Glenn Gers est un scénariste. Il a conçu une série de vidéos sur son propre processus d’écriture. Tentons d’en extraire la quintessence afin d’en tirer peut-être quelques enseignements.
L’idée
Tout projet d’écriture débute par une idée. Il n’y a pas de mauvaises idées. Une fois posée sur le papier, le travail sur l’idée permet de dialoguer avec soi-même à la recherche de ce qui lui donnera la consistance voulue.
Voici donc ce qui est venu à l’esprit de Glenn Gers : Une comédie romantique/thriller qui se déroule au sein d’une communauté en ligne de recherches sur des crimes commis par un serial killer.
Ce qu’il faut d’abord noter est que Glenn Gers précise aussitôt le genre de sa prémisse : une comédie romantique sous la forme d’un thriller. Il ne s’agit pas d’un thriller avec une intrigue secondaire qui décrirait une histoire d’amour. L’idée concerne une histoire d’amour enveloppée dans un thriller ce que nous laisse entendre l’expression sous la forme d’un thriller.
Bien que le personnage principal n’apparaisse pas, il est toutefois indirectement mentionné par la locution prépositive au sein de qui introduit une distinction.
Dans une prémisse, on emploie souvent une seconde locution prépositive afin que ou afin de. Ainsi, il est précisé le but de l’action.
Évidemment, il est aussi mentionné contre quoi le héros ou l’héroïne devront déployer une résistance au risque de leur propre vie (ce qu’il ou elle risque de perdre ou bien de gagner contre leur propre volonté).
Il est important aussi de ne pas s’enfermer dans l’idée. On initie un mouvement qui sera probablement appelé à changer.
Glenn Gers pense que les personnages et l’intrigue nécessiteront du temps concernant leur développement. C’est ainsi que dès le départ, il planifie une série mais non sur plusieurs saisons ; quelques épisodes lui donneront alors l’opportunité de travailler ses personnages et ses intrigues plus en profondeur.
A ce moment du processus, se laisser aller à son intuition est un bon signe.
Le pilote
Puisque que Gers envisage une série, ce premier épisode sera donc le pilote. Il faut se concentrer sur ce pilote et ne pas chercher à envisager déjà les épisodes consécutifs.
Le synopsis ou pitch
Maintenant vient le moment où avoir une idée n’est plus suffisant. Il faut avoir quelque chose à raconter. Encore une fois, rien n’est figé.
L’animateur d’un podcast sur des crimes non résolus meurt dans des circonstances mystérieuses. Cela provoque aussitôt une effervescence parmi les auditeurs passionnés et fascinés par les crimes restés impunis. Et en particulier, celui qui est le sujet majeur du podcast depuis quelques semaines déjà et sur lequel travaillait l’animateur : Sur la piste d’un serial killer.
Une théorie se met à courir sur le web postulant que le serial killer recherché s’est senti menacé par les découvertes du journaliste et décida en conséquence de l’éliminer. Un groupe se met alors en place pour continuer l’enquête et démasquer le coupable.
Trois faits apparaissent dans ce synopsis :
- La mort du journaliste (et les conditions dans lesquelles celle-ci s’est produite).
- Le buzz parmi les passionnés qui suivaient l’enquête menée par le journaliste.
- La constitution d’un groupe pour reprendre l’enquête. Constituer un groupe présuppose que les membres de ce groupe ne se connaissent pas encore. Il faut donc organiser les circonstances des rencontres.
Les personnages
Les points 1 & 3 sont les points majeurs du synopsis car ils concernent les personnages. Après l’idée et le synopsis (ou le pitch), il est indispensable de penser ses personnages.
Glenn Gers privilégie la comédie romantique, il commence donc par poser deux amants. Gardons à l »esprit que le groupe n’est pas encore constitué donc ces deux amants ne se sont pas encore rencontrés. Ainsi, nous pouvons déjà envisager un incident déclencheur pour cette rencontre. Mais n’anticipons pas.
