STRUCTURE & PERSONNAGES

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Structure et personnages font rarement bon ménage. Scenar Mag se fait souvent l’écho du Hero’s Journey de Joseph Campbell, du Save the Cat ! de Blake Snyder ou encore des théories de Syd Field.

Mais Craig Mazin (Chernobyl) fait remarquer que la plupart des Beat Sheet d’un scénario abordent le métier comme un assemblage de pièces après coup, ce qui, selon lui, n’est pas la bonne façon de voir les choses. Vous devriez plutôt considérer qu’il s’agit de créer quelque chose de nouveau, à partir de rien.

Ces feuilles de route que sont les Beat Sheet sont le précurseur d’un scénario : elles identifient les moments importants d’un épisode ou d’un long métrage et décrivent ce qu’il doit se passer à chaque acte de l’histoire (ce sont les Story Beats. Habituellement, sur un scénario d’une centaine de pages, une quinzaine de Story Beats apparaissent).

La Beat Sheet identifie les moments émotionnels clés d’une histoire, tandis que le plan (ou outline) développe ces moments par des scènes, des lieux et des détails spécifiques.

On dénote quatre types de Story Beats dont la plupart sont d’ordre émotionnel mais ils peuvent être aussi des nœuds dramatiques.

  • Les circonstances dans lesquelles se trouvent le personnage principal et qui l’amènent à reconsidérer les choses. Ces situations particulières sont l’occasion pour les personnages d’exprimer leurs points de vue ou le désir qui les motive, qui les fait agir. Elles peuvent décrire aussi une interaction qui modifie considérablement une relation. Ces situations particulières sont en fait des moments clés de l’avancement de l’intrigue.

  • Les prises de conscience sont souvent de petits moments subtils et tranquilles qui surviennent après une certaine accumulation de signes. Un personnage peut être témoin d’un geste ou d’un regard qui révèle la trahison de son meilleur ami, ou découvrir qu’il y a une raison pour laquelle par exemple il n’obtient jamais de promotion au sein de son activité professionnelle.
    Les temps de réalisation aident ainsi les personnages à prendre des décisions sur la base des informations dont ils disposent, un choix qui assurera certainement l’orientation de l’histoire ou de l’arc dramatique du personnage dans une toute nouvelle direction.

  • Ce sont simplement des moments clés comme l’incident déclencheur ou encore (comme habituellement l’incident déclencheur se voit opposer un déni de la part du personnage principal) ce moment du passage dans l’acte Deux où le personnage principal réalise soudain ce qu’il doit faire, prend en charge son problème et s’engage volontairement dans l’aventure.

  • Tout au long de son périple au cours de l’intrigue, un personnage rencontre des alliés et des antagonistes, des personnages qui apportent un conflit et une dimension supplémentaires à l’histoire. Les interactions notables (par exemple, un héros qui affronte le méchant lors de la bataille finale) sont des moments importants qui façonnent l’intrigue.
    Les conversations entrent également dans cette catégorie : même un dialogue apparemment mineur, comme une adolescente et son père qui se disputent au sujet du couvre-feu, peut déterminer l’issue du reste de l’histoire.

Quelque chose de nouveau

personnagesPour Craig Mazin, la structure est la relation qu’entretient un personnage avec l’argument majeur du récit. Un argument dramatique est une façon plus directe de parler d’un thème. Essentiellement, l’argument dramatique est une position que vous voulez défendre dans votre récit. Ainsi, par exemple, la fraternité prise isolément (de manière abstraite comme un concept) n’est pas un argument dramatique, mais l’humanité est plus forte ensemble est une position dans un argument ou un débat (une comparaison de concepts, ici l’humanité et la notion de force ou de puissance, ce qui sous-tend aussi une contradiction force/faiblesse) qui peut être exploré de manière dramatique.

L’argument dramatique ou thème donne à l’histoire une dimension qui dépasse la simple intrigue, car les leçons tirées d’une bonne histoire peuvent changer fondamentalement notre façon de vivre, de voir autrui, en un mot de voir autrement le monde si l’argument dramatique est présenté de manière suffisamment convaincante.

Nous sommes très attachés à l’argument dramatique parce qu’il ne nous est pas présenté sous la forme d’un cours magistral, mais par l’intermédiaire d’un personnage auquel nous nous identifions. Tout au long de la structure d’un récit, le protagoniste évoluera de telle sorte qu’il en viendra à incarner l’argument dramatique. D’une scène à l’autre, cela se fait en utilisant la dialectique hégélienne, qui est une expression pour dire que votre personnage (qui représente pour l’occasion une thèse) se heurte à un obstacle (qui devient alors l’antithèse) et qu’il est changé par le conflit (la synthèse). Finalement, avec suffisamment de nouvelles synthèses, le protagoniste changera fondamentalement. Et ce changement, c’est précisément ce que l’on cherche à obtenir de lui.

