L’empathie, ce qu’on éprouve envers les personnages, rend les récits plus forts, plus engageants, plus immersifs. C’est un fait que l’on est indifférent envers ceux pour lesquels nous n’éprouvons aucun sentiment (qu’il soit d’amour ou de haine, par exemple).
Alors si lectrices et lecteurs n’éprouvent pas une empathie quelconque, s’ils n’identifient pas quelques aspects d’une expérience vécue par un personnage de fiction, ils se moqueront de ce qu’il peut arriver à ces personnages et toute l’histoire en pâtira.
Mais une autre constatation est aussi possible : nous pouvons nous identifier à autrui. Après tout, nous sommes tous humains. Nous avons tous des difficultés, nous sommes tous incompris et nous ressentons tous les mêmes émotions humaines.
Et tout est dit : l’empathie est fondamentalement liée à des expériences universelles et communes parmi les hommes.
Un degré d’empathie
Bien que nous ayons un niveau d’empathie de base pour la plupart des autres humains, il y a un embarras : il existe des degrés d’empathie. Nous pouvons éprouver et éprouvons de l’empathie pour certaines personnes plus que pour d’autres, tout comme lors d’une rencontre fortuite, celle-ci peut être agréable ou désagréable mais le degré de plaisir ou de déplaisir est rarement le même.
Nous pouvons blesser autrui par exemple parce que nous connaissons déjà les effets d’une telle humiliation. Mais nous n’avons pas forcément assez d’empathie pour nous soucier de ce qu’a été l’histoire de la vie de cet autre.
Lorsqu’il s’agit de certaines personnes, nous pouvons plus ou moins dire que nous sommes indifférents. Et l’indifférence est le glas de la narration. Ne laissez pas votre personnage être victime d’un manque d’empathie ! En tant qu’autrices et auteurs, nous ne voulons pas seulement que le lecteur/spectateur soit légèrement intéressé : nous voulons qu’il se passionne pour ce que nous lui racontons.
Les êtres humains sont naturellement égocentriques. Le défi de l’autrice et de l’auteur n’est pas de faire en sorte que nous nous intéressions à un personnage, mais plutôt d’être capable de nous voir dans un personnage. L’objectif est de nous faire pénétrer psychologiquement dans l’esprit du personnage de telle sorte que nous quittions notre propre corps pour habiter le sien.
Une fois que nous, en tant que lectrice et lecteur, vivons par procuration à travers le personnage, le mécanisme de l’empathie nous oblige car nous nous soucions de ce que sera notre futur ; nous nous soucions de nos luttes ; nous nous soucions de nos épreuves et de nos tribulations.
Et si nous imaginons que nous sommes dans la peau d’un personnage de fiction, alors non seulement nous nous soucierons de son avenir, mais nous imaginerons aussi que son avenir est le nôtre.
Ce processus psychologique consistant à imaginer que nous sommes quelqu’un d’autre est le processus psychologique de l’empathie et il est essentiel à tout récit réussi. Si nous nous intéressons à l’histoire, ce n’est pas parce que nous nous intéressons à un personnage, mais parce que nous nous préoccupons de nous-mêmes.
Le corollaire de ce fait est que si nous ne pouvons pas nous imaginer comme le personnage dans une certaine mesure, nous ne nous intéresserons pas à l’histoire qui nous est contée. votre personnage principal est un avatar dont le but est de servir de substitut au lecteur et à la lectrice. Votre personnage est le vaisseau que cette lectrice et ce lecteur utiliseront pour s’insérer psychologiquement dans l’univers du récit.
William C. Martell affirme qu’un récit contient en lui assez de situations que nous aimerions explorer dans nos propres vies, même si ces situations sont désagréables. C’est par le personnage que cette relation est rendue possible. Et cela fonctionne aussi avec le genre merveilleux dans lequel notre réalité n’est pas reconnaissable. Néanmoins, ce par quoi passe les personnages, nous le reconnaissons.
Une fois que nous commençons à voir la nature du problème majeur du héros ou de l’héroïne, nous nous projetons psychologiquement dans cette héroïne et ce héros et nous nous laissons entraîner, ajoute Eric Edson.
