Le monde de l’histoire est un questionnement initial. Il découle d’une idée, de quelques personnages, d’un quelconque thème qui nous interpelle. Ce monde s’ancre t-il dans la réalité, du moins dans ce que nous en percevons au quotidien par nos sens ou bien est-il une pure invention de l’imagination ?
Qu’il soit une imitation (il l’est toujours un peu d’ailleurs) ou s’il décrit un univers fantasmagorique, ce qui importe, c’est qu’il semble réel pour le lecteur et la lectrice.
D’abord, un lieu
Nombre de récits nous situent d’emblée dans le milieu dans lequel on nous invite à nous immerger corps et âme le temps d’un récit. Par exemple, Philadelphia de Ron Nyswaner et Jonathan Demme dépeint une société en proie à ses démons sur la libération sexuelle en l’illustrant par le procès intenté par un avocat homosexuel et atteint du sida contre son ancien cabinet pour licenciement abusif.
Ainsi, le monde du récit devient un cadre mais qui ne limite pas la créativité. A contrario, il évite à celle-ci de s’épanouir en un chaos créatif dont il serait vain de trouver quelque sens.
La grande qualité d’un lieu est qu’il apporte un sentiment de vérité ou du moins de vérisimilitude, une impression d’honnêteté intellectuelle car disposer d’un lieu que lecteurs et lectrices n’ont probablement jamais connu, c’est réduire la distance entre les émotions que procure un univers en tant qu’auteur et l’effet recherché sur le lecteur.
Quand on propose un monde, il faut prendre le temps pour le préciser dans les détails qui lui donneront une consistance, une existence. L’image est un médium qui permet de rendre tangible des univers totalement fictionnels. Dans 2001, l’Odyssée de l’espace, Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick ont créés des scènes dont la seule finalité est d’apporter un sens de réalisme telles que la démarche chaloupée de l’hôtesse dans la cabine, le stylo voguant dans les airs…
Ce soin dans les détails cherche à rendre présent une réalité qui n’existe pas encore et dans le même coup de permettre la suspension du jugement malgré le soupçon bien naturel envers un réel hypothétique.
Vous mettrez certainement beaucoup de réflexions dans l’élaboration de votre monde. Il est normal que vous lui consacriez autant de temps que nécessaire pour l’exposer aux regards du lecteur/spectateur. Ne vous inquiétez donc pas du rythme de votre récit lorsqu’il s’agit de décrire votre monde. Dan O’Bannon, Walter Hill et Ridley Scott ont fait de même pour présenter le Nostromo dans Alien car ce vaisseau est le monde de cette histoire.
Des créatures habitent votre monde
La plupart des personnages qui peuplent votre monde sont définis par cet environnement dans lequel ils vivent. Vous constaterez souvent que le personnage principal bien qu’il soit lui aussi dans le monde est en butte contre les lois et règles qui gouvernent ce monde. Dans Matrix, par exemple, les déplacements si particuliers des personnages sont établis très tôt dans le récit. Comme ces règles sont démontrées dans l’exposition, dans l’acte Un, elles seront alors comprises comme descriptives du monde et n’appartiennent pas à l’intrigue.
Un monde, ce sont aussi des situations singulières. Et lorsque ce personnage principal est jeté dans une situation extraordinaire par rapport à son quotidien, alors le conflit s’installe lors de ses tentatives d’adaptation.
Dans un univers, l’aspect social est déterminant. Mad Max : Fury Road met l’accent sur une société tyrannique avec un être puissant parce qu’il détient l’eau et une masse indifférenciée d’un peuple opprimé qui ne possède même pas le minimum vital.
Il y a d’ailleurs dans la figure du tyrannique Immortan Joe un aspect de divinité qui entre aussi en jeu dans la construction du monde. Si votre récit dépeint un mariage morganatique alors le concept de classes sociales sera l’un des thèmes majeurs constitutif du récit. Quel que soit le genre dans lequel s’inscrit votre récit, vous serez amené à un moment ou à un autre d’apporter quelques onces de sociologie dans votre histoire. Cela vous aidera d’ailleurs à définir les relations entre vos personnages. Et ces relations sont d’une importance capitale sur le plan organique pour votre monde.
