Il y a conflit lorsque les philosophies et croyances des personnages se télescopent. Il est complexe de construire un personnage. En posant sur sa fiche ses désirs et ses croyances, l’approche commence à se simplifier.
Vous l’avez lu ou entendu de nombreuses fois : le conflit est le moteur du récit ce qui implique qu’il doit être continuel.
Qui est votre personnage ?
Commencez par comprendre qui est votre personnage et ce qui a fait qu’il est ce qu’il est au moment où débute le récit. Prévoyez aussi une faculté singulière, une aptitude qui le différencie : ce peut être physique, plus fort, plus rapide ou bien matériel comme de posséder l’art des nœuds marins ou encore ce peut être un pouvoir de conviction rare.
Utilisez cette particularité au plus tard au climax, lorsque l’héroïne ou le héros mettront à profit cette aptitude qui est la leur. Cela fonctionne comme le Chekhvov’s gun : vous exposez une fusil accroché à un mur que l’on devine à peine lors du premier acte et lorsque le personnage sera aux prises avec son ennemi, l’héroïne ou le héros s’empareront du fusil. Dit autrement, vous ne posez rien dans votre récit qui ne puisse s’expliciter d’une façon ou d’une autre.
Les vicissitudes de la vie de votre héros et de votre héroïne tout au long de l’intrigue ne se justifient pas par simple plaisir de les voir et faire souffrir. Ces épreuves leur sont nécessaires pour sortir autre de leur aventure. Ils seront différents comme métamorphosés par ce qu’ils ont vécu.
En effet, ils changent et ce peut être en bien ou en mal : le personnage peut découvrir que l’amour qu’il donnait à certains objets ne méritaient pas cet amour et s’orienter vers un amour véritable ou bien il peut se laisser consumer par la haine. C’est vous en tant qu’autrice et auteur qui décidez des actes de votre personnage et partant de sa destinée.
Comme dans la vie réelle, pour changer, un personnage a besoin de temps. Concrètement, il passera par quelques étapes qui seront autant de jalons, d’articulations qui marqueront sa progression au cours de l’intrigue. En quatre mouvements majeurs seulement peut se décrire le devenir d’un personnage : cela sera suffisant pour quantité d’intrigues.
Afin de rendre les difficultés auxquelles se confrontent le personnage, Robert McKee insiste sur les Progressive Complications, un concept qui se traduit sur le papier ainsi :
- Le conflit devient de plus en plus intense,
- La succession des événements signifie constamment un point de non retour pour le personnage.
S’adapter
Alors que la force antagoniste gagne de plus en plus en puissance, l’héroïne ou le héros doivent constamment trouver en eux de nouvelles ressources afin de résister en conséquence. C’est donc l’idée d’antagonisme qui meut le personnage principal à devenir autre.
Le conflit est à la fois ce qui donne de l’élan à l’intrigue mais aussi la cause du changement du personnage principal. Mais celui-ci résiste d’abord à ce changement parce que la nature humaine est ainsi faite : elle tend à conserver ses acquis et bute sur l’idée même de changement.
Au début du récit, le personnage principal n’est pas enclin à changer. Lorsque l’incident déclencheur se produit, il sait que quelque chose n’est plus dans sa vie et alors qu’il souhaite de toute son âme à rétablir l’équilibre perdu, il offrira néanmoins une réticence à s’engager dans l’aventure, seule voie possible qu’il ne peut pourtant pas éviter.
Prenons l’exemple d’un personnage dont l’acte Un nous a exposé qu’il est en quête de l’amour. Il n’a d’ailleurs aucune idée de ce qu’est l’amour et encore moins l’amour véritable, tout ce qu’il sait et nous aussi à ce moment du récit est que son plus grand besoin, c’est-à-dire un manque, est d’aimer et surtout d’être aimé.
Au cours de l’acte Deux, notre personnage rencontre une personne dont il tombe follement amoureux. Son besoin semble combler mais qu’en est-il de son désir ? Quel est son objectif ? Quel que soit cet objectif, l’acte Trois nous démontre que notre personnage a le cœur brisé, ce qui signifie que la relation a échoué.
Pourquoi la relation n’a t-elle pu être heureuse ? En découvrant l’amour, la vision du monde de notre personnage s’est complètement transformée. Le problème est qu’il n’a pas tenu compte du point de vue de l’être aimé.
S’il avait pu s’ouvrir à cet autre, dépasser les apparences de leur histoire d’amour, peut-être aurait-il compris que pour cet être aimé, cette relation ne pouvait qu’être provisoire, un amour de vacances en quelque sorte.
