Aristote associe l’action à un revers de fortune, à un changement dans les relations sociales. L’action doit être telle que la séquence des événements, selon la loi de la probabilité ou de la nécessité, admette un passage de la mauvaise fortune à la bonne ou de la bonne à la mauvaise. Il a donné le nom de peripeteia à l’intrusion soudaine d’un événement qui affecte la vie du héros ou de l’héroïne et oriente l’action dans une nouvelle direction. Une autre forme de renversement de l’action est anagnorisis ou scène de reconnaissance, la découverte d’amis ou d’ennemis de manière inattendue.
Ceci dit, le vrai problème que nous rencontrons avec la Poétique d’Aristote est qu’il considère que l’action est fondamentale au drame, non les personnages. De la tragédie, à l’époque d’Aristote, c’était une observation tout à fait exacte. Certes, le mouvement est une caractéristique du vivant. Le personnage est-il plus vital que l’action ?
Théorie
Du grec theôria dont nous retiendrons la signification de contemplation, regards sur les choses. Il y a probablement une confusion qui découle d’une approche abstraite des problèmes du scénario ; le personnage et l’action tendent à devenir des abstractions, existant théoriquement comme des objets. L’interdépendance du personnage et de l’action a été clarifiée par la conception du drame comme un conflit de volonté, qui a joué un rôle prépondérant dans la pensée dramatique du XIXe siècle. Aristote a consacré beaucoup d’attention aux exigences de l’intrigue. Il n’a d’ailleurs pas reconnu l’importance de l’élément conflictuel, que ce soit entre l’homme et les circonstances, entre les hommes ou dans l’esprit de l’homme.
Aristote n’a pas saisi le rôle de la volonté humaine, qui place l’homme en conflit avec les autres hommes et avec l’ensemble de son environnement. Aristote considérait le revers de fortune (qui est en fait le point culminant d’un conflit de volonté) comme un événement objectif, négligeant son aspect psychologique. Il considère que le personnage est un accessoire de l’action, mais sa conception du personnage est limitée et statique. Une action implique des agents personnels, qui possèdent nécessairement certaines qualités distinctives de caractère et de pensée ; car c’est par elles que nous qualifions les actions elles-mêmes, et ces qualités, à la fois une pensée et une personnalité, sont les deux causes naturelles d’où naissent les actions, et c’est encore d’elles que dépendent tout succès ou tout échec… Le personnage en tant que sujet est ce en vertu de quoi nous attribuons certaines qualités aux agents de l’action.
En considérant le personnage comme un ensemble de qualités, Aristote n’a pas pu étudier la manière dont le personnage fonctionne. Au lieu de considérer le personnage comme un élément du processus de l’action, il a tracé une ligne artificielle entre les qualités et les activités.
Il a également tracé une ligne entre le personnage et la pensée. D’un point de vue moderne, cette façon mécanique de traiter le sujet est sans valeur et doit être attribuée aux connaissances limitées d’Aristote en matière de psychologie et de sociologie. Le philosophe Henri Bergson a ouvert la voie en démontrant à sa manière l’action des stimuli sur les organes sensoriels et l’action résultante des idées, des sentiments, des volitions.
Le processus par lequel les stimuli du monde extérieur influencent nos idées, nos sentiments et nos volontés qui, à leur tour, conduisent à nos actions, est complexe et comporte plusieurs étapes. Ce processus est fondamental pour comprendre le fonctionnement de l’esprit humain et fait l’objet d’études en psychologie, en neurosciences et en philosophie depuis de nombreuses années. Tout commence par la réception de stimuli externes par nos organes sensoriels, tels que les yeux, l’ouïe, la peau, les papilles gustatives et l’odorat. Ces organes recueillent des informations sur l’environnement, telles que les ondes lumineuses, les ondes sonores, la pression, les substances chimiques…
Une conception parmi d’autres est que les organes sensoriels transforment ces stimuli physiques en signaux neuronaux. Ces signaux sont ensuite transmis au cerveau par des voies neuronales. Une fois que les signaux neuronaux atteignent le cerveau, ils sont traités dans différentes régions, en fonction du type d’entrée sensorielle. Différentes zones du cerveau sont responsables du traitement des informations visuelles, auditives, tactiles, olfactives et gustatives. Le cerveau intègre et interprète ces signaux, formant ainsi une représentation cohérente du monde extérieur.
Une objection cependant est de négliger l’imagination. Reproduire le monde extérieur n’est pas le monde lui-même. Il y a un filtre forcément subjectif qui fait que bien qu’elle soit cohérente, la représentation n’est qu’une image affaiblie de la réalité extérieure. Notre corps lui-même est responsable : notre perception du monde extérieur est assurée par nos organes sensoriels, des récepteurs sensoriels. Ces organes sensoriels ont des limites inhérentes. Par exemple, nos yeux ne peuvent détecter qu’une gamme limitée de longueurs d’onde (la lumière visible) et nos oreilles ne peuvent capter que certaines fréquences sonores.
Cela signifie que nous sommes incapables de percevoir de nombreux aspects du monde extérieur, tels que la lumière ultraviolette et infrarouge ou les sons au-delà de notre champ d’audition. Certainement plus utiles pour l’autrice et l’auteur de scénarios est que même lorsque nos organes sensoriels détectent des informations provenant du monde extérieur, notre cerveau traite et interprète ces informations. Cette interprétation peut être influencée par nos expériences antérieures, nos croyances et nos attentes, ce qui peut entraîner des biais et des inexactitudes dans notre perception.
Une action interne
Cette action intérieure fait partie de l’action globale qui comprend l’individu et la totalité de son environnement. Aristote avait raison de dire que la vie consiste en l’action et que sa finalité (si l’on accepte cette raison d’être) est un mode d’action et non une qualité.
Il avait donc raison de soutenir que l’action est fondamentale et que le personnage vient en complément de l’action. Son erreur réside dans son incapacité à comprendre que le personnage est lui-même un mode d’action qui est subsidiaire à l’ensemble de l’action parce qu’il est une partie vivante de l’ensemble.
La théorie du conflit de volontés complète, et ne contredit en rien, la théorie de l’action d’Aristote. Un conflit de volontés, qu’il soit entre l’homme et les circonstances, ou entre les hommes, ou à l’intérieur de l’esprit de l’homme, est un conflit dans lequel l’environnement joue un rôle important. On ne peut imaginer un conflit mental qui n’implique pas une adaptation à l’environnement. L’action couvre l’individu et l’environnement, et toute l’interconnexion entre eux. Le personnage n’a de sens qu’en relation avec les événements ; la volonté humaine est continuellement modifiée, transformée, affaiblie, renforcée, en relation avec le système d’événements dans lequel elle opère. Si nous décrivons un scénario comme une action, il est évident que c’est une description utile ; mais le scénario ne peut pas être définie comme un personnage, ou un groupe de personnages hors de l’action.
L’autrice et l’auteur sont donc préoccupés par ce que le personnage fait ; ils ne le sont d’ailleurs que dans la mesure où ce que les personnages pensent ou ce qu’ils sont se révèle dans ce qu’ils font.
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