Avoir une idée n’est pas la panacée pour écrire une histoire. Une histoire exige bien plus qu’une idée. Une idée est d’abord une situation. Pour Jill Chamberlain, script consultante de son état, la vie, par exemple, est une situation, c’est-à-dire qu’un événement se produit, puis un autre, puis encore un autre… mais tout cela ne fait pas une histoire.
La causalité
Pour qu’il y ait une histoire, Jill Chamberlain insiste sur la connexion qui devrait exister entre les événements. Une action appelle une décision et celle-ci aura des conséquences. Considérons un divorce : c’est une situation. Si vous contez que certaines conditions ont été remplies (c’est le comment), vous pouvez expliquer pourquoi la tentation de céder à l’infidélité n’a rencontré que peu ou prou de résistance.
Le thème est celui de la lente désintégration d’un couple que vous illustrez avec des personnages qui agissent. Des non-dits qui se révèlent, la violence des sentiments devant l’inéluctable (le cas échéant car le but peut tout autant être la réconciliation que la perte).
Maintenant, vous racontez une histoire.
Une histoire est une progression. Il y a un point de départ, par exemple un meurtre, et vous avez cet enquêteur qui accumulera les indices qui le mèneront parfois vers des impasses et d’autres fois vers de nouvelles révélations.
Progressivement, il se rapprochera de la vérité. Le mouvement est au cœur du récit. C’est ce qui le rend vivant : l’évolution de l’intrigue certes mais ce qui fait toute la puissance d’une histoire, c’est la résonance émotionnelle que ce mouvement a sur le lecteur ou la lectrice.
Car ce sont les personnages qui font l’histoire. Les événements arrivent à des personnages. Et ceux-ci réagissent émotionnellement. Ce sont vos personnages qui parcourent les trois actes et tout au long de l’intrigue parsemée d’événements et de décisions, ils changent (surtout le personnage principal).
Les éléments d’une histoire
Jill Chamberlain propose 8 éléments qui constituent une histoire. Chamberlain considère ces éléments comme des briques dont l’assemblage forme une histoire cohérente. Ce ne sont pas des moments particuliers. Jill Chamberlain se défend d’ailleurs d’avoir créé un modèle. Sa technique fut de déconstruire (donc on parle bien de structure ici) le plus d’histoires possibles (des films en l’occurrence) et Chamberlain a abouti à la reconnaissance de ces 8 éléments structurels.
Ces 8 éléments sont donc connectés. Quatre d’entre eux correspondent à des moments précis du récit mais ce qui compte, insiste Jill Chamberlain, c’est le lien logique qui existe entre eux.
Maintenant, vous êtes l’auteur ou l’autrice de l’univers dans lequel vous jetez votre personnage principal. Il doit bien y avoir une raison à cela. Demandez-vous pourquoi vous faites suivre ce chemin spécifique à votre personnage principal. Il doit bien y avoir quelque chose en lui que vous avez décidé de faire ressortir, d’exposer ainsi au grand jour.
L’un des tous premiers éléments que nous pouvons identifier dans une histoire est ce que Jill Chamberlain nomme Flaw : défaut, faille, faiblesse, imperfection, manque, fêlure. Cela donne déjà une idée de ce que nous cherchons ici à atteindre.
Un personnage a un problème personnel, disons qu’il se sent coupable pour la mort d’un être aimé. Il n’est nullement responsable de cette mort, mais les mille raisons qui l’unissaient à cet être aimé font qu’il s’en veut de n’avoir pu empêché cette mort.
Maintenant que vous avez posé ce trauma, cette hantise, vous avez défini en partie votre personnage mais ce que vous avez obtenu, c’est une situation.
Si vous souhaitez raconter une histoire, il va falloir inventer dans le monde dans lequel vous avez jeté votre personnage, quelque chose qui testera cette faiblesse du personnage car c’est par ce moyen que votre personnage est vulnérable, qu’on peut l’atteindre.
Jill Chamberlain vient aussi avec un exemple intéressant à propos de Tootsie. Quel est le problème personnel de Michael Dorsey ? Son manque de respect envers les femmes. Il est vrai qu’il a un sérieux problème avec les femmes et cela est démontré par sa relation avec Sandy.
Maintenant, quel serait le plus grand défi que peut lui proposer le monde de Tootsie ? De devenir lui-même une femme.
Une relation au monde
Beaucoup de ce qu’il se passe dans un récit est un rapport d’intersubjectivité. C’est dans la description de la relation à autrui qu’on explique qui est un personnage (c’est une situation). Nos relations aux autres évoluent mais c’est nécessaire mais non suffisant pour faire une histoire.