L’empathie
John Yorke propose quant à lui que lorsque l’empathie se manifeste, nous ne faisons vraiment qu’un, physiologiquement, avec notre propre corps, avec le protagoniste. Lorsque son cœur s’accélère, le nôtre bat aussi plus vite. Regarder quelqu’un se faire frapper active exactement les mêmes zones du cerveau que le fait d’être frappé : les réactions physiologiques, mais heureusement pas la douleur, sont identiques.
Les histoires nous placent donc littéralement tous sur la même longueur d’onde. Ce sont les sentiments de pitié et de peur dont parle Aristote dans La Poétique. Nous vivons ce que vivent nos personnages.
En tant qu’observateurs engagés, nous vivons dans notre propre imagination ce que vit l’objet de notre regard, et commençons ainsi à comprendre. Cela explique non seulement pourquoi montrer est bien plus puissant que raconter, mais aussi pourquoi l’empathie offre une telle liaison synaptique.
Par le personnage et singulièrement par le personnage principal, nous créons un lien avec le récit. Par ce lien, les événements de l’histoire nous affectent. Et une fois que nous réalisons à quel point l’histoire nous affecte directement, se préoccuper de ce qu’il se passe ensuite dans l’histoire n’est plus qu’un exercice d’intérêt personnel ; nous sommes personnellement concernés.
Le but des autrices et des auteurs est donc d’établir ce lien avec le récit par l’empathie, puis de le renforcer et de le renouveler en permanence. L’empathie consiste à faire l’expérience de la condition humaine. C’est s’identifier à la douleur, s’identifier aux circonstances, et aspirer à la domination et certainement au désir d’immortalité. L’empathie, c’est être capable de se mettre à la place d’un autre, mais l’empathie n’est pas la sympathie.
La sympathie est un a priori de l’empathie. L’implication émotionnelle du lecteur/spectateur est maintenue par l’alchimie de l’empathie. Si l’auteur ou l’autrice ne parviennent pas à créer un lien entre le lecteur/spectateur et le protagoniste, nous ne ressentons rien, précise Robert McKee.
Cette implication n’a rien à voir avec le fait d’évoquer l’altruisme ou la compassion. Nous éprouvons de l’empathie pour des raisons très personnelles, voire égocentriques.
Lorsque nous nous identifions à un protagoniste et à ses désirs, nous encourageons en fait nos propres désirs. Par l’empathie, c’est-à-dire le fait de se lier par procuration à un être humain fictif, nous testons et développons notre humanité. Les récits nous offre la possibilité de vivre des vies au-delà de la nôtre, de désirer et de lutter dans une myriade de mondes et d’époques, dans toutes les profondeurs de notre être, ajoute McKee.
L’empathie est donc absolue alors que la sympathie est relative à un certain nombre de circonstances ou de traits de caractère qui pourraient très bien ne pas se rencontrer chez autrui. Alors que nous pouvons ressentir de l’empathie envers un être dans une situation donnée, il n’est pas certain que nous apprécions tout autant cet individu.
La sympathie en tant que a priori est de définir si l’être qui nous fait éprouver une empathie que nous ne maîtrisons pas, comme un mouvement du corps inconscient qui pourtant nous fait aller d’un lieu à un autre, nous est agréable ou désagréable.
Nous avons tous rencontré des personnes sympathiques qui n’attirent pas notre compassion. Un protagoniste, par conséquent, peut être agréable ou non. Ignorant la différence entre sympathie et empathie, certains auteurs conçoivent spontanément des héros sympathiques, dit Robert McKee, craignant que si le rôle principal n’est pas sympathique, le lecteur/spectateur ne s’y attache pas.
Pourtant, d’innombrables désastres ont mis en scène des protagonistes charmants. La sympathie n’est pas une garantie d’implication de la lectrice ou du lecteur ; c’est simplement un aspect de la caractérisation.
Lectrices et lecteurs se reconnaissent dans un personnage profond, dans des qualités innées révélées par des décisions prises sous pression, c’est-à-dire des moments où le voile des illusions se déchire.
John Yorke pense que la clé de l’empathie réside dans sa capacité à accéder et à se lier à notre inconscient (si nous posons l’inconscient comme un principe sans remettre en cause son existence). Si l’empathie consiste à entrer dans l’esprit d’un personnage fictif, ajoute John Yorke, alors il est utile que cet esprit contienne des sentiments similaires aux nôtres.
Le moment où la lectrice et le lecteur sont pris dans la trame de l’histoire, comme une conspiration spécialement mise en place pour cela, est le plus magique de toute la dramaturgie ; c’est ce moment où le protagoniste s’est ancré à l’intérieur et a pris le contrôle de la lectrice et du lecteur.
