Le personnage commande l’intrigue. Ce que montre le récit, ce sont des réactions à des événements. Quel que soit l’événement qui surgit de l’intrigue, selon la personnalité d’un personnage donné, c’est sa réaction à cet événement qui décide de ce qu’il se passe ensuite.
Ce sont des réponses personnelles qui entraînent de nouvelles actions. Si vous avez deux personnages qui s’opposent, ce n’est pas parce que l’intrigue veut que cette lutte se construise pour faire avancer les choses. C’est parce que les caractères singuliers de ces personnages les mènent nécessairement à une situation conflictuelle.
La situation conflictuelle n’est pas logique. Au contraire, elle est passionnée et par là même, naturelle. Ce qui est naturel aussi pour l’autrice et l’auteur, c’est de préserver les personnages qu’ils ont élaborés avec tant de passion.
Les mettre en difficultés est une attitude inhibée. Pourtant, le récit parfois prend plus de sens, plus de profondeur lorsqu’un personnage doit quitter d’une manière ou d’une autre le récit. Ce n’est pas que l’intrigue l’exige.
Le lecteur/spectateur participe de la souffrance
Un personnage heureux, à qui il n’arrive que des bonnes choses, ennuie. La souffrance est universelle et se reconnaît. Dans une fiction, elle s’exerce par personnage interposé, mais même ainsi, protégé que l’on est par la distance qui sépare notre réalité et la fiction, un personnage qui souffre nous émeut.
Un personnage qui perd sa femme et ses enfants dans un accident se culpabilisera peut-être. Et nous comprendrons. Malgré nous, nous éprouvons de la compassion et la présentation qui nous est faite de ce personnage force notre empathie. Il faut le dire : nous subissons.
Apprendre des personnages que l’on élabore, c’est s’investir en eux. Cet investissement se projette sur le lecteur et la lectrice quel que soit le personnage. Aucun de ces personnages ne peut être négligé sans que le récit ne perde en valeur.
Même le méchant de l’histoire doit avoir des moments au cours desquels nous sympathisons avec lui. Ses gestes sont motivés et justifiés. Si nous jugeons qu’il agit mal (comme les autres personnages le jugent), c’est un problème d’éthique. Mais un personnage ne peut être intrinsèquement mauvais. Il y a toujours une explication et le récit veut argumenter en faveur de chacun des personnages quels que soient leurs actes.
Un personnage est certes caractérisé par sa fonction dans l’histoire tel l’antagoniste ou bien parce qu’il est inspiré d’un archétype tel le mentor ; quel que soit ce qui justifie son existence, il doit posséder une épaisseur psychologique que l’on explore.
Un personnage possède un vécu et ce vécu le fait agir. Alors parfois il peut être intéressant par exemple de rajouter une espèce d’épithète à un personnage comme pour un antagoniste, pour ne pas qu’il soit seulement le mal, lui faire aimer les chats. Ce n’est pas un caprice de vouloir donner à un personnage un contour psychologique singulier quels que soient ses choix et ses actions dans le récit.
Peut-être parfois faut-il pardonner ou pas, mais on ne peut juger sans connaître celui ou celle que l’on juge.
S’inspirer
Des personnages innombrables ont déjà été inventés ; des personnalités historiques ont fait l’histoire que les historiens nous rapportent ; nous connaissons des personnes qui nous marquent. Il n’est pas bon de tenter de les recréer froidement, objectivement.
En revanche, insuffler dans nos personnages des traits de personnalités tels que nous les percevons ou nous en souvenons, ce n’est pas recopier, mais créer quelque chose de nouveau. Cet assemblage nous est personnel. Notre subjectivité, les expériences que nous avons faites dans notre vie constitue la colle qui nous permet de faire tenir ensemble une personnalité unique bien que composée de choses qui existent par ailleurs.
Des relations s’établiront entre ces diverses personnalités. Elles ne seront pas dictées par l’intrigue mais parce que les personnages sont comme ils sont. S’interroger alors sur le pourquoi et le comment des actes d’un personnage est un bon exercice préparatoire.
Une intrigue se réduit au désir d’un personnage : pourquoi & comment a t-il conçu ce désir ? Des forces contraires s’élèveront contre ce désir : sur quel fondement existent elles ? Alors qu’un monde peut être posé par principe (par exemple l’arrière-plan est un monde régi par une dictature) et ne s’explique pas, les comportements et attitudes des personnages trouveront une explication car le lecteur/spectateur ne se contentera pas d’une description les concernant.
Créer un personnage est un risque pour l’autrice et l’auteur car cela implique d’aller à la rencontre de soi-même. C’est explorer ses propres profondeurs et tenter de remonter à la surface des choses refoulées. C’est aussi étudier ses propres relations à autrui ou prendre conscience de l’émotion que suscite en nous un étranger croisé au hasard d’un coin de rue.
Comprendre les affects que nous subissons passivement et qui surgissent à la moindre occasion nous permet, depuis cette distance que nous prenons avec nous-mêmes, de percevoir nos personnages avec une acuité nouvelle.
Merci à ceux qui nous soutiennent. Soyez assurés que nous apprécions ce geste d’une importance essentielle pour nous. Merci