Nous avons un personnage principal ; celui-ci a un objectif à accomplir, un désir, un souhait ou dit peut-être plus justement le récit possède un Story Goal, c’est-à-dire une ligne dramatique qui décrit les quelques événements majeurs vers l’obtention de cet objectif.
Il y a donc une succession d’événements qui crée un mouvement. Les dix premières pages du scénario sont cruciales pour ferrer la lectrice et le lecteur. Le moyen utilisé pour les inciter à continuer la lecture est l’incident déclencheur, c’est-à-dire un événement qui vient rompre les habitudes du personnage principal alors que celui-ci n’a parfois même pas encore conscience de l’importance de cet événement pour son avenir. Il le nie souvent par le refus.
L’action
L’incident déclencheur est un événement qui n’est pas déterminé mais qui porte déjà en lui la volonté du personnage d’accomplir quelque chose. Dans Chute libre, William Foster tente de rejoindre la demeure de son ex-femme pour participer à l’anniversaire de sa fille (bien qu’on comprendra par la suite qu’il n’y ait néanmoins pas le bienvenu) ; cette volonté nous est amené par l’incident déclencheur, c’est-à-dire l’événement initial (ici, les travaux qui crée un embouteillage lors d’une espèce de canicule) qui force Foster à décider de laisser son véhicule et de partir à pied pour rejoindre sa fille à temps pour son anniversaire.
A partir de ce moment-là, les différentes rencontres qu’il fera seront autant d’obstacles à cette volonté. Les situations conflictuelles naissent ainsi d’une opposition. Intuitivement, en tant que lectrice et lecteur, l’incident déclencheur nous implique dans la situation actuelle du personnage même si celui-ci ne sait pas encore toutes les conséquences de sa décision à la suite de cet incident déclencheur.
Nous ne savons pas encore tous les détails bien qu’un indice nous soit déjà donné (sa tenue vestimentaire d’une autre époque) mais l’incident déclencheur n’a pas fonction de nous expliquer les choses ; seulement de mettre en évidence que le personnage possède une volonté et que, quel que soit l’objectif, il ne cessera de tenter de le réaliser.
L’incident déclencheur peut être vu comme une fracture dans la routine des habitudes. Soudain, un moment nouveau apparaît dans la vie du personnage. C’est quelque chose de différent mais de banal. L’incident déclencheur n’introduit pas aux thèmes qui seront développés dans le récit (ces thèmes transcendent des situations conflictuelles à venir), seulement quelque chose d’imprévu se produit (un embouteillage, recevoir une invitation inattendu..) et le flux des habitudes qui sont autant de choses imposées (se conformer aux normes, à ce qu’on attend de nous..) est rompu.
On apprendra plus tard que Foster a été licencié car il n’est plus économiquement viable pour son employeur mais ce qui réglera les événements à venir, c’est un simple embouteillage.
Une motivation
L’objectif ou Story Goal est ce qui nous maintient dans le récit à cause que nous voulons savoir si le personnage parviendra ou non à le réaliser. Cela fonctionne aussi dans les séries télévisées : à chaque saison, le personnage principal possède un nouvel objectif.
Alors si la réponse à la question dramatique, qui consiste à savoir si le but que s’est fixé le personnage principal, est donnée avant le climax, l’ultime confrontation avec ce qui est l’adversité (quelle qu’elle soit), nous n’aurions plus d’intérêt à suivre les tribulations et pérégrinations de ce personnage parce que l’intrigue est détruite.
Le désir est certes moins important que le besoin. Le désir est extérieur alors que le besoin ne nous est pas donné du dehors. Le besoin décrit un manque. C’est quelque chose de personnel et de subjectif.
Dans L’Exorciste de William Friedkin, Chris MacNeil a un désir et un besoin liés à l’état de sa fille Regan. Son désir est de comprendre et d’aider sa fille, qui a un comportement de plus en plus inquiétant et violent. Son besoin est de trouver une solution à l’apparente possession de Regan et de sauver sa fille des tourments et des forces maléfiques qui semblent s’être emparées d’elle. Tout au long du récit, le personnage de Chris est animé par l’amour qu’elle porte à sa fille (son besoin) et par sa détermination à la libérer des forces surnaturelles en jeu (son désir), ce qui fait d’elle le personnage principal du drame.
L’amour profond de Chris pour Regan est ce qui la pousse à chercher de l’aide lorsque le comportement de sa fille devient de plus en plus inquiétant et inexplicable. Sa motivation à trouver une solution et à sauver Regan est le moteur de ses actions tout au long du scénario. Cet amour fait que Chris s’investit émotionnellement dans le récit. Lorsqu’elle assiste à la souffrance de sa fille et aux événements terrifiants qui se produisent, le lecteur/spectateur peut s’identifier et compatir à sa peur, à son désespoir et à sa détermination à faire tout ce qui est en son pouvoir pour aider son enfant.
