Pourquoi un personnage est-il comme il est ? D’où proviennent ses croyances ? Et pourquoi a t-il conçu un tel désir qu’il poursuit avec cet acharnement apparemment incompréhensible ?
Cela semble une tâche impossible si l’on se contente d’observer seulement son personnage. En revanche, si l’on tire ses traits de caractère depuis le monde réel, on comprend mieux qu’un personnage de fiction est comme un être réel qui se fixe des buts et des moyens de les obtenir.
Dit autrement, ce n’est pas l’intrigue qui décide de tel ou tel personnage. Le personnage existe indépendamment de l’intrigue.
Pourquoi ?
C’est dans le passé du personnage que se trouve la réponse. Ses croyances actuelles se sont forgées dans son passé. Le passé d’un personnage donne de la signification et de la profondeur à un récit. Pourtant on n’invente pas un passé quelconque. Il faut justifier ce passé. C’est-à-dire que le passé d’un personnage explique ce qu’il est maintenant.
Nul besoin d’entrer dans la complexité de la fabrique d’un être. Ce qu’il faut expliquer, c’est comment des événements précis du passé d’un personnage l’ont façonné à être ce qu’il est dans le présent du récit.
Pour y parvenir, il faut penser au devenir de ce personnage. Ce qu’il lui advient dans le futur est la clef qui permet de remonter à rebours jusqu’aux événements du passé qui permettent de comprendre cette destinée singulière du personnage.
Seuls quelques faits permettent de saisir ce qui constitue un être dans le présent et ce sera ce présent qui déterminera une destinée. C’est un double mouvement : du passé vers le futur ou de ce qu’il advient du personnage jusqu’à son passé.
Le présent devient un lieu de passage entre le futur et le passé. L’intrigue se focalise sur le présent, c’est-à-dire sur un problème actuel dont les racines plongent dans le passé. Autant dire que le passé d’un personnage n’a que peu de rapport avec l’intrigue. Les comportements et attitudes d’un personnage sont cependant réglés par son vécu. Par exemple, le problème de l’intrigue consiste pour le personnage principal à trouver l’amour véritable. Or, dans son passé, il a connu une rupture désastreuse. Depuis ce moment, il se ferme à toute nouvelle rencontre.
Le problème de la décision
Nos vies sont réglées par les choix que nous faisons. C’est peut-être verser dans le conséquentialisme, il est vrai néanmoins que les conséquences morales ou religieuses de nos décisions passées construisent l’être que nous sommes maintenant.
Comme cet être actuel est ce qui détermine l’être futur, on peut considérer que le présent est une réaction vis-à-vis du passé. Notre éducation a une part importante dans la fabrication de notre être. Pourtant, nous demeurons libre d’accepter ou non ce que cette éducation a fait de nous. Le monde dans lequel nous avons grandi nous est imposé. Devons-nous continuer à l’accepter ? Un personnage de fiction sera souvent en rébellion contre le monde dont il est issu.
Le doute est une part importante de nos psychés et de celles de nos personnages de fiction. Mais d’où vient-il si ce n’est du passé ? En fiction, le thème de savoir ce qui est acquis ou ce qui est inné ne permet pas de construire des êtres de fiction qui paraissent véritables. Et puis ce qui caractérise un personnage n’a nul besoin de s’enfoncer dans les profondeurs du temps : ce peut être quelque chose d’assez récent qui ait modifié le point de vue d’un être donné sur le monde.
Écrire le passé
On peut se livrer à une biographie succincte de quelques paragraphes ou pages décrivant les événements marquants de la vie d’un personnage qui ont fait de lui ce qu’il est maintenant ou, et peut-être moins digressif pour l’autrice et l’auteur, inventer la scène ou la séquence exacte du moment où le point de vue sur le monde a changé.
Cet exercice a pour but de solidifier dans l’esprit de l’autrice et de l’auteur les racines des doutes, des incertitudes, des désirs inassouvis, des peurs qui paralysent..
Ce contenu peut ou non intervenir dans le récit ou l’intrigue. La finalité de ce geste est que lecteurs et lectrices comprennent pourquoi un personnage est comme il se présente à eux, pourquoi les choses dans le récit lui importent autant.
Le passé sert à décrire le conflit interne. Ce conflit intime est autonome et constitue un récit enchâssé dans le récit.
