Il est certain que tout a déjà été écrit. Nul besoin d’en nourrir une inquiétude néanmoins. Les cultures évoluent et changent, le monde évolue et change et chaque individu évolue et change. Interpréter ou représenter des thèmes toujours évoqués ne ruinent en rien la créativité.
Vous pourriez introduire un personnage nouveau dans un thriller comme par exemple une femme de ménage chargée d’entretenir les locaux d’un commissariat s’empare des affaires en cours pour tenter de les résoudre.
Les conventions du genre thriller sont totalement respectées ; lecteurs et lectrices ne sont pas frustrés mais plutôt subjugués qu’une personne tout à fait ordinaire devienne une investigatrice brillante utilisant des ressources tout à fait ordinaires.
Vous pourriez aussi déplacer les lieux habituels d’un genre ou plutôt introduire des contextes inhabituels dans des genres comme par exemple rejouer Le train sifflera trois fois dans l’espace interstellaire. La novation est toujours possible.
Le mieux rappelle Brandon Sanderson est encore de travailler son écriture sur des choses personnelles, sur vos expériences et émotions, sur vos peurs et vos manques, vos propres frustrations ou désirs.
En injectant une part de vous-mêmes dans votre écriture, vous vous distinguez nécessairement. L’amour est un concept universel mais chaque amour est différent. Apportez le vôtre dans un récit et ce récit se démarquera d’autres histoires d’amour.
Le monde de l’histoire
Le contexte du récit est un des aspects les plus novateurs. Des personnages même très fouillés n’apporteront pas autant de distinctions à l’histoire que de les faire se déambuler dans un contexte particulier. Et ce contexte n’a pas à être foncièrement différent du quotidien des lectrices et des lecteurs. Au contraire, un personnage un peu différent peut errer dans un environnement très familier, très quotidien de celui du lecteur/spectateur et rendre une histoire formidable.
L’importance du contexte ici est précisément la familiarité qu’il renvoie aux lectrices et lecteurs. C’est en cela que tient la novation et l’originalité.
Brandon Sanderson fait une analogie entre un récit et un iceberg. La partie submergée est ce que vous montrez, le jeu des apparences, et la partie immergée serait comme une vérité cachée et connue de l’autrice et de l’auteur seulement.
Ce qu’il faut saisir, c’est que lectrices et lecteurs veulent croire au monde que vous leur décrivez. En fiction, il y a un a priori qui fonctionne sans faillir : la suspension du jugement. Lecteurs et lectrices exigent d’être immergés dans ce monde, qu’il leur soit familier ou qu’il soit une inventio : un lieu construit de toutes pièces ou un temps passé ou futur ; le monde décrit doit être immersif.
C’est là qu’intervient le morceau caché de l’iceberg car ce que vous connaissez de votre monde mais que vous ne décrivez pas doit s’immiscer dans l’esprit du lecteur/spectateur. Avant qu’un cyborg d’apparence humaine ne soit dépecé et ses entrailles dévoilées, l’imagination comblera son organisation interne de telle manière que ce démembrement ne sera même pas obligé si l’histoire ne l’exige pas.
Il apparaît que les personnages vivent dans un monde qui existe au-delà des pages. Ainsi, une réalité, certes fictive, s’impose. Vous créez un monde qui existe indépendamment du lecteur et de la lectrice qui s’imaginent que des choses se passent ailleurs que dans l’histoire.
Néanmoins, prévient Brandon Sanderson, il n’est pas nécessaire de se contraindre à écrire l’histoire d’un monde comme le ferait un historien. Quelques événements majeurs de l’histoire de ce monde seront suffisants pour donner l’illusion d’une consistance ou d’une matière historique afin que vous puissiez fonder les faits présents. Par exemple, vous pourriez écrire une scène purement documentaire montrant le rituel lié à l’eucharistie. Seul ce rituel importe au récit et quel que soit le niveau de détail que vous apportez à la scène, inutile de se lancer dans des explications pour ceux qui ignorent tout de ce sacrement tant que vous, autrices et auteurs, comprenez les fondements de ce rituel et le sacrifice du Christ.
Une distribution parcimonieuse de l’information
Ce qu’il se passe dans le monde remontera à la surface. Chez les personnages, ce n’est pas très différents car cela participe à leur propre évolution. Ce qu’ils ont refoulé tout au fond d’eux-mêmes pour diverses raisons qui les auraient ainsi plongé dans l’obscurité doivent parvenir à pénétrer suffisamment en eux-mêmes pour atteindre à une certaine lumière qui leur permettra alors une meilleure compréhension d’eux-mêmes.