En d’autres termes, si vous racontez une bonne histoire, nous dit Mazin, vos Story Beats (ou ces temps nécessaires) suivront le personnage et son argument dramatique d’une manière qui a un sens structurel, car les temps de l’histoire ont tendance à se produire naturellement.

Ne cherchez pas à insérer de force votre scénario dans un modèle – car vous vous enfermerez alors dans une structure sans penser d’abord à votre histoire. Par exemple la crise existentielle, qui accompagne le point médian du récit ou en est la conséquence, est certes un nœud dramatique structurel qui est un Story Beat assurément mais ce que Craig Mazin explique est qu’elle ne se pose pas d’elle-même, elle deviendra naturelle parce que d’autres moments (ou Story Beats) ont menés logiquement à cette crise existentielle que tout héros ou héroïne connaît dans le cours de son existence fictive.

L’incident déclencheur et le renversement du point médian doivent toujours se produire, mais sans l’effort de travailler à rebours à partir de la structure initiale (celle que vous aurez choisie comme le préconise Joseph Campbell ou Blake Snyder ou d’autres).

Le changement : clé de lecture fondamentale

Ce que cherche à dire Craig Mazin, c’est qu’on ne pose pas d’abord la crise existentielle comme un fait établi et qu’on s’évertue ensuite (souvent avec difficultés) à remonter la chaîne des événements qui ont mené possiblement à cette crise.
Ce sont ces événements antérieurs sans visée singulière vers la crise qui, de manière naturelle, provoquent cette crise majeure et inéluctable.

Un récit est un changement d’état, ajoute Craig Mazin. Cela s’opère de trois manières différentes. Le premier changement est interne et concerne les pensées et les émotions du personnage. Le deuxième est le changement interpersonnel et décrit comment les relations de votre personnage changent (pour ceux que cela intéresse, la théorie et la pratique Dramatica distingue parmi les lignes dramatiques, la Subjective Story Throughline qui illustre le changement entre le personnage principal et son Influence Character).

Le troisième changement est externe, c’est l’intrigue de base avec un début et une fin.

Mazin dit qu’il faut penser à une histoire en termes de thèse, antithèse, synthèse. Chaque scène commence par une vérité, qui est ensuite remise en question, et une nouvelle vérité émerge. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que vous ayez suffisamment de scènes pour une histoire entière.

Ainsi, l’importance du thème est une évidence. Car c’est le thème qui empêche que votre récit se clive en scènes indépendantes dont le tissage ne donne pas un tout. Vous ne pouvez pas vous servir d’un concept ou d’une idée usurpée. Vous ne pouvez pas prendre une idée comme un préjugé.

personnagesConsidérez Quand Harry rencontre Sally par exemple. Le thème qui s’énonce dans la prémisse est que les hommes et les femmes ne peuvent pas être seulement amis. Vous posez ainsi une affirmation que vous pourrez argumenter. Si vous prenez un concept ou une idée que vous ne comprenez pas mais seulement parce qu’ils vous semblent posséder quelques potentiels, certainement vous écrirez des scènes intéressantes mais que chercherez-vous vraiment à dire ?

Lorsque vous vous lancez dans un nouveau scénario, vous avez peut-être une idée ou une image. Mais ce n’est pas suffisant. Votre prochaine réflexion doit porter sur l’argument dramatique central : que dit votre histoire à un niveau thématique plus profond ?

L’illustration est en surface, après tout nous sommes par nature des êtres sensibles. Mais vous, en tant qu’auteurs et autrices, pouvez-vous penser à un niveau plus profond, c’est-à-dire thématique ? Vous avez posé le comment mais vous êtes-vous interrogé sur le pourquoi ? L’idée de base de Le Monde de Nemo est simplement qu’un poisson doit trouver un autre poisson dans l’océan. Mais à un niveau plus profond, dit Mazin, le film raconte comment, quel que soit l’amour que vous portez à quelqu’un, vous pouvez être amené à le laisser partir.

Le thème avant tout

Dans une structure thématique qu’elle soit morale ou religieuse puisqu’en fin de compte, tout ressortit aux préceptes qui appartiennent à l’une ou/et l’autre, le parcours que suivra votre personnage sera didactique. Il passe de l’ignorance de la vérité de votre argument thématique à l’incarnation de l’argument par l’action. Ainsi, au début du récit, dans le monde normal du personnage, celui-ci croira probablement le contraire de votre thème.