L’histoire commence dans la relation à l’univers du récit.
Si votre personnage est un prêtre par exemple, ce sera la remise en question de sa propre foi qui le mettra au défi. Le monde du récit est celui de l’Église, administration des hommes disait Kant, mais le véritable substrat du récit est le rapport à Dieu et en fin de compte, à soi-même.
A un moment donné, il y aura un événement qui forcera le personnage à prendre conscience de son malaise, à confronter ses propres démons. Un concept important à retenir, souligne Chamberlain, est que votre héros ou votre héroïne ne sont pas des victimes du monde.
S’il y a une injustice à réparer, elle concernera quelqu’un ou quelque chose qui leur est proche. Les circonstances ne font pas du personnage principal une victime. Michael Dorsey n’est pas acculé à se travestir en femme. C’est un choix tout à fait volontaire. Un garçon ou une fille ne sont pas poussés par une force extérieure à changer de sexe. Ils le font volontairement pour se mettre en conformité avec leur véritable nature malgré l’opposition qu’ils pourraient rencontrer dans leur monde.
Héros et héroïnes croulent sous le poids de leur propre fardeau. Si vous les victimisez, vous ajoutez un matériel dramatique arbitraire qui va à l’encontre du déroulement de l’histoire. Par sa nature même, le personnage principal est un être proactif. S’il est victime, il subit.
Voici l’intérêt d’une faille dans sa personnalité (le Flaw de Chamberlain) : le personnage est responsable de ce qu’il lui arrive. Il y a en lui quelque chose de profond qu’il a d’énormes difficultés à formuler et qui fait de lui un personnage unique et explique sa présence dans l’histoire contée. Il ne s’agit pas d’adapter des pensées aux faits mais qu’une pensée telle qu’un fort sentiment de culpabilité ou un trauma quelconque devenu névrose voire psychose oriente les événements.
Il y a donc adéquation entre la faille et les actions si l’on espère que la fin ne soit pas frustrante pour le lecteur/spectateur.
Dans une fiction, les événements ne sont pas objectifs. Ils ne sont pas indépendants des personnages. Forcés de confronter ses propres peurs, de réaliser ce qu’il lui manque, le personnage réunit alors les conditions nécessaires et suffisantes pour changer (classiquement en un être meilleur qu’il n’était au début du récit).
Une histoire, c’est l’histoire d’un personnage qui brise un cycle qui le maintenait dans une apathie qui l’empêchait de s’accomplir. C’est d’un rien que l’on gâche une vie.
Tout commence avec un protagoniste
Le protagoniste est le fondement de votre idée. Après avoir jeté les toutes premières briques de la personnalité de votre héros ou de votre héroïne (en particulier, la faiblesse qui les caractérise), l’élément suivant à mettre en place est ce que Jill Chamberlain nomme le Set-Up Want.
Habituellement, on donne au protagoniste un but singulier qui se solidifie au moment de l’incident déclencheur. Ce but nous apparaît à peu près clairement. Puis il durera jusqu’au moment du climax, c’est-à-dire lorsque le but sera réalisé ou non.
Je l’avoue, c’est un peu trop rigide. Pourquoi attendre un incident déclencheur pour que le personnage principal comprenne le sens d’une aventure qu’il ne s’apprête même pas encore à vivre ? Plutôt, pourquoi ne pas lui offrir aussitôt un désir concret ? Ce désir initial (Set-Up Want) pourrait être la motivation du désir principal de l’histoire, c’est-à-dire un objectif.
Dans Avatar, Jake Sully veut retrouver l’usage de ses jambes. On lui promet ensuite que s’il infiltre les Na’vi, il obtiendra la procédure médicale nécessaire pour pouvoir marcher (ce qui donne lieu au désir externe central). Incidemment, son désir change à mi-parcours lorsqu’il réalise qu’il veut protéger les Na’vi au lieu de les détruire.
Après que le Set-Up Want soit établi, nous atteignons le Point of No Return. Ce point de non retour est le moment où le personnage principal reçoit son Set-Up Want, c’est-à-dire que ce désir initial est réalisé. Ce moment clôt l’acte Un et propulse le lecteur dans l’acte Deux. C’est un moment extérieur au personnage. Jusqu’à présent, son exposition, son désir initial ont été des aspects internes au personnage.