Brainstorming
- Quelle est l’incertitude qui caractérise votre personnage ? Ou bien quelle serait la faille dans sa personnalité qui serait la conséquence de cette discontinuité entre ce qu’est maintenant un personnage et ce qu’il aurait pu devenir s’il n’avait pas rencontré un événement qui a amorcé en lui un tel changement ?
Si vous décrivez un personnage abusif, offensant ou insultant et parfois même inutilement cruel, cela ne peut être posé comme principe. Il faut en expliquer les causes. - Alors quel serait l’événement exact qui a créé ce trait de caractère ? Décrire le milieu dans lequel un enfant a grandi est un contexte favorable pour qu’y soient plausibles quelques événements. Un sentiment de culpabilité à la suite de la mort d’un frère au sein d’une famille aimante peut justifier pourquoi un personnage a un comportement erratique le privant de relations sociales qui pourraient l’aider dans sa vie d’adulte.
- On peut travailler sur une psychose. Néanmoins, comprendre la névrose qui préoccupe votre personnage ouvre davantage d’horizons car le personnage a conscience de l’insatisfaction que lui procure ce mensonge qu’il se fait à lui-même.
Notre personnage abusif de tantôt a conscience de ce que son comportement a d’autoritaire, en somme, du mal qu’il fait à autrui malgré lui. - Puisque le changement est si important dans nos vies, il l’est aussi chez les êtres de fiction. Le personnage connaît sa faiblesse bien qu’il ne sache pas vraiment d’où elle provient. Alors il essaie de se comprendre. Cela aboutit à de nouvelles décisions le menant faussement vers ce qu’il croit être le bonheur. Jusqu’à ce qu’il prenne conscience que cette familiarité qu’il a avec lui-même est la nature même de son problème interne, de ce conflit personnel qui règle sa vie.
Dans une fiction, l’action se conjugue au présent. Elle montre ce qu’il se passe ici et maintenant. Parfois, parce qu’il faut expliquer les choses, l’action actuelle doit être interrompue. Nous avons alors une espèce de digression nécessaire qui nous plonge dans un autre présent : celui du passé.
Souvent, c’est l’enfance du héros ou de l’héroïne qui est convoquée. Par exemple, le héros pourrait avoir un comportement abusif parce que son père l’était envers lui-même et envers sa mère. Il recopie un comportement qui le blesse et il a conscience de cette blessure dont il ne connaît pas les causes refoulées.
L’arc dramatique de ce personnage consiste alors en une révélation progressive de ce père abusif et de la réminiscence de ce qu’il éprouvait, enfant, dans cette confrontation à son père.
La peur qui hante notre personnage pourrait tout aussi bien être un refus de ce qu’était son père et notre personnage s’est façonné en regard de cette frayeur qui, selon la pression des circonstances dans lesquelles il se retrouve jeté au gré des scènes et séquences, se manifeste violemment.
Quelques précisions
L’incertitude doit être présentée dès l’acte Un, dans les 12 ou 15 premières pages, et elle doit l’être clairement afin que le lecteur/spectateur puisse l’assimiler et la comparer avec ses propres doutes et incertitudes.
Car de cette reconnaissance dépend la participation du lecteur dans le récit. L’erreur de jugement que le personnage fait sur lui-même doit être rapidement visible car elle détermine l’existence du personnage au moment où nous faisons sa connaissance.
La réponse à la seconde question est un moment fondamental qui apparaît en analepse dans le cours du récit. Ce moment explique les causes qui ont constitué le personnage actuel. Il ne faut pas les dire, il faut les montrer.
Lorsque l’analepse se déploie, elle explique au lecteur/spectateur pourquoi votre personnage est ce qu’il est.
Comprendre l’insatisfaction qu’éprouve un personnage dans son quotidien est le cœur du problème. C’est un défi que le personnage doit surmonter s’il ne veut pas être écrasé par son passé. Les événements de l’intrigue mèneront le personnage à confronter ses peurs et ses doutes.
La quatrième question concerne le désir. Le personnage s’est fixé un but qui devrait l’aider, selon lui, à trouver un sens à son existence. Mais il se trompe jusqu’au point médian du récit où il éprouve une nuit obscure de l’âme qui lui fait prendre conscience du vide et du chaos tandis que le voile de l’illusion se déchire.
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