Dans le cas du Monde de Nemo, Marlin (le personnage principal) est heureux de garder son fils près de lui et en sécurité, au risque de l’étouffer et de provoquer du ressentiment. L’incident déclencheur est, pour sa part, destiné à perturber le monde et la situation de stase en quelque sorte du personnage.
Veillez, rappelle Craig Mazin, à ce que cet incident soit adapté à votre personnage afin de détruire ce monde ordinaire souvent forgé d’habitudes de manière spécifique. Dans Le Monde de Nemo, l’incident déclencheur (la capture de Nemo) est ce qui fait sortir Marlin de sa zone de confort.

Donc, après avoir détruit le monde ordinaire de votre personnage, que veut-il maintenant ? Il veut un retour à la normalité des choses qu’il pense lui convenir. Et c’est ce qui va vous propulser dans le deuxième acte.

Précisons aussi que cette normalité souhaitée peut être quelque chose qui existait avant le début de l’histoire et que le personnage principal redécouvre soudain une exigence à retrouver cet état des choses qu’il connaissait. Considérons par exemple Frank de Le Verdict. Quand il prend la décision d’accepter l’affaire, c’est, lorsqu’il est face à cette jeune femme dans le coma, qu’il prend conscience de tout ce qu’il a perdu et qu’il lui faut regagner.

Le deuxième acte est le moment où le périple se déroule et où les relations se forment et se perdent. C’est aussi là que se produit le retournement de situation du point médian, ou le moment où votre personnage subit un horrible obstacle qui semble impossible à surmonter.

Craig Mazin suggère que c’est le moment de renforcer la négation de votre thème. Le personnage doit vivre des moments qui lui donnent encore plus envie de retourner dans sa situation initiale. L’acte Deux est un lieu de souffrance pour le personnage principal.

Mais vous devez aussi introduire le doute. Faites en sorte que votre héros rencontre quelqu’un qui croit le contraire de ce qu’il croit, et poussez-le vers une autre façon de penser (la théorie et pratique Dramatica considère que cette rencontre est celle d’un Influence Character, c’est-à-dire un personnage dont la présence auprès du personnage principal est déterminante quant à la façon de penser de ce dernier).
Au cours de cet acte Deux, prévoyez un moment où votre personnage principal est en quelque sorte impliqué dans le « bon côté » de votre argument thématique. Ce sera comme une révélation pour lui. Il prend conscience que toute sa vie a été jusqu’à présent un mensonge. C’est bien cela qui cause la crise existentielle (que le point médian annonce habituellement). Le personnage ouvre enfin les yeux sur une vérité qu’il refusait de voir mais se sent encore incapable de changer complètement. Le changement est au cœur du mouvement de l’acte Deux. Votre personnage principal n’appartient pas à la statuaire grecque qui fixe une beauté éternelle.

La préparation de l’acte Trois

personnagesDans Le Monde de Nemo, ce moment est la séquence des méduses. Marlin voit pendant une seconde que s’amuser, et ne pas s’inquiéter constamment, pourrait être un nouveau mode de vie. Mais ensuite, Dory se fait piquer et ce moment le renvoie à son ancienne peur. Et cette séquence se conclue par une perte de connaissance de Marlin.

Il faut vraiment que vous bousculiez vos personnages. Cela conduit à un drame immense et donne à votre histoire une autre direction pour l’acte final. À ce point médian, votre personnage doit s’éloigner de ce qu’il croyait au début, mais il ne doit pas encore embrasser complètement la vérité de votre thème.

Les obstacles et les temps forts de la ligne dramatique de votre personnage, une ligne qui décrit les étapes successives de son évolution, ne doivent pas être des événements aléatoires qui l’empêchent d’atteindre son but. Ils doivent avoir un lien thématique avec lui et sa question dramatique centrale.

Le héros ou l’héroïne réussiront-ils à triompher est la question dramatique objective puisque la réponse à cette question dépend de conditions extérieures au personnage. En revanche, la question dramatique centrale du personnage est de savoir s’il réussira ou non à changer.

Considérons que la thématique d’un récit serait la reconstruction identitaire. Nous avons alors un personnage qui reste comme suspendu au passé. Il ne cesse de revenir à un souvenir et cela le fait souffrir au point qu’il s’est inventé une version de lui-même erronée qu’il présente au monde comme sa propre vérité.

