La séquence et la scène sont souvent confondues. Rappelons quelques définitions. Une scène est une action à travers un conflit dans un temps et un espace plus ou moins continus qui fait basculer la condition de la vie d’un personnage sur au moins une valeur (Robert McKee parle de polarité positive ou négative) avec un degré de signification perceptible (c’est-à-dire que l’état d’esprit d’un personnage est totalement accessible. On comprend ce qu’il ressent et l’humeur dont il témoigne).
Idéalement, chaque scène est un événement (Story Event dans la terminologie de McKee), qui crée un changement significatif dans la situation d’un personnage, exprimé en termes de valeur et ce changement n’est possible que par le conflit.
Linda J. Cowgill propose une définition plus succincte. Selon Cowgill, une scène est une unité d’action, un événement unique ou un échange entre personnages. La scène possède sa propre unité de temps et d’espace. La fonction d’une scène est de créer un nouvel élan. Elle permet à l’intrigue de se dérouler jusqu’à son climax et son dénouement.
Néanmoins, dans un scénario, il n’est pas nécessaire qu’une scène fasse avancer l’intrigue et, en fait, presque tous les scénarios contiennent des scènes qui ne le font pas. Ces scènes existent pour d’autres raisons : identification émotionnelle, horreur, un rappel des faits, impact visuel, sexe, humour….
De même, une scène n’a pas l’obligation d’être une unité complète d’action ou de signification. Dans un scénario, le sens est plus souvent réparti sur plusieurs scènes et, en fait, l’aboutissement ou l’impact d’une scène peut être délibérément suspendu pour laisser le lecteur/spectateur dans l’expectative.
Et la séquence ?
Considérons Syd Field : Une séquence est une série de scènes liées par une idée unique (quelque chose qui la justifie). Cette séquence possède un début, un milieu et une fin. Par exemple, un mariage, des funérailles, une chorégraphie, un événement sportif, une course-poursuite, une tentative de séduction peuvent être considérés comme autant de séquences.
Le terme séquence peut signifier aussi depuis Frank Daniels et repris par Paul Joseph Gulino des subdivisions majeures d’un scénario (cela remonte au temps du cinéma où une bobine avait une durée d’une dizaine de minutes).
Gulino a ainsi élaboré un modèle de 8 séquences. C’est un peu difficile à admettre pour l’écriture d’un scénario dont la notion de séquence est une succession de scènes guidées par une idée unique. Et cette idée peut être nommée comme les exemples donnés par Syd Field ou de manière plus abstraite comme, par exemple, le personnage réalise son erreur.
L’approche la plus pertinente pour une séquence serait peut-être de la considérer comme un segment.
Dans Assurance sur la mort de Raymond Chandler et Billy Wilder adapté du roman de James M. Cain, le récit débute avec une séquence telle que Syd Field la concevait et qu’on peut nommer exposition. Ainsi, l’exposition ne serait plus l’acte Un mais un segment ou séquence : une voiture qui roule à vive allure de nuit, qui traverse un carrefour sans précaution, qui s’arrête devant un immeuble de bureaux ; le concierge fait entrer l’homme ; une vignette nous apprend qu’il s’appelle Neff et qu’il est vendeur d’assurances ; Neff se rend à son bureau où la première séquence se termine et où la scène suivante commence.
Dans cette scène, Neff met en marche un dictaphone et avoue rapidement le meurtre. À l’époque, c’était révolutionnaire, car il n’était pas courant qu’un film de genre révèle dès le départ qui est le coupable. C’est ce que Linda Aronson appelle Triggering Crisis, c’est-à-dire un nœud dramatique qu’elle considère comme principe ou cause première qui permet à l’histoire d’être ensuite racontée en analepses (ou flash-back).
La question du prologue
Prologue est un terme mal défini pour un scénario. Si auteurs et autrices ressentent le besoin d’un prologue ou prélude, autant le nommer par convention accroche. Alors peut-on parler d’accroche dans Assurance sur la mort ?
Pas vraiment car ce récit n’a pas besoin d’accroche. Assurance sur la mort a une structure claire en analepses et après le segment d’ouverture, il y a un retour marqué et explicite à l’année précédente.
