L’IDÉE ET L’INTRIGUE

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Les idées vont et viennent. Des événements, des phénomènes, autrui, des choses… tout est prétexte à idées. Ce qu’on lit, ce qu’on voit, des personnages de fiction ou des personnes réelles, tout est prétexte à idées.

On peut même être amené à vous proposer des idées si l’on sait que vous écrivez. En fin de compte, trouver une idée est un faux problème. Le véritable questionnement dans cet amoncellement d’idées qui s’accumule avec le temps est de savoir si une idée précise a ou non du potentiel. Non seulement cela, mais aussi si elle est faite pour vous.

Votre idée

La première question serait si cette idée qui vient de surgir dans votre esprit est vraiment faite pour vous, si vous pouvez vous en emparer et donner naissance à une histoire achevée. Vous aimez lire du fantastique mais vous n’accordez aucune once de croyance à l’occultisme, pourriez-vous vraiment écrire une histoire fantastique ?
Ce qu’on aime lire n’est pas nécessairement ce que l’on peut écrire. Il faut que quelque chose nous touche émotionnellement pour qu’on ait envie d’écrire sur cette chose. Parce que si l’on ne se sent préoccupé, peut-être concerné, comment voulez-vous entraîner à votre suite un lecteur ou une lectrice ?

Que signifie vraiment d’écrire sur ce que l’on connaît ? C’est de choisir des choses qui comptent énormément pour vous, des choses que vous avez à cœur de régler, du moins sur le papier. Vous imaginez l’histoire d’un homme seul dans un vaisseau spatial. Comment décrire ce qu’il ressent si l’on n’éprouve pas soi-même le sentiment de solitude ?

Observer les choses de l’extérieur, c’est glisser sur leur surface. Pénétrer ces choses émotionnellement, c’est certainement entrer dans un monde inconnu, mystérieux. L’angoisse devient le quotidien ou du moins le sentiment de se sentir perdu. C’est tout à fait normal. Cette sécheresse apparente ne veut pas dire que vous ayez choisi une mauvaise idée.

Vous sentez que vous avez quelque chose à dire. Seulement cette matière est comme l’argile. Elle est inerte. Il vous faut la façonner (introspection et recherches sont vos outils). Tout comme l’artisan qui donne du sens à l’argile, vous rendrez votre matière dramatique.

Lorsqu’une idée a quelque résonance sur soi, on peut s’imaginer en elle. On y retrouve des expériences vécues. Toutes sortes d’expériences, même celles du manque. On peut rêver d’amour si l’on ne se sent pas ou plus aimer et écrire magnifiquement sur la mort d’un être aimé.

Pour que ce récit soit le vôtre néanmoins, même si vous n’avez jamais connu la mort d’un proche, vous devriez sentir cette dynamique possible entre vous et l’idée : cette idée semble vouloir vous entraîner quelque part dès qu’elle a surgi dans votre esprit. Ce ne sont que des éléments épars au début mais qui s’accrochent à vous durablement.

Votre tâche maintenant consiste à relier ces éléments, à combler les vides à l’aide de la causalité par exemple, un événement en entraînant un autre (une seule cause peut avoir de multiples conséquences, à vous de choisir ce qui va dans votre sens), le travail consiste donc à partir de cette analyse de former un tout qui ait de la signification.

Le plus souvent, ces idées d’histoires valables et dynamiques ne seront pas des choses que vous connaissez déjà et que vous avez réglées. Les choses établies sont faites pour être expliquées, pas pour être utilisées pour la fiction. Il s’agira plutôt de situations, de personnes ou de souvenirs qui vous troublent, de choses que vous voulez, pour vous-même, résoudre et comprendre. Des explorations, pas des explications.

Pouvez-vous vraiment communiquer sur votre idée ?

Écrire est un moyen d’expression. Mais on écrit pour les autres davantage que pour soi. Ce qu’on cherche, c’est atteindre et émouvoir un lecteur ou une lectrice. Cette exploration dont nous parlions précédemment, vous voudriez la partager.

Ne nous méprenons pas : c’est le processus d’écrire qui vous passionne, pas ce que vous avez écrit. Néanmoins, la question qui se pose maintenant est de savoir si ce sur quoi vous écrivez n’est pas trop personnel, c’est-à-dire que vous décrivez ou imaginez des expériences envers lesquelles vous réagissez émotionnellement mais que vous n’avez pas encore totalement assumées.
Il faut se détacher, mettre un peu de distance soi-même avec ce que l’on désire mettre en perspective pour d’autres. En somme, il faut subsumer cette idée, c’est-à-dire de faire de quelque chose de personnel, quelque chose qui puisse intéresser le plus grand nombre.

La banalité du quotidien est donc à exclure. Pour qu’il soit significatif, le contexte d’une telle réalité demanderait beaucoup trop de travail.

Dans le cas d’une autobiographie, si l’on n’est pas historien, pour en faire une fiction, c’est-à-dire pour la rendre dramatique, il faut prendre une certaine distance avec les faits : ne pas inclure tel incident, changer la personnalité des personnes concernées, imaginer d’autres réactions, c’est-à-dire altérer ce qu’il s’est réellement passé dans l’intérêt de la fiction.

L’auteur et l’autrice deviennent des observateurs. Ils réorganisent les choses afin que d’autres observateurs réagissent émotionnellement à ces choses. La difficulté d’un tel processus de communication réside dans la nécessité de se fonder sur ses propres expériences pour communiquer. Des détails peuvent avoir un impact immense si on leur donne un contexte qui glorifie leur importance comme par exemple des volutes de fumée bleue dans la pénombre d’une chambre.