Ne vous contentez pas d’une simple névrose mais décrivez une affection psychique grave. Cette face de lui-même qu’il présente au monde (sa personæ) est sa vérité. Elle peut le mener à des gestes qui pourraient blesser autrui ou du moins d’agir contre la loi (souvent morale d’ailleurs).
Ce mode d’être actuel de votre héros ou de votre héroïne est la conséquence d’un trauma ou d’un stress post-traumatique. Il est souvent traduit par une culpabilité qui devient alors une véritable torture.

La véritable tragédie n’est pas si le héros n’obtient pas ce qu’il veut. Il pourrait très bien échouer dans son objectif. La tragédie est justement s’il échoue à changer. La tragédie est lorsque non seulement il ne réussit pas son objectif et ne parvient pas non plus à devenir cet autre, ce véritable lui-même auquel pourtant il aspire.

Frodon Sacquet, par exemple, lorsqu’il quitte les Terres du Milieu (métaphoriquement lorsqu’il meurt pour rejoindre un lieu où ces souffrances morales s’apaiseront), c’est parce que toutes les expériences vécues au cours de son aventure l’ont transformé. Il a perdu cette innocence qui caractérise tant le peuple Hobbit. Dorénavant, il ne peut plus rester chez les siens mais néanmoins, Frodon a triomphé à la fois sur son objectif et sur son besoin. Ce n’est donc pas une tragédie mais un moment émotionnel puissant.

C’est précisément cette émotion qu’il faut instiller dans l’esprit de vos lecteurs et de vos lectrices.

Le dénouement

Cette anagnorisis (la reconnaissance par le personnage qu’il se ment à lui-même par exemple) le conduit à un point critique, c’est-à-dire lorsque l’objectif de votre personnage est totalement détruit et qu’il n’y a apparemment aucun intérêt à continuer. Ce devrait être le moment où votre personnage est le plus perdu (on nomme ce moment le Dark Night of the Soul). Cette Dark Night of the Soul est une étape du développement personnel au cours de laquelle une personne subit une transition difficile et significative vers une perception plus profonde de la vie et de la place de cette personne dans celle-ci.

Cette prise de conscience s’accompagne d’un abandon douloureux des cadres conceptuels antérieurs, tels qu’une identité, une relation, une carrière, une habitude ou un système de croyances, qui lui permettaient auparavant de donner un sens à sa vie.

La catharsis vient après, avec ce moment décisif qui mènera le personnage à la synthèse. Cette catharsis est à comprendre comme une purgation, un moyen de dépassionner le personnage du voile qui le recouvrait. Il perd ses illusions et c’est douloureux mais c’est un passage obligé dans lequel il prend conscience de lui-même et cela lui ouvre de nouveaux horizons.

Cette synthèse comme le formule Craig Mazin, toute chargée d’émotions, peut nous permettre aussi d’ouvrir nos propres yeux sur notre place dans le monde et sur les illusions que nous avons élaborées pour nous y adapter.

En pratique, vous allez concevoir un moment (une scène ou une séquence) qui testera la foi de votre personnage principal dans le thème. Par exemple, si le thème de l’arc dramatique de votre personnage (son évolution) consiste à s’ouvrir au monde alors qu’un trauma l’avait si fortement replié sur lui-même, alors vous pourriez l’amener à brûler l’objet symbolique qui le retient dans son passé.

Considérons que votre héroïne ait conservé une paire de lunettes appartenant à son amant qui se serait défenestré au moment où elle lui avait annoncé son intention de rompre, lorsqu’elle prendra conscience qu’il lui faut se dépasser, qu’il lui faut aller de l’avant et retrouver son élan de vie en cessant de se culpabiliser pour cette mort, alors elle pourrait jeter au feu cet objet.

Ainsi, comme l’explique Craig Mazin, elle prouve sa foi en votre thème. Le personnage doit faire face à un moment où il prouve que sa façon de penser a changé, et il doit le prouver par l’action. Il y a plus parce que, par ce geste, il rejette sa zone de confort.

Ainsi, Marlin récupère finalement Nemo, mais perd ensuite Dory dans un filet de pêche. Il doit choisir de laisser Nemo partir, même s’ils viennent d’être réunis, afin de sauver Dory. Ce n’est pas seulement que Marlin laisse Nemo partir, Nemo est blessé et presque mort. Et le lecteur/spectateur voit Marlin accepter cela. C’est fascinant parce que cela montre qu’il a grandi tout au long de l’histoire et qu’il agit maintenant en fonction du thème.

Si vous abordez l’histoire comme une problématique de thème et de développement du personnage, et si vous créez des moments qui remettent en question les croyances du personnage, les points forts se mettront en place naturellement.
Ne vous forcez pas à travailler à rebours à partir d’un plan. Travaillez dans le cadre de votre question thématique, conseille Mazin.

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