Parmi les fonctions de personnage (hors le héros et son adversaire, c’est-à-dire le protagoniste et son antagonisme), il existe une fonction particulière dénommée le Love Interest.
Avant de définir ce qu’est le Love Interest, j’aimerais d’abord préciser que le terme de héros lorsque que je ne précise pas ou héroïne n’est pas genré dans mon discours.
Le Love Interest
La fonction de Love Interest fait du personnage ainsi typé l’un des plus fascinants qui soit, selon Eric Edson.
La raison en est que le personnage qui assume cette fonction possède une émotion à fleur de peau. Lorsqu’on cherche à saisir dans ses rets lecteurs et lectrices, l’émotion est un appât par excellence.
L’importance du Love Interest dans sa relation au héros, c’est qu’il permet d’en explorer la nature, l’essence du personnage, c’est-à-dire ce qui le définit. Cette définition consiste à connaître ce qu’est ce héros ou cette héroïne, c’est-à-dire ce qui va bien chez eux, ce qui les blesse et ce qui ne va décidément pas chez eux.
Selon le genre dans lequel s’inscrit votre récit, le Love Interest créera soit une intrigue secondaire, soit l’intrigue principale. Classiquement au cœur d’un récit, il y a bien sûr le conflit, c’est-à-dire ce qui rend l’histoire dramatique, mais surtout, c’est l’histoire d’un changement.
Le héros est appelé à changer d’ici la fin de l’histoire. De ses pérégrinations et tribulations, il a tiré des révélations sur lui-même, des choses qu’il possédait déjà en lui mais qu’il ne pouvait découvrir sans quelques épreuves. Il se peut aussi que des doutes deviennent convictions.
La fonction du Love Interest devient alors l’un des facteurs du changement. La dynamique de la relation entre le Love Interest et le héros ou l’héroïne excite le changement. Le Love Interest est la condition (certainement nécessaire mais rarement suffisante) du changement.
Lors de l’élaboration d’un héros (à la fois protagoniste et personnage principal), à vouloir le forcer dans l’action tout en attirant sur lui l’empathie du lecteur/spectateur, on oublie qu’il est un être à part entière (fictif, certes, mais humain, capable de ressentir des émotions, de se forger des intentions).
La proximité avec le Love Interest permettra alors de rendre le héros plus humain car la relation entre eux est fondée sur l’émotion.
Intrigue secondaire ou principale ?
Il est parfois difficile de situer la relation entre le Love Interest et le personnage principal. Eric Edson propose de s’interroger sur la persistance de la relation hors du récit. Ainsi, dans Quand Harry rencontre Sally, on sait que cette relation perdurera. Dans ce cas, cette relation est l’intrigue principale. Dans le cas contraire, le Love Interest est alors le personnage principal d’une intrigue secondaire.
Il faut comprendre que les personnages hors le protagoniste et l’antagoniste ne sont pas seulement déterminés à aider le héros ou l’héroïne dans leur quête. Ils vont aussi les défier et entrer en conflit avec eux.
Le Love Interest ne déroge pas à cette règle. Alternativement, il supportera le héros ou s’opposera à lui.
Sur le plan de la tension dramatique, le Love Interest ajoute une tension sexuelle ainsi qu’une problématique de la séduction. La séduction est une conquête donc du conflit. Si vous faites l’économie du conflit dans la relation qui unit le personnage principal et son Love Interest, vous créerez un manque dans votre récit. Le lecteur/spectateur ressentira ce manque comme une frustration. En fiction (et peut-être comme dans la vie réelle), une liaison amoureuse sera conflictuelle ou ne sera pas.
La tension sexuelle est quelque chose d’universel. Quel que soit le lieu ou l’époque, quelle que soit la culture, la tension sexuelle est totalement reconnue et attendue. Selon les exigences de l’histoire, cette tension sexuelle sera plus ou moins palpable, plus ou moins effrontée.
L’être humain est une créature sensible. En tant que tel, il est traversé par de multiples et diverses émotions. Il est indéniable que la sexualité est un vecteur puissant pour atteindre sur le plan émotionnel lecteurs et lectrices. C’est un des atouts de la relation entre le personnage principal et le Love Interest.
