L’incertitude est un élément moteur de l’engagement émotionnel dans une histoire. Et elle est au cœur du suspense. Mais l’incertitude seule ne suffit pas à créer du suspense. Le suspense est créé par l’anticipation d’une information imminente, incertaine mais dont la conséquence possible est déjà perçue.
L’anticipation découle de l’attente d’une information actuellement incertaine ou inconnue. L’anticipation comporte deux éléments principaux : une information incomplète et l’attente de cette information.
Il existe plusieurs méthodes pour faire savoir à la lectrice et au lecteur qu’ils disposent d’informations partielles, mais elles se résument toutes à poser une question dramatique implicite ou explicite. Par exemple : Qui est cette silhouette encapuchonnée ? Réussira t-elle ce saut qui paraît impossible ? Qu’y a-t-il dans sa poche ? Qu’y a-t-il sur ce papier ? Où la rencontre aura-t-elle lieu ? De quel côté se range ce personnage ? Quand trouvera-t-elle cette clé ?
Une question dramatique
Ainsi, nous posons une question dramatique. L’étape suivante pour créer de l’anticipation est de faire naître l’espoir que l’information cachée sera révélée. La meilleure méthode pour y parvenir est de laisser entendre que l’information a une importance dramatique en lui donnant un poids narratif. Qu’est-ce que cela signifie ? En bref, laissez entendre que l’information est importante en la mettant en évidence.
Il existe un certain nombre de techniques permettant d’insinuer qu’une information est importante, et bon nombre d’entre elles peuvent être trouvées sous l’expression de Foreshadowing qui consiste à donner une indication ou un indice sur ce qu’il se passera plus tard dans l’histoire.
Cette technique narrative aide à créer du suspense, un sentiment de malaise, de la curiosité lorsque les choses ne semblent pas être ce qu’elles paraissent. La notion d’indice est importante dans ce cas. Pour donner un poids narratif à un élément de l’histoire, accordez-lui plus d’attention dans le temps, l’espace, l’intensité ou le contexte. Plus l’élément de l’histoire semble important, plus le lecteur/spectateur s’attendra à ce que son existence ou son effet soit révélé.
Considérez l’ouverture des Enchaînés de Hitchcock. Alicia organise une fête et nous voyons la silhouette de dos d’un homme assis. Il ne dit rien, mais il reste constamment dans le cadre. Alicia lui parle mais il n’y a pas de réponse. Elle lui sert un verre, mais pas de réponse. Nous nous demandons qui est cet homme mystérieux et notre intérêt grandit à mesure qu’Alicia continue de lui parler mais ne reçoit aucune réponse.
Elle met tout le monde à la porte, sauf lui. Enfin, dans la scène suivante, la caméra révèle son visage. Toute la construction, la focalisation et la réaction des personnages nous font comprendre que son identité est importante.
Cela augmente le poids de la narration. Nous anticipons la révélation. Notez cependant que, si la révélation de l’identité de cet homme finit par avoir des conséquences, il n’est pas certain qu’elle en ait immédiatement, et elle ne remplit donc pas la condition préalable au suspense qui consiste à projeter le lecteur/spectateur dans un hypothétique futur à partir d’un indice troublant.
Souvent, l’importance est inhérente à l’action. Nous savons déjà qu’une corde qui s’effiloche avec notre protagoniste qui s’y accroche pour sauver sa vie est importante. La situation permet de s’attendre naturellement à ce que la réponse à la question dramatique La corde va-t-elle se rompre ? nous soit révélée.
Ces situations s’accompagnent de l’attente d’une réponse immédiate à la question. Ne pas répondre à ces questions est souvent une mauvaise pratique du point de vue narratif car le lecteur/spectateur veut tôt ou tard cette réponse. Pour créer une anticipation, il faut donc créer une attente d’éclaircissement de ces informations imprécises.
Notez toutefois que l’anticipation elle-même n’est pas synonyme de suspense. Nous pouvons anticiper la révélation d’une identité cachée, mais si nous ne croyons pas sincèrement que l’information est importante, nous ne ressentirons pas de suspense.
Importance de l’information
Le suspense passe par l’importance donnée à une information. En vérité, nous nous préoccupons, en tant que lecteur et lectrice, des informations données que si elles portent à conséquence. En d’autres termes, nous ne nous intéressons qu’aux informations qui auront un effet sur d’autres choses. C’est souvent la raison pour laquelle la culture et l’histoire du monde sur lesquelles vous avez tant travaillé passent inaperçues chez le lecteur/spectateur car il lui faut aller à l’essentiel.
Si vous deviez incorporer ces informations de manière à ce qu’elles aient un effet conséquent sur l’issue de l’histoire, alors elles retiendraient l’attention.
