On écrit en scènes. On lit en scènes. Et on pénètre l’esprit de personnages en scènes. Lectrices et lecteurs adorent connaître l’intimité de ces personnages qui les fascinent.
Or, en fiction, pour savoir ce qu’il se passe à l’intérieur, un conflit extérieur est nécessaire. Car c’est dans l’œuvre qu’on apprécie un personnage. Si ce personnage ne fait que délibérer avec lui-même au lieu d’être dans l’action & la réaction, lectrice & lecteur s’ennuient. Autant dans notre réalité sociale, la délibération peut être un moyen de progrès, autant en fiction la recherche de compromis est stérile.
Donner un tour émouvant aux faits est le véritable dialogue de la fiction. Le ressort dramatique (ce qu’il se passe maintenant ou ce qu’il s’est passé antérieurement à ce qu’il se passe maintenant) consiste à émouvoir d’une manière ou d’une autre le lecteur/spectateur qui observe cet événement.
Car si l’observation consiste seulement à voir d’en-haut, à survoler l’événement, la fiction échoue à le rendre vivant, c’est-à-dire que si la fiction ne parvient pas à déplacer le point de vue du lecteur/spectateur sur celui du personnage, elle ne permettra pas au lecteur/spectateur de vivre, de faire l’expérience de ce qu’éprouve ce personnage à ce moment du récit.
La scène montre une expérience
Qu’une scène soit destinée à faire rire ou à faire pleurer, qu’importe. Ce qui compte est qu’elle possède cette puissance émotionnelle. Une intrigue se construit sur des scènes. Une scène est le garant qu’il se passe quelque chose à n’importe quel moment du récit, que ce moment appartienne à l’intrigue ou à l’exposition ou au dénouement.
Et ce qu’il se passe doit être entendu comme l’effet sur le lecteur/spectateur.
Souvent, on parle de l’unité d’une scène. Qu’est-ce que cela signifie ? On peut l’interpréter chacun à sa manière. Une action continue semble être la définition qui lui sied le mieux. Cette continuité imprègne la scène tout comme elle imprègne la séquence à laquelle une scène participe éventuellement.
L’action est de toutes les formes, de toutes grandeurs et intensités, du premier baiser d’un adolescent timide à l’éloge funèbre d’une veuve pour les funérailles de son défunt mari. Le concept de cette action continue est qu’elle fait avancer l’intrigue et qu’elle charge l’action d’une émotion qui se projette sur le lecteur/spectateur et le fait réagir.
Certes, il n’y a pas de rétroaction, le seul effet voulu est la réaction émotionnelle provoquée par ce qu’il se passe dans le récit mais c’est précisément cette émotion provoquée qui nous donne l’impression de connaître ce que pense et ce qui anime un personnage. Lorsque deux amants s’aiment d’un amour interdit (comme Roméo et Juliette), peut-être éprouvons-nous aussi ce qui les transporte par le souvenir de notre premier émoi amoureux dont les circonstances sont différentes mais c’est précisément la prise de conscience de cette différence qui fait jaillir ce sentiment partagé entre nous et des personnages de fiction.
Lorsqu’une héroïne épuisée par un mari abusif décide de l’empoisonner, nous participons malgré nous à cette décision car il y a à la fois un problème moral et un espoir que le mari ne découvre pas la vérité. L’espoir n’est pas une chose périssable. L’autrice et l’auteur peuvent le convoquer à tout moment et affermir ainsi un lien entre le personnage et le lecteur/spectateur.
La mémoire est le lieu privilégié d’une rencontre entre un personnage et une lectrice ou un lecteur. Une remarque désobligeante faite directement à un personnage, ou si celui-ci la surprend à l’insu de ceux qui parlent de lui, fait resurgir aussitôt un souvenir semblable (encore une fois, même si les circonstances ne peuvent évidemment être les mêmes).
L’auteur et l’autrice ne peuvent se négliger eux-mêmes dans les scènes qu’ils écrivent. La fiction n’est pas faite pour nous permettre de critiquer et de contrôler nos passions. Nous les subissons immédiatement et c’est agréable.
Une attitude et des paroles choquantes peuvent provoquer un malaise chez le lecteur/spectateur. Mais ce ne sera pas l’effet recherché. Ce qui est voulu par l’autrice et l’auteur, c’est que la lectrice et le lecteur comprennent pourquoi une telle attitude et de telles paroles ont été possibles. Le lecteur/spectateur est invité à se détacher de ses habitudes de pensée, à détourner son attention du phénomène matériel (l’action en cours ou le comportement) afin que ce qu’il se passe devant lui ait une résonance en lui.
On peut être amené à se demander en tant que lectrice & lecteur, si nous aurions le courage d’une décision comme celle de Katniss dans Hunger Games qui se sacrifie (la marque des héros) pour sauver sa petite sœur. L’autrice et l’auteur ne font que donner une forme particulière à un concept afin qu’il possède un relief concret que les sens peuvent saisir. Comment parler autrement du courage, par exemple, ou d’une croyance sinon en en donnant une démonstration.
Vous pouvez créer chaque scène de votre récit pour qu’elle parle aux lecteurs et aux lectrices et qu’elle les émeuve comme seuls la fiction et les souvenirs peuvent le faire.
Et si vous voulez nous soutenir (car nous avons besoin de vous pour continuer nos recherches), faites un don. Merci