L’amour de Chris pour Regan conduit à son développement personnel et à sa transformation. Elle commence par être une mère aimante et attentionnée, mais au fur et à mesure que l’intrigue progresse, elle est mise à l’épreuve et poussée dans ses derniers retranchements. L’arc dramatique de son personnage l’amène à faire face à des horreurs inimaginables et au surnaturel, ce qui remet en question ses croyances et sa force en tant que mère. Et c’est dans cette force en tant que mère où se situe son besoin, le manque par cette espèce de séparation que la carrière professionnelle de Chris a provoqué entre elle et sa fille.
Si, de fortune, Chris avait cessé de cherché de l’aide d’abord auprès de la science, ensuite auprès de la religion, elle n’aurait plus de but, plus de raison d’être et nous, lecteur et lectrice, nous n’aurions plus d’intérêt à suivre ce personnage.
Alors, en tant qu’auteur et autrice, nous inventons des obstacles de plus en plus terribles afin de tester cette volonté, ce désir du personnage principal. Le besoin de Chris se nourrit de sa culpabilité en tant que mère, une thématique qui est reprise dans la relation que le père Karras entretient avec sa propre mère.
Des obstacles
Chris n’a pas conscience de son besoin. Tout ce qu’elle a, c’est une volonté causée par un événement extérieur et même s’il lui arrive parfois de douter, elle ne cessera de vouloir accomplir son désir.
Comment découvrir chez son personnage la nature de son désir et son véritable besoin ? Une méthode consisterait à écrire les événements marquants d’au moins deux lignes dramatiques : celle du Story Goal, c’est-à-dire ce qu’il se passe dans le monde et une seconde ligne dramatique, celle du personnage principal, décrivant les quelques étapes par lesquelles il passe et qui font qu’il devient autre à la fin de cet arc dramatique.
Considérons le Story Goal du Silence des Agneaux :
Prémisse : Capturer un tueur en série nommé Buffalo Bill et sauver sa dernière victime.
- Le récit commence par présenter Clarice Starling, stagiaire au FBI, qui est enrôlée par son supérieur, Jack Crawford, pour interviewer le Dr Hannibal Lecter, un brillant tueur en série incarcéré, dans l’espoir d’obtenir des informations sur un autre tueur en série, Buffalo Bill.
- Clarice commence ses entretiens avec le Dr Hannibal Lecter, un tueur cannibale très intelligent et manipulateur. Leurs interactions deviennent une partie importante de l’intrigue.
- Clarice se penche sur le cas de Buffalo Bill, un tueur en série qui enlève et assassine des jeunes femmes, avec l’intention d’utiliser leur peau à des fins macabres.
- Au cours de son enquête, Clarice découvre des indices qui l’amènent à penser que le vrai nom de Buffalo Bill est Jame Gumb. Elle découvre également son mode opératoire et l’importance de la taille de ses victimes.
- Lecter accepte d’aider Clarice à établir le profil de Buffalo Bill en échange d’informations personnelles. Il fournit des informations cruciales qui facilitent l’enquête.
- Grâce aux informations fournies par Lecter, Clarice et le FBI retrouvent l’identité et la localisation de Jame Gumb. Ils le traquent à son domicile, ce qui conduit à une confrontation tendue et dangereuse.
- Au moment du climax, Clarice affronte Jame Gumb, sauve sa dernière victime et l’appréhende.
- Le scénario se termine par l’évasion du Dr Lecter, laissant la porte ouverte à une suite potentielle, mais l’objectif principal de l’intrigue pour Clarice, qui est de capturer Buffalo Bill et de sauver sa victime, est rempli.
Le désir est bien le moteur de l’intrigue. L’incident déclencheur est la rencontre avec Hannibal Lecter.
L’arc dramatique personnel de Clarice peut se décrire ainsi :
Prémisse : Le parcours de jeune stagiaire inexpérimentée du FBI à agent compétent et sûr de lui est un aspect central du développement spirituel de Clarice.
- Au début du récit, Clarice est une stagiaire du FBI prometteuse mais inexpérimentée. Elle est impatiente de se faire un nom, mais n’a pas les connaissances pratiques et l’expérience de ses collègues.
- Le premier défi majeur de Clarice est sa mission d’interviewer le Dr Hannibal Lecter. Cette tâche la plonge dans un monde psychologiquement complexe et dangereux. Ses premières rencontres avec Lecter sont intimidantes et elle se sent d’emblée dépassée.