La séparation fait écho à l’effondrement du monde de notre personnage qui n’avait rien, a cru avoir tout puis s’est retrouvé encore plus dénudé qu’il ne l’était au début du récit.
Le conflit permanent ici est un conflit de passions qui œuvre à l’intérieur même du personnage : il est son propre ennemi comme cela est souvent le cas dans la vie réelle. Le désir de retrouver l’équilibre perdu est présent car la nouvelle situation dans laquelle le personnage se trouve dorénavant est plus douloureuse que sa situation antérieure.
Agir
L’héroïne ou le héros sont forcés d’agir. Plus l’intrigue avance, plus la tension de leur situation leur impose de prendre des décisions et l’urgence se fait sentir. Selon Robert McKee, cette prise de décision assumée est possible parce que le personnage gagne de plus en plus confiance en lui-même, sa capacité de réponse aux événements s’affine et sa volonté (qu’elle soit juste ou erronée) s’affirme.
Son agir provoque des réactions telles qu’il lui est impossible d’échapper aux conséquences de ses actions qui deviennent plus importantes en termes d’effet ou d’avancée.
Ce n’est pas la force antagoniste qui devient plus puissante, car elle existe déjà en tant qu’antagonisme qui d’ailleurs dépasse en tous points le héros ou l’héroïne ; ce qui compte est que le personnage principal agisse de manière telle qu’il lui est impossible de faire demi-tour : ses décisions l’entraînent inéluctablement vers une destinée qu’il écrit lui-même au fil de ses actions.
Par exemple, notre héros a une passion pour le jeu ; plutôt que de rembourser ses dettes (empruntées auprès du méchant de l’histoire), il parie cet argent et il perd. Avoir perdu l’argent est un point de non-retour nécessaire pour que l’intrigue puisse continuer à se déployer.
Ou encore avoir perdu le bonheur de se sentir aimé laisse une amertume encore inconnue qui demeurera car l’absence est souvent plus douloureuse que la présence même si cette présence ne remplissait pas totalement le besoin d’amour.
Un point de non-retour se caractérise comme un désir (différent du besoin) et un prix à payer. En fiction, plus que dans la vie réelle, les actions ont un coût.
En outre, la plupart des scènes posséderont une logique, c’est-à-dire que chaque scène pose les conditions de possibilité d’une scène future selon un principe de causalité en quelque sorte. Cela ajoute à la tension dramatique car ce type de scène (majeur dans les récits à cause qu’il y a plus d’action que d’exposition) crée une attente chez le lecteur/spectateur.
Le désir est externe
On désire quelque chose. On a une vision du monde qui fait qu’on en vient à désirer quelque chose qui est hors de nous. Par exemple, on veut aimer. On croit que cet autre peut nous apporter le bonheur.
Ce que veut un personnage est l’une des toutes premières interrogations de son élaboration. Cette volonté qu’elle soit juste ou fausse car elle dépend de la vision du monde du personnage forcément subjective, sera suffisamment sérieuse pour s’étendre tout au long du récit. Le moindre désir est une quête aussi passionnée que celle du Graal. Si le personnage cherche un sens à sa vie, alors il sera animé par ce désir quelles qu’en soient les conséquences sur sa destinée.
La volonté joue aussi au niveau de la scène. Deux personnages dans une scène veulent obtenir quelque chose de l’autre ou bien un personnage cherche à en convaincre un autre qui offre alors une résistance aux arguments avancés. Ainsi, la volonté est source de conflit.
Le conflit sera cependant valorisé parce que la volonté s’exprime en termes de coût. Prendre une décision n’est pas gratuit.
Posons que le désir de mon personnage est de trouver l’amour de sa vie. Les circonstances lui font croiser le regard d’un autre personnage et, dès ce moment, il croit que son désir s’est accompli. Mais cet autre personnage a un secret : il ne croit pas en l’amour.
Notre personnage est trop aveuglé par sa passion pour admettre cette vérité que l’autre tente désespérément de lui faire comprendre. Mais il l’entend malgré tout et son désir évolue en la volonté de transformer l’opinion défavorable de l’autre sur l’amour. La quête se précise mais elle se fait contre la volonté de l’autre : c’est une situation conflictuelle.
Décrire cette situation, c’est la penser en scènes. Quel sera le coût de ce désir pour notre personnage principal ? Que l’autre, poussé dans ses derniers retranchements, affirme qu’il ne peut promettre que son sentiment actuel résistera au lendemain. Pour l’un, il y a un toujours alors que l’autre ne peut promettre que du provisoire. Pour l’un, il y a un devenir mais l’autre est figé. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques essentiels d’un antagoniste : il ne change pas ; il est ce qu’il est et ne peut être autre.