L’arc dramatique
La tension sexuelle participe activement à l’évolution du personnage principal. C’est en fait un véritable défi à sa personnalité en enflammant ses passions. Un scénario est un médium visuel. En partageant entre les personnages et le lecteur/spectateur, la passion, l’émotion, vous interpellez par personnage interposé des émotions très proches chez le lecteur. Vous créez de l’empathie.
Attention, néanmoins. Un personnage marié et apparemment heureux avec son conjoint, ce conjoint ne peut être qualifié de Love Interest. Car dans ce bonheur apparent, il n’y a rien de dramatique. La relation doit être double : par moments, le Love Interest soutient le héros ou l’héroïne et à d’autres moments, il s’oppose à lui ou à elle.
Quelques exemples de Love Interest
- Neytiri de Avatar : Très jolie relation entre elle et Jake. La fonction de mentor que Neytiri s’est elle-même assignée est néanmoins recouverte, indique Eric Edson, d’une tension sexuelle. L’initiation de Jake et cette attirance encore voilée élève spirituellement la relation entre Neytiri et Jake. Cette relation n’est cependant pas au cœur du projet. Elle est la raison d’une intrigue secondaire dont Neytiri est le personnage principal.
- L’agent Rhodes dans Mes Meilleures Amies : Ici aussi, la relation entre Annie et Nathan est au cœur d’une intrigue secondaire. Mais Rhodes se comporte précisément comme un Love Interest voulant sincèrement soutenir le personnage principal (par exemple lorsqu’il achète à Annie du matériel de cuisine pour lui redonner l’envie de recommencer son rêve et lorsque, Annie, se sentant probablement coupable, profite d’un prétexte pour reprendre contact avec Rhodes mais celui-ci la rejette).
- Lisa McDowell dans Un Prince à New York : Un héros possède un objectif, un désir. Dans Un Prince à New York, quelle est la raison qui motive le prince Akeem si ce n’est de trouver l’amour personnifié sous les traits de Lisa.
L’évolution de la relation entre Lisa et Akeem peut être considérée comme principale car si vous la supprimez, vous n’avez plus rien à raconter. Vous noterez aussi que cette relation est particulièrement houleuse. C’est à travers cette lutte que l’on perçoit qu’un amour sincère se mérite. Akeem et Lisa sont tous deux des obstacles à la réalisation de l’objectif qui consiste pour Akeem, le personnage principal, à trouver l’amour véritable, un amour choisi et non imposé.
- Alicia Nash dans Un homme d’exception : La femme de John, Alicia, aide John à sortir de sa folie. Mais John est seul dans ce combat. Alicia n’y participe nullement. Ce qui compte ici, c’est l’évolution du personnage principal, sa propre ligne dramatique dont la question dramatique est de savoir s’il réussira ou non à sortir lui-même de sa schizophrénie.
Certes, Alicia est au cœur d’une intrigue secondaire, néanmoins, sa présence auprès de John est vitale car elle nourrit la volonté parfois défaillante de John. Alicia influence John et la relation entre elle et John oriente le devenir de John. On peut considérer Alicia comme un Love Interest charismatique parce qu’elle a un véritable pouvoir sur les décisions de John.
- June Carter dans Walk the Line : Que veut Johnny Cash dans ce drame biographique ? Il veut Jude bien plus qu’il ne souhaite la notoriété. C’est la relation entre Johnny et Jude qui oriente ce récit. Le schéma est similaire au Prince de New York. Par la relation conflictuelle qui unit ces deux êtres (personnage principal et Love Interest), les arcs dramatiques de ces deux personnages peuvent évoluer.
Le cas particulier de Carol et Melvin
Dans Pour le pire et pour le meilleur de Mark Andrus et James L. Brooks, la relation entre Melvin et Carol est difficile à analyser. L’embarras vient d’abord d’identifier le personnage principal. Est-ce Carol ou Melvin ou bien Simon ?