- Au fur et à mesure de ses entretiens avec le Dr Lecter, Clarice commence à prendre confiance en ses capacités. Elle apprend à s’affirmer, à garder son sang-froid même face au comportement troublant et manipulateur de Lecter.
- L’enquête de Clarice sur l’affaire Buffalo Bill est une étape cruciale de son développement personnel. Elle fait preuve de détermination, d’ingéniosité et d’intelligence en suivant des pistes et en examinant des preuves pour retrouver le tueur. Les interactions de Clarice avec le Dr Lecter, bien que risquées, lui apportent également des connaissances inestimables. Elle apprend à penser comme un profileur criminel et utilise ces connaissances pour comprendre et finalement capturer Buffalo Bill.
- Dans le point culminant du récit, Clarice affronte et appréhende Buffalo Bill, mettant en évidence son courage et ses nouvelles compétences. Sa capacité à rester calme sous une pression extrême témoigne de sa transformation.
Un vécu
Chaque étape de ces lignes dramatiques constitue une expérience. Vous pourriez même décrire une troisième ligne dramatique : celle de la relation entre Lecter et Clarice ou plutôt comment évolue cette relation tout au long du récit.
Ce qui importe est comment toutes ces étapes se fusionnent pour donner un sens au récit. Et pour qu’elles se renvoient les unes aux autres, ce ne sont pas les faits qui comptent. Le contenu dramatique que vous inventez concerne vos personnages. Vous devriez donc savoir qui ils sont.
Vous pourriez écrire pour chacun d’eux en quelques paragraphes une biographie. Questionnez vos personnages. Par exemple :
Clarice Starling est née dans une petite ville de Virginie-Occidentale de Walter et Ruth Starling. Son enfance est marquée par des moyens modestes, ses parents travaillant dur pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses frères et sœurs. Son père, mineur de fond, et sa mère, femme au foyer, lui ont inculqué une solide éthique du travail et le sens des responsabilités.
Malgré ses origines modestes, Clarice est une étudiante dévouée et exceptionnelle. Elle excelle dans ses études, en particulier dans les domaines de la psychologie et de la criminologie. Ses résultats scolaires lui ont valu une bourse d’études à l’université de Virginie, où elle a obtenu un diplôme en justice pénale.
Pendant ses études à l’université de Virginie, Clarice est de plus en plus attirée par le domaine des enquêtes criminelles. Sa passion pour la justice et son désir de faire une différence dans le monde l’ont amenée à vouloir rejoindre le Federal Bureau of Investigation.
Après avoir terminé ses études de premier cycle avec mention, Clarice Starling a été acceptée à l’Académie du FBI. Son passage à l’académie a été difficile, mais elle a rapidement prouvé qu’elle était une stagiaire dévouée et compétente. Son intelligence vive, sa forme physique et sa détermination inébranlable l’ont aidée à se démarquer de ses pairs.
Il peut être intéressant de passer du temps à réfléchir sur ses personnages. Dans la vie réelle, on ne pénètre pas dans l’intériorité des autres. Lorsqu’on invente un personnage de fiction, on construit un être de l’intérieur et un auteur ou une autrice pose des mots sur une page pour exprimer ses idées. Peut-être est-ce par l’intuition que l’on élabore un personnage tel qu’il est. C’est une préférence non quelque qualité innée.
Lorsqu’on écrit une biographie, ce n’est pas seulement le personnage en tant que sujet que l’on façonne. De la biographie, il découle aussi une intersubjectivité, c’est-à-dire que dans un vécu, dans les expériences, il y a des rencontres et d’autres personnages s’imposent alors dans la biographie. Ils pourront aider le personnage, s’allier à des degrés divers à sa quête ou ils tenteront d’empêcher celle-ci. Ils pourraient avoir aussi une influence très néfaste sur le personnage. En un mot, il ressort de la biographie une multiplicité et il faut de la réflexion pour l’achever.
Observer
Lorsqu’on regarde un film ou une série, on apprend beaucoup de ce qu’ont fait les autres auteurs et autrices. On apprécie autant qu’on peut détester. On juge, certes. Ensuite, on écrit non en plagiant mais en s’inspirant.
Ce n’est pas le plaisir ou le déplaisir que le contenu nous donne sur le moment mais la manière dont ce contenu nous a été donné. C’est cela qui inspire, l’impression que nous en avons tirée et que nous tentons de reproduire avec nos mots. Si nous y parvenons, c’est déjà une victoire. Gardons seulement à l’esprit qu’il y aura probablement un travail de réécriture. Toute première idée jetée sur le papier est une ébauche d’une perfection à venir.
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