Voici le troisième paragraphe tiré de The Hero with a thousand faces (Part 1 The Adventure of the Hero – Chapter 1 Departure – 1. The Call To Adventure) de Joseph Campbell.
Typical of the circumstances of the call are the dark forest, the great tree, the babbling spring, and the loathly, underestimated appearance of the carrier of the power of destiny. We recognize in the scene the symbols of the World Navel. The frog, the little dragon, is the nursery counterpart of the underworld serpent whose head supports the earth and who represents the life-progenitive, demiurgic powers of the abyss. He comes up with the golden sun ball, his dark deep waters having just taken it down: at this moment resembling the great Chinese Dragon of the Past, delivering the rising sun in his jaws, or the frog on whose head rides the handsome young immortal, Han Hsiang, carrying in a basket the peaches of immortality. Freud has suggested that all moments of anxiety reproduce the painful feelings of the first separation from the mother—the tightening of the breath, congestion of the blood, etc., of the crisis of birth. Conversely, all moments of separation and new birth produce anxiety. Whether it be the king’s child about to be taken from the felicity of her established dual-unity with King Daddy, or God’s daughter Eve, now ripe to depart from the idyl of the Garden, or again, the supremely concentrated Future Buddha breaking past the last horizons of the created world, the same archetypal images are activated, symbolizing danger, reassurance, trial, passage, and the strange holiness of the mysteries of birth.
Les circonstances de l’appel sont typiques de la sombre forêt, d’un grand arbre (un tilleul le plus souvent), d’une source murmurante et de l’apparition répugnante et sous-estimée du porteur (héraut, messager, herald) du pouvoir du destin. Nous reconnaissons dans la scène les symboles du World Navel. Le crapaud, le petit dragon, est le pendant infantile du serpent des profondeurs dont la tête soutient la terre et qui représente les puissances démiurgiques et génératrices de vie de l’abîme. Il surgit des eaux sombres et profondes de la source avec la balle, dorée comme un disque solaire, que ces mêmes eaux avaient englouties : il ressemble à ce moment à ce grand dragon chinois antique qui tient dans ses mâchoires le soleil levant, ou au crapaud (serpent, dragon) sur la tête de laquelle monte le jeune et bel immortel Han Hsiang, portant dans un panier les pêches de l’immortalité. Freud a suggéré que tous les moments d’angoisse – tel le symptôme du souffle court par exemple – reproduisent les sentiments douloureux de la première séparation d’avec la mère, c’est-à-dire le moment critique de la naissance. Et réciproquement, tous les moments de séparation et de nouvelle naissance produisent de l’anxiété. Qu’il s’agisse de l’enfant du roi sur le point d’être arraché à la félicité de sa double unité établie avec le roi son père, ou de la fille de Dieu, Ève, maintenant mûre depuis son idylle pour quitter Eden, ou encore du futur Bouddha suprêmement éveillé qui franchit les derniers horizons du monde créé, les mêmes images archétypales sont mobilisées, symbolisant le danger, la réaffirmation, l’épreuve, le passage, et l’étrange sainteté des mystères de la naissance.
Les définitions des concepts ci-dessous énoncés sont arbitraires. En effet, dû à la polysémie de ces symboles et images, nous avons retenu celles que nous pensions les plus adaptées à la pensée de Campbell dans cet extrait d’une densité exceptionnelle.
World Navel
Axis Mundi ou Omphalos ou World Navel est le Centre du Monde reliant la terre au ciel. Selon la mythologie grecque, Zeus voulait localiser le centre exact du monde. Il lâcha donc un aigle de chaque coin opposé de la terre. Les aigles se rencontrèrent à Delphes. Zeus marqua alors l’endroit avec une énorme pierre ovale appelée l’omphalos qui signifie nombril. C’est ainsi que l’on parle aussi du nombril du monde (World Navel).
Un temple fut érigé à cet endroit et en son centre se tenait l’omphalos. Le temple de Delphes appartenait autrefois à Gaïa, une divinité chthonienne, personnification de la terre d’après la cosmogonie d’Hésiode. Gaïa donna naissance à Ouranos, le ciel couronné d’étoiles, « qu’elle rendit son égal en grandeur, afin qu’il la couvrît tout entière« ).
Mais lorsque les Olympiens accédèrent au pouvoir, Apollon s’empara du temple. Ce temple était gardé par Python un serpent monstrueux ou selon les versions un dragon femelle, en tout cas enfanté par Gaïa pour protéger son oracle. Apollon qui cherchait un lieu pour y établir son sanctuaire tua Python.