Une approche linéaire ?
Ce qui peut être intéressant avec ce type de récit est que l’on peut jouer avec le temps : nul besoin de respecter l’ordre chronologique des événements car sinon montrer la rencontre, puis établir une relation amoureuse et insinuer progressivement la vérité dans la relation jusqu’à la destruction de celle-ci peut être ennuyeux à observer.
Réarranger les événements entre autrefois et maintenant peut aider à communiquer ce que ressent le personnage. Connaître une personne en découvrant les moments les plus frappants de son existence, même si ceux-ci semblent se manifester de manière chaotique dans le cours du récit, est un moyen assez efficace de pénétrer son intimité, son esprit, son identité.
Au cours du récit, par la révélation de nouveaux événements (présents ou passés), les scènes (les événements) antérieures s’expliqueront puisque chaque scène devient significative.
Pourquoi doit-il y avoir un coût lorsqu’on désire ardemment quelque chose ? Est-ce moral de souffrir quand on désire ? Dans la vie réelle, nos décisions et nos actions ne sont pas sans conséquence et nous devons les assumer. Ainsi en est-il dans la fiction et certainement davantage.
La passion du jeu est satisfaisante lorsqu’elle s’accomplit mais le risque est grand et lorsque l’argent que l’on doit est perdu, il faut assumer la souffrance et l’humiliation que le fesse-mathieu ne manquera pas de porter à notre encontre.
La souffrance est la voie du changement. Si le plaisir est souffrance alors nous pouvons prendre conscience de sa dangerosité. Dessiller les yeux sur soi-même est certainement une tâche difficile. Mais si nous ne confrontons jamais ce en quoi l’on croit, le fondement de nos valeurs, comment pourrions-nous prendre conscience que nous sommes dans l’erreur et l’illusion ?
Il en est de même pour nos personnages. Ils ne sont pas seulement ce qu’ils apparaissent aux autres y compris à la lectrice et au lecteur. Ils sont aussi à la recherche de leur identité.
C’est par la souffrance que l’on devient. Lorsqu’il souffre, le personnage est forcé d’agir. Il ne subit pas, il n’est pas dans la passivité surtout s’il s’agit du personnage principal, par définition proactif. Le personnage découvre ce qu’il veut vraiment, ce en quoi il croit vraiment parce qu’il souffre.
Les vicissitudes de la vie nous font grandir.
Au niveau de la scène
Une scène se justifie non parce qu’on injecte artificiellement du conflit en elle afin de la rendre intéressante mais parce que son essence même est le conflit.
Dans une scène, un personnage au moins a un but spécifique en rapport avec cette scène spécifique. Un personnage veut obtenir quelque chose d’un autre et il s’y emploie sans que l’issue ne soit prévisible ou bien donnée dans cette scène, nous ne saurons qu’après, le cas échéant, si cet objectif particulier fut ou non couronné de succès.
Une scène a donc un objectif différent de l’objectif du personnage principal au niveau du récit qui explique pourquoi un personnage agit comme il le fait dans cette histoire. Le but visé dans une scène participe à l’objectif global du protagoniste ou peut mettre en place les conditions nécessaires à l’accomplissement de cet objectif global.
Dans une scène, le personnage accro au jeu veut emprunter afin de parier. Il négocie avec un prêteur sur gage sur une certaine somme (objectif singulier à cette scène) qu’il estime nécessaire en cas de gain pour rembourser la dette plus urgente contractée précédemment et pour laquelle l’usurier se fait de plus en plus pressant jusqu’à menacer la vie de notre personnage (objectif global ou Story Goal qui consiste à survivre).
Une scène conflictuelle met en place immédiatement ce pour quoi les personnages y sont présents. Il faut comprendre que le mot conflit est à prendre dans le sens le plus large possible. Il y a des conflits dans lesquelles la violence physique ou verbale s’exprime et il existe aussi toutes sortes d’obstacles. Quelqu’un par exemple veut obtenir une information d’un autre et cet autre n’est pas aussitôt disposé à le lui fournir.
Dans une scène, on distingue donc un protagoniste qui peut ne pas être le personnage principal. Ce sera le personnage qui s’est fixé un but précis qu’il tente d’accomplir pour cette scène. La scène est donc structurée autour de l’objectif (qui est annoncé immédiatement pour donner sa légitimité à la scène) et se resserre progressivement sur une issue qui peut être positive ou négative voire incertaine si elle est déplacée sur une scène ultérieure.
Ce qui importe aussi pour que le lecteur et la lectrice ne se sentent pas perdus est que la scène se clôt sur une ligne de dialogue claire qui stipule la nature de l’issue.
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