Les événements du monde surgissent aussi parce que l’histoire fore elle-même dans ses entrailles afin que remontent les événements dont elle a besoin pour nourrir son élan qui s’exprime à la surface.
Revenons au lecteur/spectateur. Brandon Sanderson propose de ne pas écraser le lecteur et la lectrice sous des informations trop précises sur le monde : un personnage nomme un lieu par exemple qui n’a pas encore été exposé ou bien nomme un personnage qui n’a pas encore été introduit sont mauvaises pratiques.
En fait, les premières pages devraient être In Media Res, c’est-à-dire que l’action a déjà commencé lorsqu’elle est exposée. Ne faites pas dire à votre personnage principal que sa quête est de récupérer un objet détenu illégalement par le futur méchant de l’histoire. Au contraire, montrez votre héroïne ou votre héros s’enfuyant alors qu’il ou elle sont poursuivis par une horde de sbires que l’on devine du côté du méchant. Car les premières pages devraient être consacrées à l’exposition du personnage principal afin que le lecteur/spectateur apprenne à le connaître.
Nous apprendrons ainsi non seulement qui il est mais aussi ce qu’il veut de manière progressive. Un récit organise donc une sorte de courbe d’apprentissage à l’attention du lecteur/spectateur afin de lui permettre de se familiariser avec le monde du personnage principal.
Ce temps d’apprentissage possède une durée variable selon la complexité de ce monde. Envisagez aussi que le lecteur/spectateur tente toujours d’extrapoler à partir de ce qu’il voit et entend car le récit, même lorsqu’il renvoie un personnage dans le passé, s’écrit toujours au présent. Seulement, autrices et auteurs ont déjà un temps d’avance sur le lecteur ou la lectrice, quelque chose qui est encore caché sous les apparences. Ainsi, il sera de mauvais augure pour la suite de l’histoire de révéler trop de choses sur le monde dans le prologue. Le prologue donne le ton, rien de plus.
Se concentrer d’abord sur les personnages
Si Obi-Wan Kenobi nous avait été exposé immédiatement comme un chevalier Jedi, nous ne l’aurions pas accepté. Pour que nous accrochions à ce personnage et à l’histoire, nous apprendrons au même rythme que Luke qui est véritablement ce personnage, ce qu’il veut obtenir de Luke.
Des indices néanmoins nous font penser que ce vieillard cache certaines choses et lorsque suffisamment d’informations auront été données, le lecteur/spectateur se sentira satisfait parce que ce qu’il aurait pu imaginer sur ce personnage, comme une sorte d’intuition de ce qui le fait agir, se confirme d’une manière ou d’une autre.
Lorsque ce moment de compréhension du monde est suffisamment comblé, alors l’intrigue peut se lancer enfin dans l’aventure ; des ennemis peuvent survenir de toutes parts, ils ne seront dorénavant plus une surprise mais dans l’ordre naturel du monde et ainsi acceptés par le lecteur et la lectrice.
Il sera important de prévoir un personnage en quelque sorte naïf, loin du monde décrit bien qu’il y vive mais qui ne le comprend pas vraiment et interroge parce qu’il est curieux. Ce personnage est comme le docteur Watson qui ne peut comprendre Holmes mais qui insiste cependant à pénétrer les arcanes de l’esprit du célèbre détective.
Ce personnage sert de substitut au lecteur/spectateur afin de l’aider à assembler les différents morceaux du puzzle qui commence à se construire devant lui.
Ce personnage aide en quelque sorte à faire la transition entre notre réalité, notre vie de lecteur et de lectrice, notre quotidien et l’univers fictif dans lequel un auteur ou une autrice nous demande de nous immerger. Il sert de lien en quelque sorte.
La méthode est assez simple : entre les deux personnages d’horizons divers tels Holmes et Watson, l’information nous sera communiquée par leurs dialogues très souvent conflictuels.
La construction d’un monde
Brandon Sanderson explique que lorsqu’il commence à imaginer un monde nouveau, il envisage d’une part le monde physique, c’est-à-dire sa forme, son aspect, par exemple, les différentes architectures disséminées à travers le monde ou l’expression de classes sociales mais aussi tout ce qui est naturel dans ce monde et d’autre part l’état des connaissances, c’est-à-dire le niveau atteint dans les connaissances et non pas le niveau de technologie qui se fait sentir dans le physique ; les traditions, les croyances, c’est-à-dire non comment ces traditions et croyances se manifestent dans le monde tels les rituels par exemple, mais plutôt les mythes et les légendes.