L’un de ces deux amants sera le personnage principal. Dans la logique des choses, puisqu’un personnage principal (qui est aussi très souvent le protagoniste) est posé, il lui faut un antagonisme. Glenn Gers introduit un twist intéressant. Le serial killer ne sera pas un personnage distinct du groupe.
Il s’intègre au groupe.
Néanmoins, il nous faut dépasser le simple concept de méchant de l’histoire. En effet, ce serial killer possède une motivation. Donnons-lui un passé pour expliquer ce qui le fait agir maintenant. Imaginons qu’avant de commettre ses crimes, notre serial killer était un être timoré. Il était le souffre-douleur des autres enfants et incapable de se défendre ou de se plaindre (ses parents ignoraient tout de sa souffrance), son martyre dura de trop nombreuses années.
Devenu adulte, son comportement apparemment asocial car vivant sans cesse dans la peur d’être à nouveau la risée des autres, a eu l’effet inverse. Sur son lieu de travail, il était encore une fois harcelé.
Voulant briser le cercle, il commet alors son premier meurtre qu’il avait préparé dans les moindres détails. Les enquêteurs ne pouvant remonter jusqu’à lui, il gagna en confiance, un sentiment qu’il ne connaissait pas. L’euphorie s’estompant, le désir puissant de continuer à tuer, ce qu’il considère comme un acte de vengeance, s’accomplit dans des actes de plus en plus horribles.
Ce passé étant plus ou moins cohérent, il nous faut maintenant trouver le moyen de lier ce personnage à l’animateur du podcast. On peut imaginer une scène dans sa voiture alors qu’il vient de tuer et qu’il écoute par hasard le podcast.
L’idée lui vint alors qu’il pourrait se faire interviewer par l’animateur. Il parvient à le rencontrer mais l’animateur refuse (quand on se retrouve soudain face à la vérité qu’on cherchait à découvrir, un sentiment de panique peut alors s’emparer de nous).
Alors surgit dans l’esprit du tueur toutes ces fois où il fut moqué, rejeté. Cet animateur n’est pas différent de ceux qui l’ont fait souffrir. Sourd aux explications du journaliste, le serial killer le tue.
S’il rejoint le groupe, c’est parce qu’il a terriblement besoin de reconnaissance non pas pour ses crimes qu’il ne maîtrise pas mais pour obtenir le respect.
La victime et le suspect
Glenn Gers entend donner de la consistance à la victime, en faire beaucoup plus qu’un prétexte. Il ajoute aussi un suspect qui servira de diversion, qui mènera les investigations vers une fausse piste. Il pense aussi donner un vrai contour psychologique à ce personnage.
Fort de ces cinq personnages, Gers estime pour le moment que cela est suffisant. Somme toute, ce sont des personnages conventionnels liés aux genres auxquels Glenn Gers a décidé de se limiter : la comédie romantique impose ses amants ; victime, assassin & suspect sont des personnages clefs du thriller.
La rencontre des deux futurs amants ne sera pas un coup de foudre. On devrait même être amené à penser que ces deux-là ne pourront jamais s’aimer. Ainsi, Glenn Gers se prépare un rebondissement lorsque ces deux amants se découvriront un amour mutuel. En fait, non, ce ne sera pas un rebondissement mais plutôt une conclusion car lecteurs et lectrices sont habitués à voir une relation d’abord apparemment impossible dans laquelle ils apprennent à apprécier l’un et l’autre des personnages impliqués et s’impatientent de les voir enfin réunis.
Cela présuppose aussi que cet amour naissant doit être empêché par quelques obstacles que l’un et l’autre devront surmonter soit personnellement, soit ensemble. Vous le constatez, le concept d’amour qui est un thème qui existe certainement depuis que l’homme existe (du moins, celui qui fut un peu plus qu’un barbare, qualité qui, je l’avoue, ne s’est certainement pas estompée avec le développement de la civilisation, plutôt même favorisée par elle) propose des possibilités infinies pour permettre aux auteurs et autrices de s’exprimer.
