Il y a différentes manières d’écrire une histoire. Considérons le Hero’s Journey : un jeune homme ou une jeune femme vivent une vie qui les ennuie. C’est un point de départ habituel du Hero’s Journey. Le personnage principal est jeune car souvent ce périple est essentiellement un parcours initiatique.
Une autre caractéristique est la nécessaire rencontre avec un mentor. Cette fonction est nécessaire car il faut un annonciateur légal pour légitimer la prise de risque que représente une aventure, ou plutôt cette quête, à venir pour le héros ou l’héroïne.
Ensuite, l’héroïne ou le héros sont face à une énorme adversité qu’il leur faut vaincre à la fois sur le plan extérieur, ce qui fait l’action, mais surtout ce qu’ils doivent remporter est cette lutte contre une adversité intrinsèque liée à la nature même du personnage.
Le personnage est un être faible, imparfait et avant de s’en retourner dans sa communauté afin de lui apporter la bonne nouvelle, il doit être suffisamment humble et accepter son imperfection.
D’autres façons d’écrire
Le Hero’s Journey n’est pas la seule structure existante. Ce n’est pas une question de style mais de trouver la structure la plus adéquate à l’histoire que l’on souhaite conter. Considérons par exemple Cendrillon.
Nous avons une héroïne qui est jetée dans un monde qui n’est pas le sien. L’amorce est un glissement d’un contexte à un autre : ce pourrait être un sosie d’une classe sociale modeste qui occupe la place de président d’une nation.
Le malaise que connaissait le héros du Hero’s Journey avec sa vie de tous les jours est ici remplacé par quelques persécutions : Cendrillon est maltraitée et mon sosie ne parvient pas à s’adapter au décorum de la fonction présidentielle.
Alors il lui est offert une aide magique en cela qu’elle est inespérée. Alors, le personnage doit faire ses preuves afin de contrer ceux qui le persécute. Ce type de récit est davantage qu’une initiation ; c’est un éveil.
Plutôt que de déplacer le personnage hors de son monde ordinaire, ou de le décrire dans un monde ordinaire qu’il n’a pas choisi, ce personnage pourrait être quelqu’un avec un état d’esprit qui fait de lui un perdant, un exclu, un paria.
Mais bien qu’il l’ignore encore ou ne sait pas comment l’utiliser, ce personnage possède une qualité qui n’est pas commune. Il finit par rejoindre la communauté qui ne voulait pas de lui parce que celle-ci a besoin de son talent pour sa propre survie, mais cette reconnaissance n’est pas sincère, la communauté n’est pas unie et c’est l’échec.
Dans ce schéma, il y a un double apprentissage : le héros ou l’héroïne doivent s’adapter à vivre dans la communauté, à en accepter les normes ou du moins de les accommoder avec leurs propres exigences et non de leur opposer un systématique refus et du même coup, la communauté elle-même doit fournir cet effort de prendre en son sein un être qui n’est pas totalement à son image.
Pour remporter le défi que représente vivre dans le monde, une unité doit d’abord être établie : c’est tout l’enjeu de ce type de récit.
S’accaparer une structure
Ces récits tels que je les ai décrits ci-dessus sont archétypaux. Pourtant, il est possible de s’en emparer et de les faire nôtre. Pourquoi ces récits fonctionnent-ils ? Quelles émotions chez le lecteur/spectateur le combat d’un personnage pour sortir de sa condition suscite t-il ? Quelles émotions sont convoquées lorsqu’un exclu intègre une communauté et qu’un grand défi qui dépasse à la fois le personnage et cette communauté est remporté ?
Le Hero’s Journey consiste à acquérir une expérience, des récits du type de Cendrillon sont essentiellement moraux en cela qu’ils recherchent la justice car concrètement nous avons un être qui fut dépouillé d’un droit (celui de Cendrillon est son droit à être aimée) mais le personnage est totalement soumis à sa condition actuelle et pour provoquer son éveil, il lui faut une aide extérieure, une rencontre si extraordinaire qu’elle paraît sortir du néant, d’où le vocable magique la qualifiant.
