Mais qu’est-ce vraiment qu’un récit ? On dit aussi histoire ; parfois ce mot se confond avec l’Histoire au grand H bien que l’historien lui-même ait recours au récit pour rendre compte des événements. Donc un récit serait un rapport fictionnel ou non sur des événements apparemment liés entre eux.
Ces événements se présentent en séquences et sont dits en vocabulaire et syntaxe (choix des mots et ordonnancement de la phrase) chez les uns ou bien en images animées chez les autres. Chez Aristote, Mythos s’organise aussi en une séquence mais il y distingue un début, un milieu et un dénouement. L’organisation du récit est alors structurelle et les événements s’enchaînent de manière nécessaire ou probable ; ce qui compte néanmoins est que ce récit soulève des émotions & des passions dans l’esprit de la lectrice et du lecteur.
Ce sont des impressions qui se déplacent dans le même mouvement que le récit lui-même.
Chez les formalistes russes, l’histoire est fabula. Ce mot désigne ce qu’il se passe présenté dans un ordre chronologique. Les événements sont distribués le long d’une ligne dont l’horizontalité suggère l’évidente évolution, un mouvement inexorable vers l’avant.
Quant à l’intrigue (le mot qu’utilisent les formalistes russes est syuzhet (je le prononce comme sujette)), elle décrit les événements selon un ordre choisi par l’autrice et l’auteur qui existent forcément même s’ils se font oublier derrière l’histoire contée. Ainsi, alors que les événements de la fabula sont < a1..a2..a3..a4.. > ceux de la syuzhet pourrait être < a2..a3..a1..a4 >.
Robert McKee constate aussi que le récit se décompose en actes mais il dit une série d’actes sans en préciser un nombre déterminé. Cela ouvre la voie à de nombreuses analyses ; il est vrai que celles-ci n’ont pas manquées. On peut penser que détailler ainsi un récit ruine la créativité de l’auteur et de l’autrice. Cela serait néanmoins étonnant si c’était une vérité.
Cette série d’actes mène à un climax, plus connu comme l’ultime confrontation entre un personnage principal et son antagonisme. Ce que le climax met en évidence, c’est que ce personnage principal est devenu autre, c’est-à-dire la négation de ce qu’il était et ce changement est irréversible.
Syd Field considère les trois actes : dans le premier acte, le personnage principal qui tient la fonction de protagoniste connaît (ou expérimente) un tournant de l’intrigue (plot point) qui lui permet de se donner un objectif à atteindre. Au cours du second acte, il essaie tant bien que mal d’accomplir ce but qu’il s’est fixé.
Quant au troisième acte, il dépeint l’ultime moment de cette lutte et les conséquences d’un triomphe ou d’un échec. En somme, Syd Field ne voit qu’une ligne dramatique impersonnelle qui décrit comme vu de loin des faits sans tenir vraiment compte de ce qu’il se passe dans l’intimité des personnages traduite, du moins dans un scénario, par des comportements, attitudes et postures diverses. Néanmoins, même ce que disent les personnages contient une vérité cachée qu’il faut savoir déchiffrer (un peu comme dans la vraie vie d’ailleurs). Le vocabulaire sera gestuel & pictural : il ne décrit pas des concepts comme de dire que l’intrépidité serait une vertu ou un vice selon les situations dans lesquelles elle peut advenir, ce qui est un jugement moral, une expression morale de l’intrépidité ; plutôt il est bon de montrer un acte héroïque même des plus fous afin d’inscrire ce discours sur l’intrépidité dans une activité, qui semble de prime abord plus intelligible, d’une charge sémantique bien plus forte.
D’autres définitions
Pour Roland Barthes, un récit est d’abord un échange porté par de multiples voix mais de longueur d’onde différente. La différence joue un rôle essentiel dans l’élaboration du récit. Les faits sont mis en retrait ; ils sont comme anecdotiques et ce sont les actions qui s’accomplissent ou s’accompliront et les réactions qui s’ensuivent ou s’ensuivront qui sont au cœur de l’histoire contée.