Les causes de l’empathie
- Lorsque nous reconnaissons une partie de nous-mêmes dans une personne ou un personnage (que ce soit dans ses traits de caractère, ses aspirations et ses désirs, ses actions, ses décisions, son point de vue, ses luttes, ses faiblesses et ses défauts, ses forces, ses peurs, sa situation..), nous éprouvons une empathie.
- Lorsque nous reconnaissons en quelqu’un une partie de ce que nous souhaitons être ou de ce que nous aimerions (parfois) pouvoir être, nous pouvons éprouver une empathie lorsque cet individu se trouve dans une situation difficile.
- D’ailleurs, nous reconnaissons cette situation difficile ou un concours de circonstances qui pourraient nous avoir mené vers une destinée ou une prise de décision similaires. Nous voyons et nous comprenons.
- Cette capacité à reconnaître et à comprendre la lutte d’un autre est en fait une forme de reconnaissance de la lutte particulière ou de la possibilité de cette bataille en nous-mêmes, puis de la voir se produire chez un autre individu, même s’il s’agit d’un sujet fictif.
D’une certaine manière, ce n’est pas différent de reconnaître chez l’autre une attitude ou une volonté que nous avons en commun, mais l’empathie mérite une mention séparée en raison de la souffrance qu’elle invoque. - Dit autrement, nous sommes capables de nous mettre dans l’esprit de l’autre lorsque nous reconnaissons et nous nous identifions à une situation que la personne traverse (généralement un conflit), et dans la plupart des cas, nous comprenons et nous nous identifions à sa décision face à cette situation particulière.
Le premier cas d’empathie est celui où nous reconnaissons une partie de ce que nous sommes dans une autre personne. Souvent, nous reconnaissons une faute, une erreur ou une injustice. Nous voyons que cette personne traverse une épreuve et nous savons ce qu’elle ressent, alors nous avons de l’empathie pour elle.
Parfois, il s’agit d’un moment embarrassant ou d’une réaction trop familière à une situation. C’est généralement le sentiment accompagné par la pensée que nous sommes tous passés par là ou que nous détestons quand cela nous arrive. De ce point de vue, susciter l’empathie repose sur la capacité de l’auteur et de l’autrice à modéliser avec précision des comportements et des circonstances humaines réalistes.
Et ce réalisme peut être simple : il suffit d’être jeté dans une situation dont on n’a pas l’habitude. Quand on ignore de quoi est fait son environnement immédiat, les mêmes craintes se diffusent que le personnage soit fictif ou qu’il s’agisse d’une personne réelle. Nous pouvons tous connaître des moments d’embarras, surtout en société. Ces moments sont simples, universels et identifiables.
Notons aussi que l’empathie fonctionne rarement avec la joie. On comprend la souffrance et la lutte mais rarement le bonheur chez autrui surtout si, nous-mêmes, sommes quelque peu évincés des plaisirs qu’offre la vie si l’on y prête quelque attention.
Et c’est pourquoi inclure des moments qui déclenchent la pitié est si puissant. Certes, ne faites pas jouer à votre personnage le rôle de la victime. Si un personnage se promène avec une attitude de malheur à moi, nous pensons qu’il doit se reprendre et se ressaisir. Nous voulons avoir l’impression que le personnage est une victime, sans qu’il se complaise nécessairement dans sa situation.
Et souvent dans ce type de frustration, il y a un effet domino car pour créer l’empathie, il est nécessaire (presque un principe en fiction) de forcer le trait, d’exagérer les choses afin qu’elles se communiquent le plus clairement possible auprès du lecteur et de la lectrice.
Malchance et consorts
Lecteurs et lectrices écoutent leur pitié. C’est une technique bon marché et très efficace pour susciter rapidement l’empathie pour un personnage. En règle générale, maltraitez votre personnage mais ne le laissez pas s’apitoyer sur son sort.
Lectrices et lecteurs sont intelligents. Ils sauront quand le personnage est une victime et ils se sentiront naturellement désolés pour lui, ce qui entraînera de l’empathie. Selon Matt Bird, certaines personnes essaient d’être des héros, tandis que d’autres préfèrent être des crapules : néanmoins, c’est une opinion assez tranchée qui ne serait pas appréciée de Joseph Campbell pour qui chacun d’entre nous, même le plus improbable, peut connaître un moment héroïque si les circonstances s’y prêtent.