L’axis mundi, en religion comme en mythologie, est le centre du monde dans le sens où il est un point de connexion entre le ciel et la terre. A la fois pôle céleste et pôle terrestre, il est le lieu où les quatre points cardinaux se rejoignent. L’axis mundi est un lieu de transit entre les royaumes supérieur et inférieur. Les demandes et messages du monde inférieur peuvent s’élever jusqu’au monde supérieur et les bénédictions et bienfaits du monde supérieur peuvent atteindre le monde inférieur et être distribués à tous. L’axis mundi en tant que omphalos est le point de commencement du monde.
L’axis mundi peut prendre une forme naturelle – une montagne, un arbre, une tige (et on ne peut s’empêcher de penser au haricot magique s’élevant jusqu’au pays des géants), une colonne de fumée… – ou manufacturée (un bâton, une tour, une corde, un pilier…).
Selon l’opinion de Mircea Eliade, chaque microcosme, chaque région habitée, a un centre ; c’est-à-dire un endroit sacré au-dessus de tout.
Le dragon
Le dragon est une créature mythique typiquement décrite comme un grand et puissant serpent ou un autre reptile avec des qualités magiques ou spirituelles. Bien que les dragons ou créatures apparentées se retrouvent communément dans les légendes du monde entier, les différentes cultures les perçoivent différemment.
Les dragons chinois et orientaux sont en général considérés comme bénéfiques et spirituels symbolisant les forces primitives (au sens de originaires) de la nature et de l’univers ainsi que de grandes sources de sagesse.
Par contraste, les dragons européens ainsi que quelques uns d’Asie Mineure tel que l’ancien Empire Perse étaient malveillants associés à des forces surnaturelles maléfiques et les ennemis naturels de l’humanité.
L’exception la plus notable parmi les dragons est l’ouroboros (voir ci-après), un dragon s’enroulant sur lui-même et avalant sa propre queue. Conçu ainsi, le dragon devient un symbole d’éternité, de cycles naturels et d’achèvement.
Il est habituellement reconnu que les dragons sont porteurs de quelques formes de magie ou autres pouvoirs surnaturels dont le plus célèbre est leur capacité à souffler le feu par la gueule.
Le dragon est certainement la plus connue des créatures mythiques. Bien qu’il soit toujours considéré puissant et souvent dangereux pour les êtres humains, il est de nos jours davantage reconnu pour ses aspects positifs.
Dans la quête du héros, vaincre le dragon n’est plus d’actualité et nombre d’entre eux sont prêts à partager leur sagesse avec l’humanité et agissent en tant que compagnons, amis et même protecteurs.
Il est probable que l’origine du mot dragon vient du grec drakon signifiant serpent puis draconis en latin.
Dans les traditions européennes, il est commun de rencontrer deux représentations du dragon. Dans la première, il est muni de larges ailes qui lui permettent de voler et il crache du feu. Dans le seconde, il est davantage à l’image d’un grand serpent. Il n’a plus d’ailes et un corps long et cylindrique qui lui permet de glisser sur le sol.
Chacun de ces types sont communément dépeints comme des reptiles, ils éclosent, ils ont des corps écailleux et parfois de grands yeux. Certains dragons ont été personnifiés au point de parler et de ressentir des émotions tandis que d’autres sont décrits comme des bêtes sauvages.
La croyance aux dragons et même l’idée de dragon provient probablement d’un manque de compréhension de la nature, de certains fossiles retrouvés, d’une connexion forte de l’homme avec le surnaturel et peut-être même d’une peur généralisée des serpents.
D’un point de vue mythique ou légendaire, beaucoup de serpents ou de dragons sont les gardiens de trésors. Le premier roi pélasgique d’Athènes était réputé mi-homme, mi-serpent ; Cadmos tua le dragon d’eau, gardien de la Fontaine de Castalie ; le dragon Ladon (un reptile imaginaire) est envoyé par Héra pour protéger les pommes d’or du jardin des Hespérides, Héraclès le tua au cours de l’un de ses Douze Travaux ; Python est un serpent monstrueux, fils de Gaia (la Terre), il veillait sur l’Oracle de Delphes, Apollon le perça de ses traits, se rendant ainsi maître de l’oracle.
Ces histoires ne sont probablement pas les premières à parler de dragons ou de créatures similaires, mais comme la culture européenne fut fortement influencée par la Grèce Antique, il semble logique de penser que la croyance occidentale dans les dragons a pris son essor à partir de celle-ci.
Dans le symbolisme médiéval, le dragon était souvent représentatif d’apostasie et de parjure, mais aussi de colère, de jalousie et finalement d’une grande calamité. D’autres dragons étaient symboliques de décadence, d’oppression et d’hérésie.