L’humain est au cœur du récit.
Gérard Genette a introduit les notions de diégèse et de mimesis dans le récit. Diegesis consiste à raconter les choses alors que mimesis montre les choses. Mimesis essaie de représenter la réalité mais elle n’y parvient pas vraiment car l’autrice et l’auteur du récit coule dans l’empreinte obtenue par un aspect que la réalité offre aux regards une matière dramatique qui déforme & transforme cet aspect des choses.
Quant à la diégèse, Genette y distingue plusieurs niveaux selon l’implication du narrateur dans le récit : il participe ou non à l’histoire ; il est alors extradiégétique lorsqu’il raconte sans prendre part à l’action ou intradiégétique lorsqu’il appartient aussi à l’histoire qu’il raconte.
Selon Torben Grodal, philosophe & filmologue, un récit est effectivement une séquence d’événements mais vécus par un être vivant, c’est-à-dire que l’événement nous est relaté du point de vue de ce personnage qui est plongé dans l’événement. Par ce personnage, le lecteur/spectateur reçoit des suggestions sensoriels. Nous n’observons plus l’événement comme vu d’en haut ; nous en faisons l’expérience de l’intérieur et cette intériorité est celle du personnage.
C’est ainsi que parallèlement à la ligne dramatique objective qui se contente de décrire les faits tels qu’ils se produisent se joue une ligne dramatique pour le personnage principal qui dépeint les différents états psychologiques par lesquels passe ce personnage au long cours de son aventure.
Tzvetan Todorov précise d’ailleurs que le récit se compose d’actions entreprises par des personnages, donc il maintient que le récit possède une matérialité, celle de corps qui se meuvent certes dans un environnement fictif mais que cet entourage est perçu et dit (avec toute sa subjectivité) par un narrateur.
Comme le souligne Torben Grodal, le monde est alors mentalement représenté. Claude Brémond considère que l’unité narrative de base est une fonction, tout comme Vladimir Propp. Chez Brémond, ces fonctions sont nommés atomes et chez Propp, narratemes. Elles sont vues comme des fonctions parce qu’on attend d’elles un résultat et en tant que tel s’expriment par un verbe d’action. Chez Propp par exemple, il y a deux fonctions (parmi d’autres) dont l’une consiste à donner un ordre ou une interdiction qui seront ensuite transgressés (c’est la seconde fonction que l’on ne peut dissocier de la première).
Brémond précise que la destination d’un récit est soit un changement, soit les choses restent telles qu’elles étaient autrefois (status quo ante). Le changement est vu comme un triomphe et l’échec est le lot de maintenir les choses en l’état ce qui est inévitablement un échec car contraire au nécessaire mouvement évolutif qui caractérise en somme la vie.
Le monde du récit
Le monde est la dimension spatiale et temporelle du récit. Ce monde est peuplée de personnages individualisés qui se meuvent parmi des objets. Ce monde subit des changements d’état qui ne sont pas entièrement prévisibles et qui sont causés par des événements physiques non habituels : soit des événements contingents (qui pourraient ne pas avoir lieu), soit des actions délibérées d’agents intelligents, doués d’une conscience.
Que l’on soit d’accord ou non, les événements semblent reliés entre eux par une relation causale. Mais le physique n’est pas la seule raison d’être des événements qui s’inscrivent dans le monde. Cette activité s’accompagne aussi d’états et d’événements mentaux qui s’apparentent à des concepts : se fixer un but, élaborer des stratégies, vivre & ressentir des émotions et des passions.
Ce réseau de connexions confère aux événements une cohérence, une motivation, une conclusion et une intelligibilité et les transforme en une intrigue (dimension logique, mentale et formelle) selon la critique littéraire Marie-Laure Ryan. Claude Brémond n’y voit pas autre chose quand il affirme que la combinaison des atomes narratifs est un composé d’objectifs, d’activités & de conséquences. E.M. Forster est rejoint par Marie-Laure Ryan lorsqu’il remarque que les événements causent des émotions qui, à leur tour, causent des événements.
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