La crédibilité est une arme peu fiable pour attaquer un film que vous n’aimez pas. Cinq minutes après avoir ridiculisé un film pour son manque de vraisemblance, vous pourriez bien vous retrouver à défendre une œuvre favorite contre le même genre d’accusation. Le fait est que nous avons tous des seuils différents à partir desquels nous suspendons le doute, puis nous suivons volontiers les fictions jusqu’à des conclusions que nous trouvons logiques.
Lorsque nous admirons une œuvre pour quelque raison que ce soit, la logique peut être mise en veilleuse. Dans le cas contraire, nous devenons férocement logiques, bien-pensants, arbitres sévères de la raison.
Il suffit de considérer subjectivement qu’un fait est improbable pour que soit jeté l’opprobre sur tout autre événement du récit. Alfred Hitchcock et François Truffaut ont longuement discuté de cette partie du public du cinéma que Hitchcock appelle « our old friends, the plausibles« . Les deux cinéastes s’accordèrent à dire que les pires « plausibles » sont généralement les critiques de cinéma qui, dans leur effort d’objectivité, ont tendance à être ennuyeux et sans imagination.
Mais il semble que chacun d’entre nous ait une capacité à se raccrocher à la vraisemblance lorsque la situation s’y prête. Même les enfants, dont l’imagination peut s’envoler à tout moment, deviennent, immédiatement après en être revenus, de grands inquisiteurs au nom du plausible.
La vérité est ailleurs
»Soyons logiques », dit Hitchcock à un moment donné, »si vous devez tout analyser en termes de plausibilité et de crédibilité, alors aucun film de fiction ne peut résister à cette approche, et vous vous retrouvez avec un documentaire ».
Il incombe aux auteurs de créer un univers de fiction si convaincant et si complet que nous ne remarquons pas les invraisemblances ou, si nous les remarquons, elles ne font pas de différence. Le problème est que peu de films sont aussi convaincants ou aussi complets.
Considérons Le Choix de Sophie de Alan J. Pakula d’après le livre de William Styron. Il y a quelque chose d’un peu trop étudié et d’un peu trop conscient pour que ce récit soit complètement satisfaisant. En conséquence, nous avons tendance à pinailler, à devenir terriblement réalistes sur des choses qui autrement n’auraient pas d’importance.
Lorsque Sophie, Nathan et Stingo, le jeune narrateur, décident de célébrer l’ascension de Stingo à un panthéon qui comprend déjà William Faulkner et Thomas Wolfe, ils se retrouvent à Flatbush puis, une seconde plus tard, ils sont au milieu du pont de Brooklyn, à plusieurs kilomètres de là. Comment, pourraient se demander les incrédules, sont-ils arrivés là ?
Si le film fonctionnait à un niveau plus profond, et si l’autosatisfaction de cette scène n’était pas si embarrassante, le public pourrait accepter la bonne humeur des personnages. Mais comme tout semble légèrement décalé, nous devenons grincheux, nous nous interrogeons sur le mode de transport emprunté par les personnages (ce qui est totalement hors du sujet) et nous soupçonnons que le décor du pont a été choisi parce qu’il est plus photogénique que Flatbush Avenue (une conclusion pour le coup totalement inutile).
Considérons maintenant Poltergeist de Steven Spielberg, Michael Grais et Mark Victor, on peut admirer Poltergeist et la logique de sa fantaisie cauchemardesque, le film a cependant failli faire perdre pied lorsque, vers la fin, nous nous apercevons que la famille allait passer une nuit de plus dans sa maison hantée, juste après le retour de la petite fille de l’au-delà.
Peu importe à quel point nous sommes absorbés par un film, une seule fausse note peut tout détruire. Compte tenu de ce qu’ils venaient de vivre, n’auraient-ils pas fait leurs valises à ce moment-là et ne se seraient-ils pas réfugiés dans un motel ? Bien sûr qu’ils l’auraient fait, mais alors les auteurs n’auraient pas pu justifier la séquence décisive qui explique l’origine des démons du film. Heureusement, cette dernière séquence est suffisamment spectaculaire pour surpasser celles qui l’ont précédée, de sorte que les questions de plausibilité ne font pas de dégâts permanents.
Les conventions du genre
En faisant preuve de tolérance, nous acceptons des choses illogiques comme des conventions du genre. Il y a, cependant, la question plus sérieuse de l’intrigue qui pourrait manquer de cohérence. Le soupçon reste toujours présent à la périphérie de notre plaisir.
Dans Le Verdict de Sidney Lumet, qui raconte l’histoire d’un procès pour faute professionnelle intenté à un hôpital catholique de Boston, Frank est un avocat ivrogne, coureur d’ambulances, qui sera sauvé s’il gagne le procès, ce qui semble impossible.
Frank, cependant, est quelqu’un qui est à terre et presque hors jeu mais qui n’est pas prêt à l’admettre. Les auteurs ont tellement empilé les cartes contre ce personnage que le lecteur/spectateur s’attend à ce que rien de moins qu’un miracle puisse sauver la situation, ou, au moins, une brillante manœuvre de salle d’audience qui aura l’effet d’un dénouement.
Or, après avoir mis en place une situation impossible, le film se contente de faire en sorte que l’avocat et ses associés tombent sur un témoin clé. Puis, pour couronner le tout, le jury, si je comprends bien ce scénario, ignore allègrement les instructions que lui donne le juge.
On ne sait pas si le propos du film était le manque de logique du jury, c’est-à-dire son indépendance vis-à-vis du juge, ou si le film lui-même était illogique. Il n’est pas facile d’aimer un film quand on a l’impression qu’il n’a pas été complètement honnête avec nous.
Il arrive cependant qu’un récit soit trop honnête comme lorsque qu’un personnage exprime ouvertement les objections de son lectorat à ce qu’il se passe. C’est comme si l’auteur, ayant des doutes sur sa propre imagination, tentait de neutraliser l’invraisemblable en le nommant et en faisant dire à l’un de ses personnages qu’il ne peut croire à ce qu’il se passe ou que le personnage s’étonne lui-même de la décision qu’il a du prendre dans des circonstances particulières.
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