Sans doute, votre propre expérience est une mine d’idées pour écrire de la fiction tant que cette expérience personnelle ait quelque résonance chez autrui. Certes, ce n’est pas garantie. Il n’est pas évident de rendre le personnel comme universel. Écrire de la fiction est un défi personnel avant tout.
Néanmoins, ce que vous avez vécu, ressenti, expérimenté ou imaginé, communiquez-le avec le plus de cœur possible. La sincérité est la clef pour atteindre autrui. Des impressions personnelles peuvent s’incarner dans une intrigue et la rendre crédible auprès d’un lecteur/spectateur.

Par exemple, vous êtes dans un café bondé parce que vous aviez dix minutes à perdre. Vous observez cette masse bruyante empestant la normalité qui ne vous inspire pas vraiment. Soudain, une femme apparemment cinquantenaire, anodine et ordinaire, entre dans le café, s’assoit à une table trop éloignée pour que quiconque ait eu envie de s’y asseoir. Vous avez l’impression que cette table l’attendait. Cette femme n’a jeté aucun regard sur l’assemblée. Mais bien qu’elle aurait dû se fondre dans l’ambiance générale, quelque chose en elle attire votre attention. Décidément, le corps n’est pas un reflet de l’âme.

Le serveur prépare un café et le lui apporte. Aucun mot n’a été échangé entre eux. Au bout de quelques minutes, la femme s’en va. Personne ne l’a aperçu sauf vous et le serveur.
Vous avez noté cette scène parce qu’elle vous a parlé directement au cœur. Maintenant, ce détail est de la matière première qu’il vous faut façonner afin de le rendre dramatique, c’est-à-dire universel. C’est cela qui importe. Votre parole ne vaut que si elle peut avoir un effet sur les autres.

Une dynamique

Une idée devrait posséder un mouvement inhérent. Si l’on ne ressent pas qu’elle peut nous mener loin, il serait vain de lui ajouter artificiellement un souffle qui ne lui appartient pas.

Votre idée peut-elle s’analyser en une introduction vivante, un ou plusieurs développements spécifiques et une fin solide ? Pouvez-vous délimiter dans votre esprit une séquence d’ouverture, des scènes intermédiaires, une confrontation finale ou une résolution quelconque ?

L’important est que le sujet qui vous tient à cœur, le sujet que vous pensez pouvoir rendre immédiat et important pour le lecteur/spectateur, se concrétise en scènes de toutes sortes. Une histoire devrait mener à sa propre conclusion, même si cette résolution des choses est malheureuse.

Une fiction n’est pas une longue explication de ce qu’il s’est passé. Elle n’est pas un travail d’universitaire. Elle est d’abord une intrigue, c’est-à-dire une combinaison (telle la causalité par exemple) d’événements qui forme le nœud de l’action dramatique.

Ce mouvement est animé par ce qui est en jeu pour les personnages impliqués dans l’action. Demandez-vous quel est votre conflit central, la lutte qui est la base de l’intrigue. Demandez-vous comment vous pouvez montrer, plutôt que de dire, pourquoi cela est si important pour le personnage, pour que le lecteur comprenne, sympathise et éprouve un intérêt pour ce qu’il lui advient.

Une fiction n’est pas une rumination. La folie qui s’empare d’un couple qui se déchire peut être difficile à comprendre pour un lecteur/spectateur mais lorsque l’un des deux se lacère lui-même lors d’une scène de tension dramatique exacerbée, il est vain de vouloir tenter d’expliquer cette manifestation de violence. L’incompréhension du geste implique le lecteur/spectateur. Vous n’avez pas à craindre la mécompréhension.

Votre parole est un verbe d’action posé dans une intrigue. Une intrigue se manifeste par quelque chose qui doit être montré d’importance et montrer que les choses changent. Le mouvement est changement (et réciproquement d’ailleurs).

S’il y a action, c’est parce qu’elle est motivée par quelque chose de concret et de défini. Il y a une volonté qui veut quelque chose : combler un manque ; se libérer d’une emprise qui l’étouffe ; sauver une demoiselle en détresse et se sacrifier dans le même coup ; obtenir une reconnaissance ou simplement être aimée… Toute intention, c’est-à-dire quelque chose d’intérieur qui vise à désobéir à ce que la norme impose, qui résiste à une pression extérieure, qui veut que les choses changent et qui change elle-même constitue en soi une intrigue.

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One thought on “L’IDÉE ET L’INTRIGUE

  1. Bonjour Scenarmag, bonjour et félicitations William, très bel article fortement approuvé !

    Actuellement sur une idée (insistante depuis tout jeune mais jamais parvenue à être plus sérieusement développée), je signale seulement que le souffle qui manquerait ou présenterait des difficultés à s’en approprier le sens et un point de vue, peut aussi provenir des investigations et recherches sur le sujet et son contexte (et qui dans ce cas, n’apparaît donc pas par hasard ou sur un caprice).

    (Syd Field l’avait évoqué sans que personnellement, j’y accorde jusque là tout le crédit mérité mais l’effort de l’expérience vient néanmoins le confirmer).

    Au moindre détour, une faiblesse humaine, un défaut fatal dont il y aurait tout à coup, à dénoncer toute la douloureuse injustice, heurte forcément de front la sensibilité de sa propre vision de la société, nous impliquant soudain jusque dans une question de vie ou de mort (notamment si elle est exacerbée par l’actualité et le présent).

    Jean Cocteau avance que « les films s’écrivent à l’encre de lumière ».

    Oui qu’il faut puiser dans la lumière de sa source la plus intime. Elle est faite de foi en la vie et ne surgit que dans un souffle d’amour et incidemment de créativité : l’imagination !

    D’abord dans le dépit ou l’ignorance mais cachant en réalité une soif d’identité et de liberté pouvant aller jusqu’à sa plus profonde révolte mais aussi jusqu’à la révélation de sa véritable mission de vie et d’auteur(e) …

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