Mais continuons avec la pensée de Matt Bird : certains se sentent gagnants, d’autres se sentent perdants ; certains sont naturellement heureux, et d’autres sont perpétuellement moroses. Mais il y a une chose que chacun de nous ressent, une émotion humaine universelle : tout le monde se sent incompris.
Le lecteur/spectateur aime connaître les héros et les héroïnes de manière intime. Nous aimons les voir agir parce que nous avons pu créer un lien si puissant, si intime avec eux que nous ressentons une soudaine indignation lorsque d’autres, qui n’ont pas été touchés par cette intimité, font de fausses suppositions à leur sujet. Nous aimons voir la véritable motivation des héros établie dans une scène, puis voir les autres leur attribuer injustement de faux motifs dans la scène suivante. Cela nous lie véritablement à un personnage, estime Matt Bird.
Alors faites en sorte que votre personnage soit incompris des autres. Faites en sorte qu’il se sente abandonné, exclu, rejeté, solitaire, négligé, plein de regrets, blessé, hanté, refoulé, en danger, méprisé, pauvre ou tout simplement maltraité.
C’est un outil simple, mais puissant. Bien sûr, faites attention à ce que cela ne devienne pas une célébration de la pitié. Ne laissez pas votre personnage reclus sur lui-même trop longtemps : il doit être fondamentalement proactif.
Par ailleurs, il arrive que l’on s’identifie simplement à un trait de caractère ou un tempérament commun, mais il faut s’en méfier. La plupart des lectrices et des lecteurs ne s’identifieront pas uniquement à des traits de personnalités, des idiosyncrasies, des allures ou des maniérismes, car statistiquement, ils ne sont pas présents chez la plupart d’entre nous.
Et tout trait ou caractéristique si large qu’il est commun à la grande majorité des lecteurs perd de son impact et de son importance. C’est pourquoi montrer un personnage qui connaît le malheur est si efficace. Nous comprenons tous ce que c’est que d’être embarrassé, de se sentir perdu, et de se sentir incompris.
Un homme ou une femme ordinaires
L’empathie n’a pas besoin d’être liée à des émotions négatives comme la colère, la gêne ou la solitude. Parfois, nous voulons simplement voir un homme ou une femme ordinaires ! Le citoyen moyen !
Nous voulons voir quelqu’un qui est exactement comme nous. Qui est ce monsieur tout le monde ?
Nous avons l’impression qu’il est à notre niveau. Il est l’un d’entre nous. Ce n’est pas un super héros, ce n’est pas un guerrier surentraîné, ce n’est pas un maître d’un art oublié depuis longtemps. C’est juste un autre être humain, dans un monde ordinaire, au milieu des autres.
Cet autre, c’est presque nous-mêmes. Nous le voyons lutter pour s’élever au-dessus de ses doutes, de ses limitations et de ses obstacles. Néanmoins, assurez-vous qu’il soit unique et suffisamment complexe. Mickey Mouse et Charlot sont des êtres tout à fait ordinaires et pourtant, il y a en chacun d’eux quelque chose qui les rendent uniques.
Ce qui caractérise un être tout à fait commun en fiction, c’est sa réponse aux circonstances extraordinaires dans lesquelles autrice et auteur prennent plaisir à le jeter. L’espoir (même s’il est mal placé) et la ténacité sont souvent leurs armes principales. Nous pouvons souvent nous identifier au sentiment de n’être qu’un moi ordinaire face à des obstacles apparemment insurmontables, et cette juxtaposition de l’ordinaire et du défi est source de puissance.
Avec de la détermination et une volonté (parfois erronée) de ne pas abandonner, un citoyen lambda peut surmonter les obstacles pour réaliser son désir et élever son statut dans la société. Nous apprécions cette idée. Nous nous identifions à lui et le voulons pour nos propres vies. Il est tout à fait naturel que nous ayons de l’empathie pour lui.
Ce sujet sur l’empathie mérite encore un prochain article. A suivre donc. En attendant, nous apprécierions si vous pouviez nous aider par vos dons. En effet, Scenar Mag se veut et à bonnes raisons à vos côtés et cela représente néanmoins un coût. Aidez-nous à persévérer. Faites un don. Merci