Un troisième type de récit serait d’insistre sur le collectif. Seule l’unité permet de résister à l’adversité, à l’oppression.
Ce qu’il faut considérer ce sont les différents moments qui organisent ces récits et illustrer ces moments avec vos propres préoccupations. Ainsi, Slumdog Millionaire est une adaptation de Cendrillon.
Vous avez un modèle qui n’est pas figé, c’est un moule qui se distend, qui se gauchit, qui se tord pour donner la forme que vous souhaitez exprimer. Plutôt qu’un jeune fermier qui s’ennuie dans les travaux de la ferme, ce pourrait être un chirurgien dentiste qui aspire à autre chose que les dentures. Ce pourrait être un jeune homme qui, bien que tendrement aimé par sa famille, décide de se détourner d’eux pour tourner ses regards vers quelque chose de supérieur, vers une joie qu’ils ne peuvent comprendre.
On pourrait m’objecter où est la maltraitance dans ce dernier exemple. En fait, elle est présente mais dans le jeune homme dont la décision est cruelle envers ceux qui l’aiment. Mais la foi impose cette violence. De nombreuses variations autour de ce thème de la séparation sont possibles. Il suffit de changer de genre par exemple pour mettre en scène d’autres personnages qu’un fermier ou un moine.
Le concept dans ce type de récit où un personnage n’est pas à sa place dans le monde où il a échoué (le remariage du père de Cendrillon a causé non pas une chute mais un glissement d’un milieu social vers un autre et cela peut permettre aussi de dessiller les yeux sur certaines réalités autrement inaccessibles) est de créer un malaise et une aspiration à autre chose, une ambition, cependant, initiée par quelque chose d’extérieur au personnage ; ce n’est pas un attribut qui appartient déjà au personnage qui est soumis à sa nouvelle condition.
L’adversité
Dans le Hero’s Journey, l’adversité se présente sous la forme d’épreuves afin d’en tirer l’expérience qui manque encore au personnage principal.
Dans les récits de type Cendrillon, un héros ou une héroïne sortent volontairement ou non du milieu auquel ils appartiennent originellement. Les héroïnes (et les héros aussi) doivent faire leurs preuves et s’engager dans un projet ou une aventure pour retrouver le chemin de l’environnement auxquels ils appartiennent.
Souvent, cet environnement leur a d’ailleurs été spolié et il s’agit alors pour eux de rétablir l’injustice commise à leur encontre. Mais ils doivent en être digne.
Maintenant, comment lectrices et lecteurs éprouveront-ils votre histoire dans le sens que vous espérez ? Il n’y a pas de réponse facile à ce questionnement, confirme Brandon Sanderson. Le point de vue néanmoins est un outil dramatique qui aide à l’immersion.
A la première personne du présent, c’est le narrateur qui nous conte son histoire. Il faut considérer que l’attention du lecteur/spectateur suit l’attention des personnages. Ce que ressent ou voit ou entend un personnage dans une scène, lectrices et lecteurs ressentent, voient ou entendent cette chose précisément.
C’est très important pour la clarté de votre propos car si le processus de compréhension est empêché (par exemple lorsque le lecteur ou la lectrice se demande mais qui parle ?), cela nuit à la fluidité et rompt le lien fragile mais nécessaire de la continuité de l’action.
On ne peut donner toutes les informations en quelques scènes car l’intérêt se perdrait vite. Néanmoins, si votre personnage aperçoit une silhouette se dessinant en clair-obscur sur le chambranle d’une porte ou d’une fenêtre, il est important de se concentrer sur la silhouette et non sur les effets qui accompagne son apparition car cette dernière est précisément le point de focalisation du regard du personnage et ainsi du lecteur/spectateur.