Un passage dans l’acte Deux
Vous remarquerez aussi que le monde véritable de votre histoire n’est pas celui du quotidien (vous pourriez vouloir décrire comment votre héros ou votre héroïne cherchent à se sortir d’un morne ordinaire). Lorsque sa résistance à s’engager dans son aventure est levée, alors le personnage principal pénètre effectivement dans un nouveau monde dont il devra apprendre les règles s’il veut y survivre.
C’est le franchissement d’un seuil, le Crossing the Threshold du monomythe de Joseph Campbell. En fait, c’est un système de valeurs différent, c’est même un véritable système de référence dans lequel on représente en tant qu’auteur ou autrice notre propre vision d’un monde que nous partageons avec notre récit.
Le nouveau monde ne sera pas radicalement différent. Même dans le genre fantastique décrivant un univers dystopique, certains éléments puisés dans notre réalité nous seront familiers. En ancrant les lieux de votre récit dans des lieux réels, vous avez à votre disposition nombre de détails pour décrire un monde unique cohérent néanmoins avec les exigences de votre histoire.
En utilisant des détails familiers, la distance qui se crée nécessairement avec votre monde est réduite facilitant ainsi l’immersion, c’est-à-dire l’acceptation par le lecteur/spectateur de l’existence possible d’un monde pourtant imaginaire mais d’une proximité étonnante. Un peu comme si le lecteur/spectateur absorbait ce monde qu’on lui propose.
Les séries ont aussi une particularité que ne possèdent pas les films : le lecteur/spectateur devrait aimer revenir dans le monde à chaque épisode. La répétition crée la crédibilité du monde. Même si plusieurs personnages d’un récit vivent des vies différentes, dans des lieux différents, revenir à ces vies et ces lieux pour chacun des personnages nous familiarisent avec eux.
Il semble évident que la subjectivité joue un rôle important dans cette reconnaissance. Décrire un monde, ce sont deux subjectivités (celle d’un auteur, celle d’un lecteur/spectateur) qui dialoguent. Partant, on dit que le monde de l’histoire est l’expression de qui est votre héros ou votre héroïne.
Mad Max, par exemple, ne peut exister que dans son monde post-apocalyptique. Ou encore ceux qui peuplent les nuits d’une ville ne sont pas ceux qui y vivent le jour. Ainsi, dans un même lieu, vous avez deux mondes qui s’ignorent l’un l’autre. Un même personnage pourrait être défini selon qu’il est au jour ou bien lorsqu’il hante les nuits.
Stratification
Vous serez probablement amené à classer vos événements, vos personnages, vos objets en différents groupes comme, par exemple, des classes sociales ou plus généralement des catégories telles que hommes et femmes, tyrans et opprimés, objets de luxe et objets du quotidien…
Il y a cependant une difficulté car prendre des données de sources différentes puis les assembler pour former le tout du récit pourrait noyer la signification de chacune d’entre elles, c’est-à-dire ce qui justifie la présence de ces données dans l’histoire.
Afin de faciliter les choses, surtout si vous écrivez une série, serait de bien distinguer les lieux de votre monde et pour chacun de ces milieux, lister et décrire les personnages qui les animent. Cela n’empêche pas les interactions entre les personnages de différents milieux. Cela évite une confusion pour vous en tant qu’auteurs et pour le lecteur/spectateur lorsqu’il devra faire un effort intellectuel pour reconnaître qui est qui et qui fait quoi.
Un autre atout de choisir de manière pertinente un lieu précis pour situer une scène, c’est que ce lieu aidera à communiquer l’émotion que vous cherchez à faire ressortir de cette scène. Par exemple, votre personnage principal a un projet qui lui tient à cœur. Dans une scène, son projet et lui seront rejetés par exemple par un investisseur éventuel alors que votre personnage croyait enfin aboutir.
Lorsqu’il sort de cette réunion et se retrouve dans la rue, c’est le jour d’enlèvement des ordures ménagères et la rue est parsemée de poubelles. C’est une façon symbolique de traduire le sentiment ou l’émotion qui étreint votre personnage.
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