L’objectif de Carol est de faire soigner son fils malade. Parce qu’elle possède cet objectif, doit-on la considérer comme le personnage principal ? Mais cela ne peut tenir la route car il est évident dès l’exposition qu’elle est dans l’incapacité de résoudre son problème (c’est d’ailleurs l’intervention de Melvin qui permet de sauver l’enfant).
Melvin, par contre, même s’il ne se l’avoue pas (un héros a rarement conscience de ce dont il a besoin tant que les épreuves ne lui permettent pas de dévoiler sa vérité), cherche l’amour de Carol. Mais sa maladresse repousse toujours celle-ci hors de sa portée.
Carol est le Love Interest parce qu’elle sera l’instrument du changement de Melvin. Melvin s’est volontairement fermé à toutes émotions. Cela peut paraître paradoxal en regard de la profession que les auteurs lui ont assignée : il est un écrivain célèbre de romances. C’est une métaphore qui illustre le problème personnel de Melvin : à travers son écriture, il hurle son désespoir. C’est sa véritable nature qu’il formule dans ses romances mais qu’il est incapable d’exprimer dans sa vie.
Au point médian du récit, après que Melvin ait payé les soins qui sauveront le fils de Carol, en pleine nuit, Carol ne peut dormir. Elle ressent l’urgence (d’où l’importance du contexte de cette séquence : la nuit, la pluie, le chic appartement de Melvin) de voir Melvin.
Lorsque Carol arrive chez Melvin, elle est totalement trempée. Dans la tenue que Carol offre à nos regards et au regard de Melvin, et c’est intentionnel de la part des auteurs (nous sommes dans une comédie romantique et non une tragédie), une sensualité très forte apparaît. C’est un des critères du Love Interest : il ne s’agit pas d’un amour platonique. Lorsque Melvin ouvre la porte, il détourne aussitôt les yeux de la poitrine de Carol qui darde sous le t-shirt mouillé. Cela a un sens : Melvin est confronté à une émotion qu’il a depuis trop longtemps profondément reléguée en lui.
Et pourtant, Carol niera cet état. Elle se dénie elle-même en quelque sorte. Nous avons là l’une des définitions du point médian qui préfigure le dénouement. Lorsque cette articulation structurelle est négative, le dénouement sera positif.
Pourquoi Carol ressent-elle une telle urgence à voir Melvin et prend-elle le risque d’affronter en pleine nuit la distance et les intempéries ? Elle aurait pu attendre le lendemain au restaurant. Le long silence entre eux deux indique que Carol cherche ses mots et puis la pression fait éclater le discours : je ne coucherai jamais avec vous. Encore une fois, pourquoi l’urgence d’une telle situation ? Parce que Carol est effrayée à l’idée que ce soit la raison du geste de Malvin. Inconsciemment, confusément, elle souhaite autre chose et c’est cet autre chose que les auteurs cherchent à nous transmettre.
Comment un personnage aussi rude que Melvin peut-il attirer notre sympathie ? Melvin n’est pas dénué de sentiments, bien au contraire. Après 62 succès de librairie, Melvin ressent confusément le besoin de briser les barreaux qu’il a lui-même installés entre lui et le monde.
Il est attiré par Carol parce qu’il a l’intuition qu’elle sera capable de lui offrir de nouvelles perspectives, une vraie liberté. Mais comment lui faire comprendre ? Et comment lui-même peut-il l’accepter ?
Souvent, pour éviter le stéréotype du méchant de l’histoire, on a recours à un animal comme Blofeld, le chef du Spectre des James Bond qu’on nomme aussi l’homme au chat. Cela humanise ce personnage.
Une astuce similaire a été utilisé pour montrer que dans les tréfonds de Melvin sommeillait encore un être sensible et toute la séquence entre Melvin et Verdell indique que l’âme de Melvin demande à être réveillée.
Si nous trouvons Melvin sympathique malgré son comportement odieux, c’est parce que Carol lui prête une attention. Nous apprécions Carol, forcément. C’est une femme qui souffre et nous y sommes sensibles. C’est une étrange alchimie qui est à l’œuvre ici car l’empathie que nous éprouvons pour Carol se déverse sur Melvin. C’est un effet de la relation qui les unit.
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