Laissez-vous aller à ce dialogue avec vous-mêmes. Ne posez pas seulement des affirmations mais aussi des objections. Cette seconde personne en vous-mêmes, faites en sorte qu’elle vous contredise, débattez avec elle puis tentez de trouver un consensus.
Ainsi, vous parviendrez à prendre de la distance, à vous détacher de votre œuvre afin de libérer votre imagination d’une implication trop contraignante. En fait, vous prendrez plaisir à créer, à vous livrer à des brainstorming loufoques mais combien rafraîchissants et surtout jamais stupides.
Le contexte
Maintenant que l’entité antagoniste est déterminée, Glenn Gers s’interroge sur le monde qu’il cherche à mettre en place. Ici, l’univers des podcasts. Il se demande pourquoi et comment ses personnages peuvent s’inscrire sur ce monde.
Nous avons vu que l’assassin fut attiré par ce monde mais qu’en est-il des autres personnages ?
La pensée de Gers s’oriente alors de nouveau vers les personnages car ce sont eux qui dessineront les contours, les limites de leur univers.
La comédie romantique devant être privilégiée, Gers imagine que l’un des deux amants sera dans une mauvaise relation amoureuse. Cela pose déjà un premier obstacle à un amour naissant car, pris dans les rets d’une relation même toxique, il est difficile de s’en désaliéner.
Cependant, Gers insiste que les idées auxquelles vous aboutissez lors de vos réflexions ne vous lient d’aucune manière. Au cours du développement, vous pourriez être amené à les remanier parce que, soudain, cela vous paraîtra évident. Pour le moment, vous jetez des idées mais celles-ci ne vous engagent pas car, pour le moment, vous ne savez pas encore vraiment où vous allez avec votre récit.
Pour son second amant, Glenn Gers envisage un personnage solitaire, qui connaît des difficultés à vivre de vraies relations dans sa vie et qui s’est tourné vers l’internet pour connaître des relations virtuelles comblant le manque douloureux d’une véritable relation.
Puis Gers reprend la fiche de son antagoniste pour la compléter d’un trait de caractère qui s’est développé parallèlement au besoin de reconnaissance : l’ambition, c’est-à-dire que cette recherche du respect d’autrui s’est traduit par un désir de s’élever socialement ou dit autrement, sa quête est devenue un besoin de dominer pour s’assurer socialement de la soumission respectueuse et craintive des autres à son égard.
Ces quelques informations posées, le monde dans lequel évoluent ces personnages possèdent des lois, des normes, des règles. A moins que vous soyez déjà immergés dans l’univers que vous décrivez, lorsque vous ne connaissez pas le monde que vous souhaitez explorer, il suffit de faire des recherches. C’est à une approche expérimentale que vous allez vous livrer.
C’est une aventure passionnante que de partir à la découverte d’un monde dont on ignore tout. Mais cette ignorance ne doit pas vous contraindre à seulement ce que vous connaissez. Certes, il semble que l’on écrit mieux sur ce que l’on connaît. Alors, apprenez à connaître le monde dont vous vous servirez pour conter votre histoire.
Une réflexion en allers-retours
Lorsque vous créez une fiche pour un personnage, celle-ci se complétera au fil de vos pensées. Vous posez quelques lignes sur une fiche et puis soudain, une idée concernant un autre personnage vous traverse l’esprit.
Aussitôt, prenez la fiche de cet autre personnage et donnez-lui cette idée. Reprenant alors la fiche de son personnage qui vit une mauvaise relation amoureuse, il ajoute qu’il est un journaliste. Seulement lorsque vous posez une assertion comme celle-ci, pensez à la qualifier comme dans, par exemple une belle femme, le mot belle est un épithète qui donne une indication très précise sur cette femme. Pour notre journaliste, Glenn Gers précise Un journaliste free-lance actuellement sans emploi.