C’est particulièrement vrai pour le suspense. Nous pouvons nous attendre à ce que des informations soient révélées, mais si la lectrice ou le lecteur n’ont pas le sentiment profond que ces informations ont des implications claires et qu’elles auront des conséquences immédiates, il et elle ne ressentiront aucun suspense.
Les implications possibles de la révélation doivent être apparentes a priori (même si ces implications sont incorrectes). La notion d’enjeu devient crucial. L’enjeu est une question de conséquences : il s’agit des conséquences d’un résultat sur un personnage. Les enjeux sont ce qu’un personnage gagne ou perd lorsque le résultat d’une situation est révélé. Par exemple, disons que notre question dramatique est : La corde effilochée va-t-elle se rompre ?
Si l’issue de ce moment est une corde qui cède, le protagoniste plonge vers sa perte et perd sa sécurité physique. Si l’issue de ce moment est que la corde maintient son intégrité avec suffisamment de temps pour que le héros puisse se hisser en sécurité, alors le protagoniste gagne sa sécurité physique.
L’effilochage de la corde implique un résultat conséquent : la sécurité physique du protagoniste est en jeu. La réponse à une question dramatique doit avoir une incidence sur d’autres questions plus vastes.
Connaître les conséquences a une implication subtile. Une conséquence affecte un personnage dont nous nous préoccupons (que ce soit positivement ou négativement). En bref, cela signifie que nous devons nous soucier de ce qu’il arrive au personnage pour que l’issue de l’information dont on ne fait encore que douter ait de l’importance.
Assurez-vous d’avoir créé un lien (positif ou négatif) entre le lecteur et le personnage en utilisant des techniques d’empathie. Nous allons soit encourager activement la réussite du personnage, soit encourager activement son échec. Mais dans tous les cas, nous devons avoir une préférence pour que la révélation d’informations le concernant nous intéresse vraiment.
La question de l’urgence
Vous voulez augmenter le suspense ? Faites monter les enjeux. Faites en sorte que les conséquences comptent. Faites en sorte que nous nous préoccupions de ce qu’il arrive au personnage. Faites en sorte que la révélation de la question dramatique affecte immédiatement un personnage qui nous intéresse.
Dans le contexte du suspense, l’urgence se compose de deux parties. Premièrement, pourquoi est-il important que la réponse à la question dramatique soit donnée plus tôt que tard ? Deuxièmement, qu’est-ce qui force la révélation ? En général, la réponse à une question dramatique doit être donnée plus tôt que tard si elle affecte l’issue d’une question plus vaste. De cette façon, les personnages concernés devraient s’intéresser à la révélation de l’information plus tôt que tard, car ils veulent utiliser l’information pour répondre à une question plus large.
Après tout, si le moment de la révélation de l’information n’a pas d’importance pour les personnages, pourquoi en aurait-il pour la lectrice ou le lecteur ? Après avoir établi pourquoi la question doit être résolue le plus tôt possible après qu’elle ait été posée, nous en arrivons à la problématique de ce qui force ce résultat.
Pour créer un suspense accru, il doit y avoir quelque chose qui force le dévoilement de la réponse à la question dramatique. Dit autrement, il doit y avoir une échéance à la question, qu’elle soit implicite ou explicite.
Comment créer cette validité de la question dramatique ?
- La contrainte de temps
Il s’agit souvent d’une limite temporelle explicite et elle consiste généralement en un décompte (comme une bombe à retardement, un niveau d’oxygène qui diminue, un niveau de dioxyde de carbone qui augmente, l’imminence d’un conflit..).
Il s’agit de la mesure explicite d’une quantité ou d’une valeur qui se dirige vers un déclencheur du résultat (zéro étant souvent ce type de déclencheur). Cependant, une contrainte de temps peut également être implicite. Carson Reeves donne un excellent exemple dans Titanic où Jack et Rose ont une conversation à voix basse sur le pont de première classe où Jack n’est pas autorisé. Il y a une contrainte de temps implicite à leur conversation, de peur qu’ils ne soient surpris. - Le manque d’options
Cette échéance implicite est provoquée par l’absence d’alternatives plausibles au résultat. Dans ce cas, il ne reste plus qu’à révéler la réponse. Parfois, le héros peut être celui qui force l’issue parce que c’est dans son intérêt d’obtenir l’information qui sera utilisée dans une question plus large. D’autres fois, l’héroïne ou le héros veulent éviter la question (et généralement le conflit) à tout prix. - Convergence
Il s’agit d’une échéance implicite généralement provoquée par l’approche inévitable d’un conflit. C’est le rapprochement naturel et donc l’affrontement entre les forces protagonistes et antagonistes. Par exemple, un couteau pointe vers le personnage. L’exemple classique est celui du détective qui fouille dans un appartement tandis que le tueur monte les escaliers à l’insu du détective.
Cette approche peut également être considérée comme une contrainte de temps implicite.
En somme, vous souhaitez augmenter les enjeux ? Ajoutez de l’urgence à l’action.
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