Bien sûr, des interprétations opposées virent aussi le jour. Ils furent donc le symbole d’indépendance, d’autorité et de force. Ils représentaient aussi la sagesse. Campbell les voient comme un symbole divin ou de transcendance parce qu’ils représentent l’unité du Ciel et de la Terre ; le serpent (chthonien) et les ailes du dragon qui lui permettent d’atteindre les cieux.
Les dragons ont été dépeints dans de nombreux ouvrages de fiction. Un des exemples les plus fameux est le poème épique Beowulf qui se termine avec le héros combattant un dragon. Une autre référence est Saint George and the Dragon qui conte l’histoire de Saint George terrassant le dragon qui finalement fut incorporé dans les contes de fées avec une princesse captive du dragon (une image devenue un cliché).
Beaucoup d’images de dragon furent négatives. La plupart du temps, ils étaient un élément surnaturel néfaste que le héros devait surmonter afin de réaliser sa quête. Tolkien a d’ailleurs conservé cette idée avec son personnage de Smaug le Doré, le principal antagoniste de son roman Le Hobbit en 1937. Très proche des dragons des mythologies nordiques, Smaug fut considéré comme une figure de l’avarice.
Plus récemment, les auteurs de Fantasy commencèrent à explorer une relation autre entre l’homme et le dragon, un peu comme celle que l’homme a établi avec le cheval (bien que les dragons apparaissent souvent plus intelligents et doués de la parole).
Des auteurs chrétiens ont dit que les dragons étaient à l’origine bons mais avaient été déchus comme les hommes après l’épisode du Jardin d’Eden et la faute originelle commise par Adam et Eve.
Cœur de dragon de Charles Edward Pogue, d’après une histoire de Patrick Read Johnson et Charles Edward Pogue en 1996 a contribué aussi à donner une image positive aux dragons. Ils furent aussi protecteurs et amis des enfants comme dans Peter et Elliot le dragon de Malcolm Marmorstein.
Il sera utile de mentionner aussi Vāsuki, un nâga (une déité ou une classe d’entités ou d’êtres prenant la forme de grands serpents).
L’Ouroboros
En héraldique, l’ouroboros est la représentation d’un serpent ou d’un dragon qui se mord la queue. Le serpent primitif tournant sur lui-même dans un cercle sans fin comme le fait le yin et le yang renvoie à l’unité des opposés, un concept philosophique, métaphysique ou scientifique selon les points de vue.
Ce concept définit une situation dans laquelle l’existence ou l’identité d’une chose dépend de la coexistence d’au moins deux conditions qui sont opposées l’une à l’autre mais qui ne se conçoivent pas l’une sans l’autre et dont l’une suppose l’autre (le chaud et le froid, par exemple).
La phrase latine Coincidentia oppositorum est aussi employé pour décrire la révélation de l’unité de choses précédemment vues comme différentes. Une telle conscience de l’unité des choses est considérée comme une sorte de transcendance et se retrouve dans de nombreuses traditions mythiques.
Le symbolisme du serpent est peut être un peu confus mais ce symbole renvoie souvent à une même idée : l’immortalité car il renaît sans cesse. Pour Joseph Campbell, la vie se nourrit de la vie.
Les alchimistes ont symbolisé ce processus de la renaissance avec au préalable une destruction totale telle qu’une fermentation. La psychanalyse y voit le combat pour l’accomplissement par l’intégration des opposés : des fragments de notre part d’ombre assimilés dans notre ego.
Pour Carl Gustave Jung, l’ouroboros, représentant une renaissance, se tue lui-même puis se ramène à la vie.
L’ouroboros est un symbole des cycles de la nature avec le renouveau au printemps, signe de fécondité. C’est ainsi que pour Jung, le serpent devient un symbole de transformation, de changement et de purification. La mue du serpent aide en cela l’interprétation qui en est faite à travers le serpent lui-même ou l’ouroboros.
Han Xiangzi (Han Hsiang)
Han Xiangzi est l’un des huit immortels de la mythologie chinoise. L’un des récits sur la façon dont Xiangzi a atteint l’immortalité raconte que Xiangzi est monté sur un arbre pour jouer de la flûte (Han Xiangzi est connu comme le patron des musiciens), mais qu’il est tombé.
Cet arbre se trouvait être le pêcher sacré de l’immortalité, et au lieu de tomber et de se blesser, il a obtenu la vie éternelle en s’accrochant à l’une des branches.
Quant au Chinese Dragon of the Past qui tient dans sa mâchoire une torche, ce pourrait être une référence à Zhulong qui représente l’acte du soleil levant.
Je vous conseille aussi la lecture de notre article Le concept d’abysse chez Campbell – 2 où j’aborde le concept du serpent et des abysses.
La double unité (the felicity of her established dual-unity with King Daddy) pourrait être comparée à celle entre le Christ et le père, un Christ à la fois homme et dieu.
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