La seconde fonction narrative repérée par Vladimir Propp lors de son analyse des contes soviétiques est un avertissement bien plus qu’une interdiction comme il est souvent mentionné. C’est habituellement un autre personnage qui se charge d’avertir l’héroïne ou le héros des dangers qui les attendent s’ils s’engagent dans cette aventure.
Le dialogue peut être favorablement remplacé par des attitudes, comportements & postures donnant un sens de désapprobation et de tension dramatique. Le héros ou l’héroïne veulent entreprendre la quête qui comblera l’absence – tuer le dragon, libérer la princesse, renverser le royaume des ténèbres – mais il est mis en garde contre cela.
Par l’interdiction qui leur est formulée, l’héroïne et le héros sont mis au défi d’entreprendre une telle action. Un sorcier, un vieil homme ou un ami informera le héros ou l’héroïne sur les dangers que cette quête leur fera courir : blessures physiques, tourments, mort très probable.
Ils décrivent les dangers, les ennemis, le prix à payer. Qu’il s’agisse de se rendre en un endroit inconnu ou d’entreprendre une action, on dit au héros et à l’héroïne de n’en rien faire. Barbe-bleue remet à sa nouvelle femme toutes les clefs du château mais lui interdit formellement de pénétrer en un cabinet particulier ; dans Star Wars, l’oncle de Luke lui conseille fermement de ne pas se mêler des affaires des Jedi.
Prudence
A ce moment du récit (ou du conte), le personnage principal est encore une héroïne ou un héros en devenir. On le met en garde contre le fruit défendu : le sujet épineux des règles et de notre désir trop humain de les enfreindre.
S’affranchir des règles est une affirmation de la liberté par rapport aux conventions, des possibilités par rapport aux contraintes, et de l’individu par rapport à la société. Un panneau Interdiction d’entrer invite à faire précisément le contraire. Le fruit défendu est une personne, un lieu ou une chose absolument irrésistible pour un ou plusieurs personnages, dont l’attrait réside uniquement dans le fait que ce fruit a été prohibé, interdit et déclaré incontestablement hors limites.
Le désir se fonde sur le concept de posséder ce dont on se pense exclu. Interdire à deux amants de s’aimer renforcera leur amour.
Il y a une idée de boite de Pandore dans l’avertissement : la curiosité, qualité bien humaine, offre une destinée bien peu enviable. Mieux vaut de préserver l’acquis (le monde ordinaire) plutôt que d’affronter les conséquences d’une folle décision.
La prudence serait de ne pas se remettre en question, de ne pas transgresser ce qui est établi, de ne pas céder à la tentation. Connaître de nouvelles expériences est pourtant le moyen de s’ouvrir au monde : c’est dans l’action que l’on se rencontre soi-même. Penser autrement, c’est penser par soi-même. Mais, nous dit-on, on ne brise pas impunément les conventions.
La figure du père apparaît souvent dans les contes. C’est de lui que vient l’interdiction. Cet héritage culturel prend sa source dans la Genèse lorsque Eve ne peut résister à mordre dans la pomme malgré l’interdiction qui lui fut faite.
D’ailleurs, elle aurait été informée des dangers qu’elle encourrait, qu’elle n’en aurait pas moins goûté au fruit défendu. C’est une autre qualité bien humaine et naturelle que le désir de connaissance. On cherche naturellement à combler ce qui manque.
Le devenir de l’esprit n’est pas une bravade. L’interdiction prononcée est une prise de conscience d’un nécessaire changement. L’hésitation vient du fait que cette prise de conscience est confuse. Aller à la rencontre de soi-même alors que nous ne savons pas qui nous sommes véritablement représente bien plus qu’un défi : c’est un risque d’annihilation. On peut se perdre dans ce processus de devenir autre.
Cette fonction de prohiber une action a aussi un effet dramatique sur le lecteur/spectateur qui est alors dans l’attente de dangers à venir. On le retient ainsi dans le récit.
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