Sanderson oppose et d’une manière qui n’est pas dialectique le matériel et l’immatériel. Dans l’immatériel, il y a aussi l’histoire de ce monde maintenant qu’elle est écrite par les historiens mais aussi les écrits des législateurs qui régulent les relations entre les hommes et puis l’éthique, cette science de la morale qui permet à ces mêmes hommes de juger.
Et certes, dès que l’on aborde les questions sociétales, sources de tant de dissensions, les idéologies (philosophie ou politique) entrent dans l’équation à résoudre.
La réalité d’un monde tient à sa diversité. On construit donc ce monde en découvrant (le latin inventio dans son sens de découverte) des images singulières, des figures particulières qui rendent compte de cette diversité et de cette complexité du monde fictif.
Toutes les cosmogonies sont un bon exemple de cette structure figurative qui soumettent des hypothèses sur la formation de l’univers à l’aide de figures célestes et divines. Ce sont les fondements de nos mythes et de nos légendes.
On peut expliquer aussi les places qu’occupent les hommes et les femmes dans une société donnée en décrivant le quotidien intime d’un couple face à leur quotidien dans le monde. Par exemple, un couple (objet individuel) serait pensé au début du récit comme compris dans une réalité plus large où la religion extrémiste serait marquée par la chute d’Adam et Eve et qui interpréterait cette allégorie comme nécessaire à éloigner les femmes de toutes les décisions politiques importantes.
Cette information ne sera pas dévoilée au début du récit car les lecteurs et les lectrices n’y sont pas encore préparées. Elle est encore dans la partie cachée de l’iceberg mais surgira à un moment pertinent pour l’élan de l’intrigue.
Il est prudent de consacrer un peu de temps à la construction de son monde, néanmoins, on a aussi une histoire à raconter. Ce qu’il importe, c’est de repérer parmi vos pensées celles qui servent à la fondation du conflit : l’objectif du héros ou de l’héroïne par exemple ou encore ce qui fait que deux personnages seront en désaccord.
Par exemple, un fils veut venger l’assassinat de son père qu’il n’a pas vu depuis plus de vingt ans. Le fils part donc à la découverte de l’univers singulier de son père. A partir de cette prémisse, on établit alors un monde afin de mettre en place les conditions de cet assassinat. En quelque sorte, vous extrapolez un monde à partir de votre prémisse. Vous le construisez tout en demeurant au cœur de votre histoire.
L’immatériel prévaut
Les choses physiques du monde participent davantage à l’esthétique du récit qu’à l’intrigue. A la différence des choses spirituelles, intellectuelles, des questions de morale ou de société qui expliquent les actions et les motivations des personnages.
Si votre récit prévoit une insurrection par exemple, les effets de la paupérisation sur une partie du monde sont indicatifs de l’état des choses mais ne sont guère passionnants. Par contre lorsque deux personnages sont animés par une sorte d’instinct de conservation, l’un n’accepte plus sa condition et l’autre cherche à préserver ses privilèges, vous déplacez le problème dans une sphère qui englobe le physique et qui influe aussi sur les choses naturelles qui pourraient être exploitées jusqu’à l’assèchement afin de maintenir les apparentes conditions garantissant un certain ordre social.
Quel que soit votre genre de prédilection, les choses que vous raconterez s’enracinent dans notre réalité. Il faut cependant, rappelle Brandon Sanderson, quand on aborde des questions générales, penser le détail, considérer le cas particulier pour décrire un aspect du monde, sinon ce n’est plus un récit mais un essai.
Une jeune femme attirée par un homme se refuse à se laisser aller à ses propres sentiments parce que son passé, son bagage comme elle le dit, pèse si lourdement sur ses épaules que toute relation présente lui est interdite. Comment extrapoler un monde à partir d’une telle prémisse ?
Imaginons (inventio) que cette jeune femme est fait partie d’un groupe activiste (inspiration de la résistance face aux nazis : inspiration sérieuse qui s’ancre dans une certaine réalité historique mais celle-ci n’est pas décrite par mon récit qui est tout à fait autre) et qu’elle fut chargée de séduire une personnalité adverse pour l’amener par exemple à trahir.
Au présent (puisque le présent est contemporain de tous les temps, je ne situe pas explicitement le temps de mon récit : analepse (le passé) ou prolepse (l’avenir) se conjugue aussi au présent), cette jeune femme maintenant véritablement amoureuse n’accepte pas ses passions non seulement parce qu’elle les sait dangereuses mais aussi parce que le monde dans lequel elle vit (et où elle a vécu) est celui de la trahison.