Lors du point de non retour, le personnage est en relation avec une force extérieure, un agent par lequel son désir initial sera réalisé. Dans Un Jour sans fin, le point de non retour est atteint lorsque Phil Connors se réveille et découvre qu’il vit le même jour que la veille. Chamberlain estime qu’il y a quelque chose de la destinée dans le point de non-retour. C’est une volonté différente de celle du personnage principal qui intervient dans ce Point of No Return. Le protagoniste n’a aucun contrôle sur cet événement. Michael Dorsey est sur le point de saboter son audition mais la productrice du show télévisé voit en Dorothy Michaels l’opportunité de relancer le show et elle engage Dorothy.
Mais cette obtention a un coût. Car dans le même coup, le protagoniste récupère quelque chose dont il ne voulait pas. Le désir initial de Jason Bourne (le Set-Up Want) est que Bourne veut découvrir qui il est. Au point de non retour (Point of No Return), il découvre dans un coffre des documents attestant son identité. Mais la contrepartie (que Chamberlain nomme Catch) est que cette identité fait de lui un dangereux criminel.
Au point de non-retour, lorsque nous considérons ce Catch qui accompagne l’accomplissement du désir initial du personnage principal, nous devons également tenir compte de l’arc dramatique du personnage (son évolution personnelle au cours de l’aventure).
La plupart des histoires nous montrent un personnage allant d’une faiblesse morale à une force morale (Strength). Dans ce cas, quelle est la chose qui retient votre personnage ? Quelle est sa faille (Flaw) ? Et comment le Catch va-t-il forcer le personnage à affronter son défaut au cours de l’intrigue ?
Maintenant que Jason Bourne connaît les informations sur son identité, comment gérera t-il ces informations ? Le Catch servira de fil conducteur pour le reste de l’histoire.
Faiblesse & Force
A partir du point de non-retour, deux cheminements sont possibles pour l’arc dramatique du personnage principal : soit il s’éloigne progressivement de sa faiblesse pour rencontrer à l’issue d’une dernière étape cette force (Strength) à laquelle il aspirait depuis l’acte Un et qui couvait déjà en lui mais sans pouvoir l’exprimer.
Soit, le personnage échoue à assumer cette force et à l’issue d’une dernière étape raffermit cette faiblesse, cette fracture qui le caractérise dorénavant totalement. La tragédie se clôt sur un châtiment.
Il faut être cohérent avec son personnage dans cette tragédie. Ce n’est pas que des agents extérieurs le surpassent et qu’il succombe. Sa faiblesse, ce qui le rend vulnérable, participe activement à sa défaite. Il change malgré tout. Il s’enfonce encore plus profondément dans sa psychose, en quelque sorte. La chute est plus sévère. C’est un échec car il ne guérit pas. Même s’il réussit par ailleurs l’objectif extérieur, par exemple celui de sauver le monde, s’il échoue pour lui-même à trouver un quelconque réconfort, ce triomphe universel sera, malgré tout, une tragédie.
C’est indéniable : ce qui structure toute histoire est le protagoniste. Ce qui définit le protagoniste, c’est le problème intime qu’il a envers lui-même, envers le monde, envers ses parents… Ce qui hante votre personnage et la manière dont vous allez gérer cette hantise (c’est vous qui la nommez) est le garant de la qualité de votre histoire.
Considérons un mécanisme d’horlogerie. Lorsque nous sommes en sa présence (c’est-à-dire que nous l’apercevons, que nous avons conscience qu’il y a devant nous un phénomène), nous constatons sa marche régulière. Nous apprécions aussi la main de l’artisan qui a su excellemment organiser tous les rouages internes. Cela suppose qu’un savoir fut transmis.
La mesure du temps importe peu ici. Ce qui importe est que nous comprenons la marche régulière de ce mécanisme d’horlogerie par l’agencement génial de ses rouages. C’est dire que l’horloge est construite d’après un plan établi et qu’elle fut construite dans un but précis. Chacun des éléments qui la compose est posé en vue du but à atteindre.
Une histoire est tout à fait comparable. Si vous posez un manque dans la vie d’un personnage, l’ordre naturel des choses serait que ce vide est appelé à être comblé. Mais rien n’est vraiment déterminé.
Un personnage s’élabore (en plus de ses traits de personnalité) avec un désir et un besoin. Le désir est extérieur et habituellement à la vue et à l’ouïe des autres personnages. Par exemple, votre personnage principal est une jeune femme qui veut obtenir le divorce. C’est son désir. Pourquoi veut-elle divorcer ne se trouve pas dans l’évolution de la relation du couple mais plutôt en la jeune femme elle-même qui ne parvient pas à être aimée comme elle a besoin d’être aimée. Si le désir et le besoin sont satisfaits ou seulement le besoin, c’est une fin heureuse.