Gers décide aussi que ce couple d’amants sera hétérosexuel : le journaliste sera masculin et le personnage solitaire qui vit sa vie par procuration, qui jette aux autres à travers l’anonymat de l’internet une image de lui-même qui n’est pas lui sera de sexe féminin.
Notez aussi que Glenn Gers se réserve encore sur les âges de ses personnages car, pour le moment, cela n’a pas encore d’importance dans l’élaboration de ceux-ci.
Pour le serial killer, Gers cède à la convention : la majorité d’entre eux sont des hommes. Son serial killer sera donc un homme. Tout comme la victime, d’ailleurs. Ainsi que le suspect. Gers envisage déjà toute une séquence qui expliquera comment l’assassin parvient à détourner l’attention sur le suspect.
A ce stade du processus de réflexion, une question reste en suspens : comment le monde virtuel du podcast et le monde réel des personnages interagissent-ils ? Dit autrement, comment tous ces personnages, qui ne se connaissent pas encore, vont-ils pouvoir physiquement se rencontrer pour former une communauté ?
De même lorsqu’une idée comme celle-ci s’impose à votre esprit, interrompez ce que vous faisiez et notez-là à part.
Remarquez aussi que ces deux mondes ne peuvent être traités d’égal à égal. C’est le monde virtuel du podcast qui donnera sa forme au récit, c’est-à-dire que la majorité de l’action se situera dans ce monde. C’est donc l’aspect thriller qui donnera sa forme au récit.
Glenn Gers insiste aussi sur le fait qu’il ne veut pas être obligé par des questions de budget. Ils réservent cet aspect des choses plutôt aux scénarios de commande mais dans le cas d’un spec comme celui-ci (dont on ne sait pas encore s’il intéressera d’éventuels investisseurs), il est préférable d’écrire une histoire qui n’exige pas des sommes folles pour s’incarner et le monde virtuel des podcasts correspond à cette vision des choses.
Les lieux de l’action
Gardez à l’esprit que cet article essaie de suivre le cheminement de la pensée de Glenn Gers. Vous pourriez avoir une toute autre approche.
Néanmoins, Gers ressent le besoin de situer localement ses personnages. Pour la femme solitaire, par exemple, il ne sait pas encore s’il doit la placer à la campagne ou à la ville. Ou bien si ce lieu choisi pour elle sera important ou non pour l’intrigue et comme cette intrigue est à peine amorcée, la question des lieux reste ouverte.
Reprenant la fiche de son personnage du journaliste sans emploi, Glenn Gers estime qu’il faudrait se lancer une sorte de défi personnel et créer un personnage qui soit d’un âge opposé à celui de l’auteur ou de l’autrice afin d’explorer un aspect de soi qui n’est plus.
Ainsi, Glenn Gers qui est dans la cinquantaine décide de faire de son journaliste free-lance un jeune journaliste débutant dans le métier et qui essaie de s’y faire une place (notez que l’antagoniste et le protagoniste sont animés parallèlement d’une ambition, certes différente, mais la notion d’ambition les imprègne tous deux).
Néanmoins, s’il échoue avec un personnage jeune, Gers se réserve la possibilité d’inventer un personnage de son propre âge mais dont la difficulté viendrait du fait qu’il n’a pu s’adapter aux nouvelles méthodes d’investigation telles que proposées à travers le podcast et qu’il soit en quelque sorte sur la touche.
Cette inadaptation aux nouvelles technologies pourrait être alors la raison de son inactivité professionnelle.
Alors que le podcast dans son activité habituelle n’attirait guère l’attention des autorités, le meurtre les a mobilisées. Ainsi, Glenn Gers pense ajouter quelques véritables policiers chargés de l’enquête. Évidemment, cela suppose des situations conflictuelles lors des rencontres entre les deux sphères.
Quand on invente des personnages, il est toujours assez excitant d’écrire une courte biographie les concernant. On doit pouvoir considérer leur existence hors du contexte du récit même si vous ne vous servirez pas de tout le matériel que vous pourriez disposer de cette façon.
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