Ainsi, par une illustration particulière, par une apparence, je projette tout un contexte assez universel pour qu’il soit compris par le plus grand nombre de lecteurs et lectrices.
De nouveau, je respecterai le processus de compréhension de mon lecteur/spectateur en lui donnant les informations progressivement sur le monde car lectrices et lecteurs n’ont nul besoin de comprendre immédiatement comment le monde de l’histoire fonctionne. Ce serait ennuyeux.
Au contraire, le In Media Res suffira amplement à donner un minimum d’informations. Brandon Sanderson prend l’exemple d’une jeune femme qui grimpe le long d’une corniche et le trajet est dangereux, on le voit bien. Parvenue au somment, elle s’approche d’un nid aux dimensions étranges, bien trop large par rapport à ce que nous connaissons en tant que lecteur et lectrice, elle y vole un œuf lui aussi d’étranges dimensions.
Le retour sera aussi périlleux surtout si un volatile quel que soit son aspect s’aperçoit de la disparition de l’œuf. De retour dans son foyer (une sorte de cave troglodyte), elle est accueillie par les siens dont on comprend, car c’est manifeste, qu’ils sont affamés.
C’est par l’action qu’on commence à décrire le monde. Les explications seront données plus tard. Mais par le jeu des apparences, le lecteur/spectateur a l’intuition d’un certain monde, il l’anticipe.
Brandon Sanderson souligne que cette façon de faire sera facilitée si votre inspiration n’est pas aléatoire, c’est-à-dire que vous vous sentez concerné par les thèmes que vous abordez. Ainsi, dans mon exemple précédent, la trahison m’interpelle.
Ainsi, votre personnage contiendra déjà en lui le principe de votre monde. Le monde émane de vos personnages. Dans la série d’articles sur Glenn Gers, c’est précisément ce qu’il se passe. Glenn Gers imagine d’abord ses personnages (qui ils sont et ce qu’ils veulent et comment et pourquoi il leur est si compliqué d’obtenir ce qu’ils veulent) et le monde se construit à la mesure du développement des personnages.
Tous les points de vue
Quand on construit un monde surtout à partir de personnages constitués par nous-mêmes (même si certains de leurs traits sont archétypaux ou inspirés de personnes réelles ou de personnages de fiction d’autres auteurs et autrices), il est important de respecter les arguments de chacun d’entre eux.
Même un fou ou le mal peut avoir des arguments tout à fait raisonnables que le plus grand nombre ne partage pas mais qu’il est nécessaire de légitimer afin de s’assurer de la crédibilité du monde fictif.
Voici le raisonnement de Brandon Sanderson (du point de vue de l’auteur, non de l’autrice) :
- Dans les écrits, la femme fut d’abord un objet.
- Ensuite, les auteurs ont suivi un modèle, un code moral afin d’éviter de revenir au point précédent. Ils ont donc introduit parmi leur dramatis personæ un personnage et un seul qui devait donner l’exemple sur les rapports entre les hommes et les femmes.
Ce personnage était un parangon de vertu, dit autrement, il était une figure qui n’avait aucun sens, qui ne portait aucune signification mais permettait aux auteurs de se donner bonne figure : bel exemple d’hypocrisie. - Conscients qu’un seul parangon de vertu servait à dédouaner les auteurs, c’est toute une communauté qui vit le jour et qui servit de parangon comme par exemple des mouvements féministes mais le travers était toujours présent : cette communauté ne participait pas au récit, n’intervenait pas dans l’intrigue : elle n’était qu’un faux-semblant qui cachait le sexisme entendu dont on ne prononçait pas le nom.
La figure de la femme était représentée à l’image d’Eve : pleine de passions et d’une naïveté désarmante alors que l’homme passait pour raisonnable succombant à la volonté de sa femme parce qu’après tout, elle était sa pareille. - La femme devient un personnage entier à la fois passionné, raisonnable, avec des points forts et des faiblesses. Mais elle reste la seule de son espèce. Les autres personnages féminins sont encore hérités de la tradition et soumise en quelque sorte à cet héritage qui les constitue.
- Tous les personnages féminins ont des rêves, des passions, des défauts et des forces. Ils participent à l’intrigue même s’ils n’en sont pas le personnage principal. Ils suivent un arc dramatique parce qu’ils sont vivants ; ils ne sont pas figés dans une condition.
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