Le Deus Ex Machina, sorte d’artifice narratif pour clore un récit par une intervention quasi divine qui s’arrange avec les détails de l’histoire que l’auteur ou l’autrice ne parviennent pas à résoudre, est décidément un mauvais choix.
Car nous n’acceptons plus la notion qu’un être surnaturel intercède dans les affaires humaines. Autrices et auteurs modernes doivent être plus ingénieux dans la résolution de la complexité de leurs intrigues.
Tout élément qui n’appartient pas au récit et qui est seulement introduit pour sortir l’auteur des ornières dans lesquelles il s’est perdu doit être fui. Le lecteur/spectateur reconnaît un travail bâclé et refuse d’accepter une résolution qui ne découle pas naturellement des circonstances de l’histoire.
Un changement possible
Dans La vie est belle, George Bailey est sauvé par un ange. Mais le message est tout autre que ce qu’il paraît. Même si l’ange est nécessaire au récit, si George rejoint sa famille, ce n’est pas par l’intervention de l’ange.
Le changement de position de George, de sa façon de percevoir le monde, est une opération purement interne même si l’ange participe effectivement à cette prise de conscience.
Dans Chinatown, la mort d’Evelyn est inévitable. Le récit aboutit à l’évidence que Jake ne peut triompher de la nature de Noah Cross, qu’il est impuissant face à la volonté de celui-ci et qu’il ne peut changer la destinée d’Evelyn. Chinatown est une tragédie : Jake connaît un double échec à la fois personnel et extérieur.
De nombreuses histoires reposent sur des prémisses ou des circonstances a priori invraisemblables : fantômes, créatures d’un autre monde, super-héros.. la liste est longue. Ces choses n’existent pas à la surface de notre monde, mais elles sont néanmoins souvent à l’origine de superbes récits.
Dans toute histoire qui contient un élément d’invraisemblance, même si toutes les autres circonstances sont très réalistes, il y a un moment crucial que l’autrice ou l’auteur doivent créer. Il s’agit du moment où lecteurs et lectrices suspendent volontairement leur incrédulité, où ils adhèrent à l’élément incroyable afin d’apprécier l’histoire racontée.
Le consentement du lecteur doit être recherché et nourri par le conteur. Dans sa forme la plus simple, la méthode consiste à faire face à l’incrédulité plutôt que de tenter de la dissimuler car lectrices et lecteurs ne sont généralement pas dupes et refuse de participer à l’histoire racontée.
La meilleure approche consiste généralement à faire en sorte qu’un personnage principal – très souvent le protagoniste, mais pas toujours – exprime une incrédulité que le lecteur/spectateur partage. Au fur et à mesure que ce personnage devient convaincu de la véracité de la chose incroyable, le lecteur/spectateur fait de même.
Dans Retour vers le futur, Marty ne croit pas d’abord à la machine à remonter le temps mais lorsqu’il en fait l’expérience, il est amené à y croire et nous suspendons alors notre incrédulité (et notre jugement) et nous adhérons au récit.
Des choses possibles
Il est possible que la chose incroyable fasse partie du quotidien des personnages. Et ceux-ci ne font pas l’expérience d’une chose apparemment impossible qui nous entraînerait à leur suite à croire l’incroyable.
Comment faire accepter cette réalité ?
Comment lecteurs et lectrices peuvent-ils accepter une réalité qu’ils ne reconnaissent pas ? Parce que cette réalité décrite, même s’il s’agit d’une utopie, repose sur des éléments possibles. Ces choses n’existent pas encore mais nous savons qu’elles sont possibles parce que les progrès de l’humanité tant intellectuels que scientifiques nous ont démontré le potentiel humain à se créer un futur et nous pouvons imaginer aussi bien un monde meilleur qu’un désastre.
Car l’un comme l’autre sont possibles.
Il ne serait pas prudent d’imposer de manière abrupte l’ensemble d’un monde et espérer l’adhésion des lecteurs et lectrices. Comme dans un monde merveilleux, auteurs et autrices ne nous présentent pas immédiatement l’ensemble des créatures qui vivent au quotidien dans ce monde.
Pour que ce quotidien soit accepté, cette découverte se fera progressivement. Dès que nous avons compris que Shrek est le héros de son histoire, nous acceptons alors le monde extérieur au marais.
Une autre caractéristique importante qui entre dans la suspension de l’incrédulité est le sens de l’inévitabilité. Le cours des événements suit le chemin le plus plausible et le lecteur/spectateur en vient à croire qu’il n’aurait pas pu y avoir d’autre issue. Ce sentiment d’inévitabilité – une combinaison de personnages évoluant sur une voie dont il n’est pas possible de s’écarter, est peut-être la technique narrative la plus efficace pour suspendre un jugement, pour écarter le doute sur la plausibilité des événements.
Il ne faut pas confondre l’inévitabilité et la prévisibilité. Une inévitabilité est le sentiment, au fur et à mesure que les événements se déroulent, qu’ils n’auraient pas pu se produire autrement, tandis que la prévisibilité concerne la capacité du lecteur/spectateur à imaginer ce qu’il se passera.
Tant qu’il existe deux issues également plausibles empêchant lectrices et lecteurs de deviner l’issue de la scène ou de la séquence suivante ou de la résolution, l’histoire n’est pas prévisible. Et si, en même temps, chaque étape de la progression de l’intrigue semble probable et que la main de Dieu ou de l’auteur n’est pas visible, le déroulement de l’histoire semblera inévitable.
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