L’accroche est un faux problème et statistiquement (une étude sur 132 scénarios menée par Melvyn P. Heyes a démontré qu’à peine un tiers des scénarios possédaient un prologue (ou accroche, donc)) prouve qu’elle est loin d’être nécessité.
De même concernant l’incident déclencheur. Par convention, on l’inclut dans l’exposition, dans l’acte Un. Mais ce n’est pas plus une obligation. Lorsque Walter Neff se rend chez Dietrichson pour lui faire signer un nouveau contrat, il rencontre certes Phyllis seule et nue sous une serviette de bain, mais lorsque Walter quitte la maison des Dietrichson après avoir convenu de revenir plus tard, il quitte Phyllis dans le même état d’esprit qu’en arrivant.
Peut-être un peu émoustillé mais, il faut l’avouer, rien de probant qui prouve que cette rencontre initiale soit un incident déclencheur. Si cette rencontre est un incident déclencheur, elle aurait du être le signe d’un mouvement menant au meurtre puisque nous savons déjà que ce meurtre est le point culminant d’un récit qui ne nous a pas encore été conté.
Le Call to Adventure
En fait, Neff n’est pas présent lors de l’incident déclencheur. Cet incident déclencheur est né dans l’esprit machiavélique de Phyllis. On pourrait considérer dans ce cas que lorsque Phyllis appelle Neff à sa compagnie d’assurances pour lui fixer un rendez-vous, nous avons ce que Joseph Campbell et Christopher Vogler ont nommé le Call to Adventure, l’appel à l’aventure du Hero’s Journey.
Dans ce cas, ce qui suit le Call to Adventure est le Refusal of the Call. En effet, le héros refuse l’aventure qui lui est proposée. Mais dans Assurance sur la mort, nous n’avons pas de refus immédiat de la part de Neff. En fait, ce qui suit est une autre scène d’exposition ; après avoir mis en place Neff et Phyllis, les scénaristes mettent en place le troisième personnage majeur, l’antagoniste potentiel de Neff, Keyes.
Selon Robert McKee, l’incident déclencheur peut se situer n’importe où entre la première et la vingt-cinquième page, c’est-à-dire qu’il n’empiète pas sur l’intrigue, il reste dans les limites du premier acte. Cela offre une flexibilité qui participe de la créativité.
Assurance sur la mort possède bien un incident déclencheur et ce que Syd Field nomme une résistance (ou Refusal of the Call).
L’incident déclencheur se produit une vingtaine de minutes (soit une vingtaine de pages pour un scénario correctement formaté) après le début de l’histoire. Dans ce cas, le placement relativement tardif peut être compensé par la révélation précoce et choquante que Neff est le meurtrier. Lorsque l’incident déclencheur se produit, il est impossible de s’y méprendre. Malgré la façon détournée dont Phyllis aborde le sujet de la « mort accidentelle » potentielle de son mari, l’incident déclencheur ne peut être confondu.
Neff voit immédiatement où elle veut en venir et est visiblement choqué. Son attitude change complètement, Il refuse catégoriquement l’appel et s’en va. Cette séquence (Call to Adventure & Refusal of the Call) est suivie d’une véritable séquence que nous pourrions nommer : « Le tourment intérieur de Neff ».
Des séquelles ?
Ce tourment intérieur de Neff qui suit un nœud dramatique majeur est considéré comme une séquelle par Jack M. Bickham : une séquelle commence pour votre personnage principal au moment où une scène se termine. Frappé par une nouvelle catastrophe imprévue mais logique (la proposition de Phyllis rend crédible cette séquelle, c’est un enchaînement, une conséquence logique), il est plongé dans une période d’émotion pure, suivie tôt ou tard d’une période de réflexion, qui aboutit tôt ou tard à la formation d’une nouvelle décision orientée vers un objectif.
Puis vient la première articulation majeure, celle du passage dans l’acte Deux. Cependant, cette articulation est à la fois précédée et suivie par des retours à la scène de la confession du prélude. Après la lourde émotion de la scène dans l’appartement (la séquelle de l’incident déclencheur), les coupes vers les réflexions amères de Neff placent le passage dans l’acte Deux dans le contexte d’une réflexion sur une plus longue période et mettent en scène la transition comme une narration personnelle.
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