Le récit à la troisième personne présente un narrateur qui est soit omniscient, soit a une vue limitée sur les événements qu’il décrit.
L’inconvénient de la troisième personne omnisciente est sa tendance à communiquer les informations au passé. Il est important de lutter contre ce recours au passé car un récit s’en accommode généralement assez difficilement.
Brandon Sanderson conseille d’utiliser à la fois la première personne et la troisième personne mais celle-ci offrant un point de vue restreint sur les événements, comme si les événements relatés par la troisième personne étaient soumis au prisme de sa propre interprétation des faits.
La première personne
Pourquoi utiliser de préférence la première personne ? C’est-à-dire le sujet comme narrateur du récit. D’abord, ce sujet (personnage) est un sujet qui parle à un autre sujet (lectrice et lecteur). De cette manière, le sujet facilite l’immersion dans le récit, facilite l’installation du lecteur/spectateur dans une subjectivité.
Ensuite, la fiabilité du narrateur à la première personne, c’est-à-dire sa voix, peut être mise en doute car ce qu’il perçoit du monde qui l’entoure est précisément ce qu’il nous communique. Mais ce point de vue personnel sur les choses est aussi un moyen de créer une sympathie envers le personnage, ce qui autorise progressivement l’empathie, c’est-à-dire ressentir, éprouver les choses tel que le personnage en fait l’expérience.
La voix joue un rôle important parce que le mensonge qu’elle peut véhiculer aide à identifier la fragilité d’un personnage, sa faiblesse car si le mensonge peut apparaître immoral (bien que la gravité de cette tromperie ou manipulation est dépendante des circonstances), il demeure un moyen de comprendre le personnage qui ment.
La première personne est donc un personnage qui conte sa propre histoire. Ce qui implique que seulement certains détails nous seront donnés. Nous ne sommes plus dans la problématique de distribuer l’information aux moments opportuns selon les exigences du récit mais de décrire les conséquences de cet événement sur le personnage au moment où il les vit (et parfois comment il les a vécus).
La forme épistolaire est aussi un instrument de la première personne : journal intime, une lettre adressée à un ami, rapport sur des événements qui laisse transparaître la voix du rédacteur… Mais il serait vain de chercher à émouvoir lectrices et lecteurs par le contenu d’une correspondance ou d’un rapport. Le lien se fera par la réaction du personnage qui lit.
Le souci néanmoins avec la première personne est que la tension dramatique est inhibée car la succession des impressions dévoile l’issue ; chaque détail donné par la voix du narrateur remplit une condition et le malaise s’installe dans la conviction d’une conclusion inexorable.
Ce n’est pas téléphoné, néanmoins. Au contraire, il faut accepter que la première personne ne peut servir à créer de la tension. Celle-ci est possible mais elle enveloppe les situations qui se jouent hors du personnage. Dit autrement, le monde continue de tourner.
Ce qui s’avérera intéressant aussi, c’est que, bien que le personnage principal soit au cœur de la plupart des scènes, une scène donnée peut adopter le point de vue de n’importe quel personnage qui y participe.
D’ailleurs, à propos de participation, c’est précisément à cela que mène un récit décrit et raconté à la première personne. Cependant, le personnage sur lequel nous nous focaliserons pour faire l’expérience d’une scène sera clairement désigné, sinon il y a un risque de confusion et donc de briser l’élan du récit.
L’immédiateté de la première personne est son principal atout. Lorsque la troisième personne intervient, elle crée une distance. Cette distanciation avec l’action peut être nécessaire pour décrire une partie d’un ensemble. La troisième personne fonctionne lorsqu’elle n’est pas omnisciente. Ses connaissances seront limitées : elle ne décrira et racontera qu’une partie de l’univers du récit.
Scenar Mag vous est dédié. Nous partageons l’information gratuitement. Mais ce service a aussi un coût. Afin de nous permettre de persévérer à vos côtés, Merci de nous soutenir.