Un scénario est à la fois une forme d’art et le travail d’un artisan. Les six questions essentielles de l’écriture de scénario posées par Glenn Gers fournissent un modèle qui, lorsqu’il est appliqué de manière réfléchie, peut faire passer le scénario du statut de simple divertissement à celui d’une expérience narrative profonde.
Ces questions, associées à la philosophie de Jean-Claude Carrière sur le pouvoir du silence et du non-dit, offrent aux scénaristes une trame narrative riche qui trouve un écho profond auprès du lecteur/spectateur.
QUI VEUT QUOI ?
Cette question porte sur les désirs des personnages, ce qui constituent la force motrice de leurs actions. C’est le fondement de la motivation des personnages et de la progression de l’intrigue. Dans un scénario bien structuré, le personnage principal doit avoir des désirs clairs et forts qui entrent en conflit avec ceux des autres, propulsant ainsi le récit vers l’avant.
Dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, Amélie souhaite apporter le bonheur aux autres par le biais d’une série de plans complexes et d’actes de gentillesse, motivés par la découverte d’une boîte appartenant à un ancien locataire de son appartement. Son voyage est une quête pour trouver la joie dans les petites choses de la vie, affectant ceux qui l’entourent de manière profonde et significative.
ET S’ILS NE PEUVENT L’OBTENIR ?
Cette question ajoute des enjeux à la narration, en lui conférant un caractère d’urgence et de la tension dramatique. Des enjeux élevés garantissent que la lectrice et le lecteur restent engagés et comprennent ce qu’il risque d’arriver si les personnages ne parviennent pas à réaliser leurs désirs. Dans Le Seigneur des Anneaux, l’enjeu est la fin de la Terre du Milieu telle qu’on la connaît si Frodon ne parvient pas à détruire l’Anneau. Cette possibilité catastrophique permet au lecteur et à la lectrice de continuer à s’investir dans le périlleux voyage de Frodon.
Dans La Haine, le récit explore les conséquences de la violence, du racisme et de l’indifférence dans la vie de trois jeunes hommes des banlieues de Paris. Les enjeux sont de l’ordre de la vie et de la mort, illustrant les conséquences désastreuses de l’incapacité de la société à s’attaquer à ces problèmes profondément ancrés.
POURQUOI MAINTENANT ?
La question du temps ajoute de l’immédiateté à la narration, suggérant que les événements qui se déroulent sont inévitables ou critiques à ce moment précis. Elle implique souvent un événement déclencheur qui met l’histoire en mouvement. Entre les murs se concentre sur une année dans la vie d’un professeur de français dans un collège réputé difficile d’un quartier parisien, mettant en lumière le moment critique du développement de l’adolescent et l’impact de l’éducation.
Le moment choisi est essentiel, car il s’agit d’une période de formation pour le professeur et ses élèves.
QUELLE EST LA PIRE CHOSE QUI PUISSE ARRIVER ?
L’exploration de la séquence le plus pessimiste permet d’accroître les enjeux et de tester la détermination des personnages. Elle pousse le récit jusqu’à ses limites émotionnelles et physiques, ce qui conduit souvent à des moments forts. Dans La Vie d’Adèle – Chapitres 1 & 2, le pire explore la dévastation émotionnelle de la fin d’une relation. Le film explore en profondeur les conséquences de l’amour trouvé et perdu, et l’intense tribut émotionnel qu’il fait subir à la protagoniste.
MAIS POURQUOI S’EN PRÉOCCUPER ?
Cette question porte sur le lien émotionnel entre les personnages et le lecteur/spectateur. Elle est essentielle pour que le récit ait une résonance personnelle et que la lectrice ou le lecteur s’investisse émotionnellement dans le parcours des personnages. Intouchables crée un lien émotionnel entre le lecteur/spectateur et les personnages à travers l’amitié improbable entre un riche tétraplégique et son aide-soignant issu des cités. Le scénario illustre magnifiquement le pouvoir de transformation de l’amitié et de l’empathie au-delà des clivages sociétaux.
Dans Là-Haut, le montage initial de la vie commune de Carl et Ellie crée un investissement émotionnel profond dans le parcours de Carl, rendant son aventure et son développement personnel importants pour nous.
QUEL DÉNOUEMENT ?
La résolution du récit relie tous les éléments entre eux et permet de clore le récit et de réfléchir sur celui-ci. Une fin bien conçue peut laisser un impact durable, encourageant le lecteur/spectateur à réfléchir aux thèmes et aux personnages longtemps après la fin de l’histoire. La fin de Inception, avec sa toupie ambiguë, laisse le lecteur/spectateur s’interroger sur la nature de la réalité et le destin du héros, démontrant ainsi le pouvoir de certains non-dits.
De rouille et d’os se termine par une résolution nuancée qui voit ses personnages trouver la rédemption et un moyen d’aller de l’avant au milieu d’une tragédie personnelle. La fin est à la fois pleine d’espoir et ancrée dans la réalité, reflétant la nature complexe de la résilience et des liens humains.
Intégrant la philosophie de Jean-Claude Carrière, ces questions encouragent les scénaristes à explorer les profondeurs de leurs personnages et de leurs récits au-delà des dialogues. Le labyrinthe de la narration visuelle est enrichi par des moments de silence, où les émotions, les tensions et les résolutions sont transmises sans mots. Cette approche exige une compréhension fine de la narration visuelle, où les gestes, les expressions et la réalisation en disent long.
Des Hommes et des Dieux est un exemple profond où le silence et les non-dits ont un poids important. Le film, qui raconte l’histoire de moines trappistes en Algérie confrontés à la menace de militants islamistes, utilise de longues plages de silence pour amplifier les questions spirituelles et existentielles qui sont au cœur de son propos. La prière silencieuse des moines, leur vie contemplative et la tension non dite entre la foi et la peur soulignent la profondeur thématique du film.