En revanche, si le désir est satisfait et que le besoin n’est pas comblé ou que ni le désir, ni le besoin ne sont satisfaits, alors nous avons une tragédie.
Un écho
Il pourrait être intéressant du point de vue narratif que l’image ou la séquence d’ouverture se répète dans l’image ou la séquence qui clôt le récit. Cela implique la présence implicite d’un narrateur. Quelqu’un s’apprête à nous conter une histoire. Cela capte aussitôt l’attention car nous sommes dans l’attente. Boulevard du Crépuscule et American Beauty utilisent cette technique narrative.
Après le Point of No Return et le Catch collatéral, si vous avez prévu un happy ending, c’est-à-dire que votre personnage principal change pour le meilleur de lui-même, par exemple, votre personnage a un profond mépris pour la nature humaine puis, au cours de son aventure, il grandira parce que les expériences qu’il vivra le rendront plus ouvert à la compassion, plus à l’écoute d’autrui que de ses propres intérêts, donc, si votre personnage est appelé à ainsi changer, alors son cheminement à travers l’intrigue le mènera vers une crise majeure.
Cette crise est nécessaire car, comme dans la vie réelle, si nous ne touchons pas le fond, nous ne serons pas capables de lever le voile sur notre erreur.
Selon Jill Chamberlain, cette crise (Crisis) devrait être un exact opposé du désir initial (le Set-Up Want). Dans Un Jour sans fin, cette crise apparaît lorsque Phil Connors avoue à Rita, son Love Interest, la vérité sur ce qu’il se passe. Tous deux ont eu une excellente journée ce qui n’est pas dans les habitudes de Phil.
Puis lorsqu’ils sont tous deux dans la chambre de l’hôtel, Phil dit à Rita que dès demain, elle pensera encore de lui qu’il est un véritable crétin. Alors ce que souhaiterait Phil est que ce moment merveilleux qu’il vit maintenant avec Rita ne cesse jamais. Ce qui est tout à fait ironique puisque Phil est condamné à revivre sans cesse la même journée.
Cette crise s’oppose directement à son désir initial de reprendre le cours normal de sa vie.
Après la crise (Crisis) vient le moment du climax. Nous débutons alors l’acte Trois. Jill Chamberlain nomme ce moment le Climactic Choice car il s’agit effectivement d’un choix à faire. Phil Connors, par exemple, doit prendre la difficile décision d’accepter son sort. C’est-à-dire qu’il s’est décidé à éprouver de la compassion et de l’empathie pour autrui. Et il devient le héros de la ville.
Ainsi, il rompt la malédiction et l’histoire aboutit à ce que Chamberlain nomme le Final Step. Cette ultime étape voit disparaître totalement la faille dans sa personnalité (qui faisait de lui un être profondément égoïste). Il est devenu cet être pour qui autrui est important, plus important que sa propre personne et si nous cherchons un sens à nos vies, c’est certainement dans notre relation aux autres que nous pouvons le trouver.
Une réunion
Pour Chamberlain, c’est dans la réunion de ces huit éléments (Set-Up Want, Point of No Return, Catch, Crisis, Climactic Choice, Final Step, Flaw et Strength) que se fait une histoire. S’il apparaît que certains éléments ne coïncident pas avec les autres, alors il faut ajuster le contenu de chacun d’entre eux afin que la réunion forme un tout cohérent.
Jill Chamberlain se défend d’avoir écrit une méthode. Ce qu’elle propose, c’est d’orienter nos réflexions sur ces huit éléments. Ensuite, si le besoin s’en fait sentir, vous pourriez détailler un peu plus en préparant un plan de vos événements majeurs mais Jill Chamberlain conseille néanmoins de ne pas aller trop dans le détail afin de conserver une certaine fraîcheur lors du processus d’écriture proprement dit.
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Bonjour Scenarmag, bonjour William, bravo et merci de ces très justes propositions de Jill Chamberlain, à ne pas se priver de se consigner dans un mémo.
En admettant d’abord ou aussi (selon un tout dernier enseignement reçu et à bien intégrer) que tout (le sujet, les personnages et leurs actions) réside dans le tiraillement entre le coeur et la raison.
Bonjour Patrice, tout le romantisme s’est élevé contre la suprématie et l’arrogance des lumières. Et c’est tant mieux.