entraîne les personnages vers leurs destinées. Cependant, il y a une signification qui se cache sous la surface. C’est pourquoi le récit devient important. Reprenons ce détective qui poursuit inlassablement un meurtrier.
Du suspense, des rebondissements : frontalement, la poursuite est au cœur du récit. Mais est-ce qu’elle importe vraiment ? Elle ne pourrait être qu’un McGuffin, c’est-à-dire un prétexte. L’intention vise la corruption, comment la quête de justice peut brouiller les limites morales. Ces thèmes élèvent l’intrigue qui n’est plus une simple chaîne d’événements. Elle se charge d’une signification que les événements ne sont pas capables de rendre à eux seuls.

Ici, il y a un examen de la moralité dans la justice. Les dilemmes moraux exaltent le genre du thriller. Ils participent aussi à la tension dramatique dans d’autres genres. Ici se soulèvent des questions sur les limites de la justice. Est-il possible de maintenir ses valeurs morales lorsqu’on est des témoins des côtés les plus obscures de la nature humaine ? C’est la question que pose le message au lecteur/spectateur.
L’auteur et l’autrice n’adoptent pas un mode assertif avec le lecteur/spectateur. Il l’incite au contraire à peser ses propres limites morales surtout dans les thèmes qui relèvent du bien et du mal.

L’interaction de bon aloi entre l’intrigue et le thème va donc au-delà de la simple narration ; C’est en fait un super-héros de la narration qui fait du lecteur/spectateur lui-même un super-héros. Une symbiose implique fondamentalement de serrer le thème si étroitement avec l’intrigue qu’ils ne font plus qu’un.

Le développement narratif s’enorgueillit d’un élan et d’une signification. C’est une double satisfaction que l’autrice et l’auteur visent : à la fois sur les plans intellectuel et émotionnel.
Et si le but avoué du thème est de nous inciter à interroger notre condition humaine, nos normes et peut-être même de soulever des questions existentielles ? Donner du sens, c’est réfléchir sur nos propres convictions et principes personnels.

Dans cette symbiose, les fonctions de protagoniste et d’antagoniste disparaissent presque. Les personnages incarnent les thèmes. Le héros et l’héroïne peuvent être autant coupables que le méchant de l’histoire. Un thème fonctionne selon la méthode : thèse (cette vertu est bonne pour l’homme), antithèse (mais pas pour tout le monde), synthèse (mais pour un vivre ensemble digne, il faut appliquer la vertu même si quelques uns en pâtissent).

Les décisions, les situations conflictuelles, les arcs dramatiques des personnages sont des manifestations des préoccupations évoquées par les thèmes. C’est bien plus étonnant que des mécanismes narratifs !

Comme on se pose toujours les mêmes questions, les êtres de fiction ne sont pas différents. Cela leur confère une authenticité. Notre détective pris dans un dilemme moral entre sa loyauté envers son devoir et ses valeurs personnelles participe évidemment de l’intrigue mais la beauté de la chose est qu’il est une représentation du thème.
Et ce qui est personnel pour un personnage donne un accès immédiat à sa psyché par le lecteur/spectateur.

Le thème au cœur du récit

Nous l’avons dit, un récit qui joint savamment intrigue et thème ne se contente plus d’être divertissant. C’est une expérience qui touche le lecteur/spectateur dans son âme même. On prend du plaisir avec les rebondissements de l’intrigue et d’être les témoins d’une conclusion agréable. Mais cela vaut-il vraiment la peine d’être vécu ?

Car si vous vous mettez à ressasser les scènes et à remettre en cause ce en quoi vous croyez, alors c’est qu’un thème s’est immiscé dans votre âme.

L’effet persistant vient de la manière dont le récit se joue sur plusieurs niveaux. D’abord, il vous offre le plaisir immédiat d’un récit bien structuré, avec un début, un développement et une fin claire, qui est aussi divertissement, excitation et la satisfaction de voir un conflit trouver sa résolution.
Cependant, une dimension se révèle au-delà de cet effet : le thème. Le thème analyse ce que nous endurons tous au jour le jour parce que nous sommes des êtres humains. Cette dimension s’attaque à des questions importantes. C’est à un véritable enrichissement personnel que nous convie l’autrice et l’auteur : réflexion et introspection.

On juge l’action mais dans le même coup, on remet en question nos propres valeurs et perspectives.
Considérons une héroïne qui se bat contre les injustices de sa société. L’intrigue nous décrit les différents moments dans sa vie qui mène à la prise de conscience de cette iniquité envers les femmes. Toutefois, le thème de la contestation de l’ordre établi fait écho d’une manière beaucoup plus profonde et parle davantage au lecteur/spectateur qui pourrait réévaluer ce à quoi il adhère.

Les récits s’écrivent aussi dans notre narration intérieure. Ils déteignent sur nos pensées.
Nous les intégrons à notre propre histoire personnelle. Ces récits peuvent nous inciter à agir autrement. Cela ne fonctionne pas comme une religion révélée mais nous pourrions changer notre point de vue sur le pardon, sur le courage de poursuivre ses rêves ou bien encore l’importance d’autrui dans nos vies.

Et nous mettons en pratique ces nouvelles perspectives dans nos vies.

Donc
  1. Commencez par le pourquoi.
    Avant de vous lancer dans l’intrigue, réfléchissez au message ou aux questions que vous souhaitez examiner à travers votre récit. Quels thèmes vous attirent ? Comment se lient-ils à notre condition humaine ? Aux parcours de nos vies ?
  2. Faites en sorte d’insérer les thèmes dans les arcs dramatiques des personnages.
    Les personnages servent d’intermédiaires entre l’intrigue et le thème. C’est en suivant les parcours des personnages, souvent chaotiques, que vous exposerez vos thèmes.
  3. Assurez-vous que l’intrigue ne soit pas hors sujet.
    Les éléments dramatiques servent les thèmes. Les événements sont les hérauts de vos thèmes.
  4. Réfléchissez sur l’universel et le personnel
    Vous toucherez bien plus fort votre lecteur et votre lectrice lorsque vous abordez vos vérités sur la condition humaine. A condition, cependant, qu’elles soient traitées à travers les expériences de chacun de vos personnages. Lorsqu’un personnage connaît l’amour ou qu’il endure une perte ou bien qu’il soit effrayé, ce sont des émotions et des passions que l’on éprouve dans notre vie. Passé, personnalité, force, faiblesse seront les éléments dramatiques tangibles, dans l’action et les décisions, qui font que le lecteur/spectateur se lie aux personnages.

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