Les enjeux sont à la fois les mobiles, c’est-à-dire les conditions a priori qui les définissent et les motifs d’une action, d’une décision, c’est-à-dire dans quel but cette action ou cette décision ont-elles été prises.
On parle globalement de question de vie ou de mort autant physique que spirituelle. Pourquoi les enjeux sont-ils nécessaires ? Parce qu’ils rendent intelligibles l’intrigue. On comprend ce qu’il s’y passe quand on sait ce que risque les personnages.
Si les événements ou les actions des personnages ne portent à aucune conséquence, quel est l’intérêt pour nous de les observer et de participer à ce qu’ils vivent ?
Si nous comprenons ce qui les préoccupe et si nous pouvons induire de cette préoccupation singulière une portée plus générale que nous rapportons à notre cas singulier, alors même si ce qu’il se passe dans le récit, si ce qu’il arrive aux personnages, ne pourra jamais nous arriver, nous comprendrons néanmoins par quoi les personnages passent intérieurement.
C’est de l’empathie. En tant que lectrice & lecteur, nous nous identifions aux sentiments, aux émotions des personnages.
Intérieur & Extérieur
C’est un double enjeu. Comme tout être humain, un personnage a un désir. Ce désir se réalise dans un objectif. C’est quelque chose d’extérieur : l’action et les décisions du personnage sont orientées de façon à obtenir quelque chose du monde.
Le personnage peut réussir ou échouer. Cela a néanmoins une importance moindre que ce qu’il advient du personnage sur le plan intime s’il échoue ou triomphe sur le plan extérieur. Ce sont les conséquences internes qui nous passionnent.
Par exemple, un personnage cherche à se venger d’un autre. Disons qu’il réussit : ainsi, sur le plan extérieur, son désir est accompli. Mais s’il s’aperçoit qu’en fin de compte, cette vengeance consommée ne lui pas apporté la paix qu’il espérait, alors, sur le plan intime, ce sera un échec.
Et cela fonctionne aussi dans l’autre sens : il échoue à obtenir (ou à se débarrasser) de quelque chose, mais qu’importe, puisque intérieurement, il a grandi de cette épreuve. Alors qu’il avait son ennemi à sa portée et qu’il pouvait assouvir sa vengeance, il prend la décision de le laisser libre.
Ce revirement est la preuve que le personnage a changé. Et nous ne serons pas offusqué par cette décision, même si nous jugeons que le méchant méritait sa peine, nous comprendrons ce choix du personnage, même si nous ne l’acceptons pas, nous sommes capables de ressentir l’émotion qui le traverse à ce moment et comment celle-ci comble le besoin, c’est-à-dire non l’assouvissement d’une passion mais un nouveau point de vue sur le monde que le personnage nous communique.
Nous nous investissons émotionnellement dans le récit par l’enjeu intérieur qui consiste pour le personnage à changer car s’il ne change pas après avoir triomphé de son adversité ou bien s’il est vaincu par elle, ce sera une tragédie.
Cela se rapporte au développement des personnages car chaque personnage possède ses propres enjeux. Tout le débat porte sur les enjeux des personnages. Lorsque l’enjeu d’un personnage menace l’enjeu d’un autre personnage et que ces enjeux sont argumentés, les situations conflictuelles s’installent d’elles-mêmes.
Les relations comme situations de l’émotion
Considérons une héroïne qui ne veut pas reconnaître qu’elle est tombée amoureuse de ce garçon qui lui tape sur les nerfs. Elle subit un conflit intérieur. Son désir est de maintenir la vie qu’elle a toujours vécue, de se conformer à ses habitudes parce qu’elle s’y sent bien, mais intérieurement, son besoin est d’aimer et d’être aimée. Nous pourrions désapprouver autant le désir que le besoin, mais ce besoin, nous pouvons l’éprouver et le rapporter à notre personne.
C’est la relation entre les deux personnages qui nous dévoile le besoin. Les enjeux pour chacun d’entre eux sont portés par cette relation. Les relations entre les personnages sont des vecteurs d’émotion. Dans cet exemple de cette fille et de ce garçon, c’est leur relation qui nous permet de comprendre ce que représente pour chacun d’eux le besoin de ne pas perdre l’autre.
La relation devient une fenêtre sur la subjectivité des personnages que nous ne pourrions atteindre autrement. Le désir du personnage est comme une apparence, une illusion d’un rêve éveillé. Le personnage nous donne à voir de lui-même un aspect qui n’est pas véritablement lui-même.
Par ses actions et réactions au sein de la relation, non seulement il se dévoile à nous mais aussi parfois à lui-même.
Lorsque le personnage soliloque, il essaie de prendre conscience de sa propre réalité. Lorsqu’il s’oppose à autrui, c’est qu’il défend bec et ongles une apparence qu’il croit le rend heureux. L’opposition entre le désir et le besoin, c’est-à-dire la lutte personnelle du personnage contre lui-même, est ce qui passionne et émeut le lecteur/spectateur.
Il est probable que les enjeux du protagoniste ou personnage principal soient mieux développés que ceux de l’antagoniste. C’est normal. Ce qu’il faut éviter, c’est de négliger l’antagoniste. Il a une personnalité, des intérêts et des passions. Et il est intelligent.
Si dans leur enfance, le héros ou l’héroïne ont souffert d’une mère abusive, il est dommage de présenter cette dernière comme le diable en personne. A contrario, il faut aller à sa rencontre et tenter de la comprendre en apportant les arguments nécessaires à sa défense.
Un récit est un débat entre des enjeux qui s’opposent. C’est dans l’opposition davantage que dans l’analogie (qui est un prétexte pour endormir les consciences qui ne se méfient pas) qu’autrices et auteurs pourront communiquer leur message.
Il est bien en somme que nous comprenions autant pourquoi l’antagoniste fait ce qu’il fait que nous comprenons les actions & décisions du protagoniste.
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